Une mission très importante a été confiée aux élèves du Centre d’intégration La Traversée, de Belœil. Depuis septembre — en pleine pandémie —, ce sont eux qui nettoient les chiffons utilisés dans les écoles du centre de services scolaire des Patriotes, qui compte 36 000 élèves.

Ce n’est pas rien comme travail, assuré par 62 jeunes adultes présentant une déficience intellectuelle légère à moyenne, avec un trouble du spectre de l’autisme, une trisomie, etc. « Une fois qu’on établit la routine et qu’on leur donne du support visuel, ils sont super bons », assure Annie Pontbriand, directrice du Centre d’éducation des adultes des Patriotes, qui chapeaute l’établissement de Belœil.

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Pour assembler le nombre de chiffons demandé, Jean-Marc Pelletier-Tanguay se réfère à un support visuel, avec l’aide de l’éducatrice spécialisée Annick Gaudet.

Une visite à la buanderie de l’école permet de le confirmer. Les guenilles sales sont classées, pesées pour ne pas surcharger les machines, puis lavées et placées en piles de 1, 5, 10 ou 20 unités. Elles sont ensuite expédiées toutes propres aux écoles, en fonction de la quantité demandée. Vanessa Daigle-Simard, 25 ans, aime particulièrement travailler à la buanderie « parce que c’est nouveau », explique-t-elle.

Porter un couvre-visage ne la dérange pas. « Au début, c’était difficile, mais on s’est habitués », constate-t-elle. « Ces élèves ont vite compris qu’il fallait prendre des mesures, observe Annie Pontbriand. Pour les couvre-visages, on doit faire des rappels plus souvent auprès des élèves de l’autre portion de l’éducation des adultes. » Soit auprès de la clientèle sans déficience…

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Atelier de cuisine avec, à droite, Vanessa Daigle-Simard, 25 ans. Le programme vise à développer des habiletés autant pour la vie personnelle que professionnelle.

Une solution pour les jeunes de 21 ans

Le Centre La Traversée propose d’autres plateaux de travail, comme une friperie, un atelier de couture où sont fabriqués des toutous lourds (qui servent à calmer l’anxiété et l’hyperactivité), une cuisine, etc. « Je nettoie les souliers pour la friperie », dit Jonathan Blondin, 22 ans, rencontré en pleine séance de frottage.

Ses collègues (le vocabulaire du monde du travail est utilisé) et lui ont généralement fréquenté l’adaptation scolaire, jusqu’à leurs 21 ans. Après, l’obligation de scolariser ces jeunes adultes cesse. « La rupture du lien scolaire est vue comme une catastrophe pour les parents », indique Gilles Sénécal, professeur honoraire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et coauteur d’un rapport sur les services offerts aux jeunes adultes polyhandicapés — aux besoins souvent plus grands qu’à La Traversée.

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Tandis que Last Christmas, de Wham !, joue à la radio, Victor Côté nettoie la semelle de chaussures qui seront vendues à la friperie. À deux mètres de distance pour limiter les risques de transmission du coronavirus, Audrey Laverdière-April et Jonathan Blondin redonnent aussi du lustre aux souliers.

« Après 21 ans, on se demande toujours ce qui va arriver à ces enfants-là », témoigne Stéphane Blondin, le père de Jonathan. Son fils autiste fréquente l’intégration sociale de La Traversée depuis le printemps 2019. « Plus jeune, Jonathan était résistant aux changements, dit-il. Il avait la crainte de ne pas réussir. Depuis qu’il est là, il est heureux. »

« Ces classes sont essentielles »

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Marie-Michèle Isabelle et Karic Jodoin défroissent un cache-couche de bébé destiné à la friperie.

La perspective de devoir faire l’école à la maison si la pandémie s’aggrave inquiète Stéphane Blondin. « J’espère que le gouvernement va penser à certaines exceptions, parce que ces classes sont essentielles pour nos jeunes, fait-il valoir. Le confinement du printemps a généré beaucoup d’anxiété et de mauvaise humeur. On a eu notre lot de problèmes, ça a été très difficile. »

Comme dans les autres écoles secondaires, il faut tenter le coup de l’éducation à distance depuis le 17 décembre. « On commence à peine à reprendre notre vitesse de croisière, regrette Nathalie Bélanger, directrice adjointe de La Traversée. Plusieurs élèves avaient perdu de l’autonomie quand ils sont revenus, en septembre. »

Pour être admis, ces jeunes doivent avoir le désir de développer des habiletés nécessaires dans le monde adulte. « Ils ont beau avoir 21 ans dans leur corps, dans leur tête, ce n’est pas toujours ça, nuance Nathalie Bélanger. Il faut leur apprendre à être des adultes. »

Vers des stages ou des emplois

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Milaine Gauthier enfile des billes sur un cure-pipe selon une séquence de couleurs préétablie, ce qui travaille sa dextérité fine et son aptitude à suivre une méthode de travail.

Après leur formation, ces élèves sont dirigés vers des stages ou des emplois rémunérés, notamment au centre de réemploi de vêtements Certex ou chez Groupe AFFI Logistique. « Au fil des ans, de plus en plus d’employeurs leur ouvrent leurs portes », souligne Gabrielle Genest, travailleuse sociale au CLSC des Seigneuries, qui est en lien avec certains des élèves.

Ce futur est bien lointain, comparé aux Fêtes qui arrivent aussi vite qu’un ballot de chiffons sales pendant une pandémie. Milaine Gauthier, une élève souriante, a hâte à Noël. « J’ai déjà plein de cadeaux sous le sapin », assure-t-elle.

Avis aux intéressés : le Centre d’éducation des adultes des Patriotes accepte les demandes d’admission au programme de formation en intégration sociale, offert à Belœil, à McMasterville et à Varennes. « Il n’y a pas de liste d’attente », précise Annie Pontbriand. En voilà un beau cadeau…

Hausse des inscriptions

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Ces chiffons sont soigneusement pliés par les élèves du programme de formation en intégration sociale du centre de services scolaire des Patriotes.

Au Québec, 67 centres de services scolaires offraient de l’intégration sociale en formation générale des adultes en 2018-2019. En quatre ans, « il y a eu une augmentation de 2892 inscriptions dans ce programme », indique Bryan St-Louis, responsable des relations de presse au ministère de l’Éducation. Cela représente une hausse de 7,8 %. Il n’a pas été possible de savoir combien de centres de services scolaires proposent des plateaux de travail comme aux Patriotes.