Valérie Tawil a une panoplie de bonnes adresses dans son quartier, mais ses collègues ne veulent rien entendre. Ils sont plus critiques qu'indifférents en parlant du fameux Plateau Mont-Royal. Cela va du «Moi, je ne serais pas capable de me faire marcher dessus» au classique «Moi, j'ai besoin d'espace».

Elle n'en manque pourtant pas, d'espace, avec «deux magnifiques oasis de verdure» à 10 minutes de marche de la maison. Serait-on jaloux de son mode de vie urbain à la sauce parisienne? La femme de 35 ans en est convaincue.

Cette archiviste habite rue Fabre, entre le dépanneur d'enfance de Michel Tremblay et un escalier typique du Plateau, avec Frédéric Cusson, 41 ans, et leurs deux enfants, Sofia, 3 ans, et Gabriel, 5 ans.

Son amoureux venait d'acheter un quintuplex «extrêmement mal en point» angle Fabre et Marie-Anne quand ils se sont connus...

Frédéric Cusson dit qu'il est mort de rire quand il boit son café en entendant à la radio le chroniqueur à la circulation parler des retards, des détours et de la congestion sur les voies d'accès à Montréal. Il n'est pas arrogant. Il ne fait que constater un avantage très concret de ce choix que sa conjointe et lui ont fait et qu'ils assument: celui d'habiter à portée de jambes de leurs activités - dans l'un des quartiers les plus densément peuplés du Canada, faut-il le préciser.

«Oui, vous avez raison, ça coûte cher», habiter le Plateau par rapport à d'autres quartiers, répond M. Cusson à ses détracteurs. «Mais attention, pas par rapport à deux personnes qui habitent en banlieue et qui ont deux autos. Il s'en dépense, de l'argent, du temps et de l'énergie, en transport, en pneus, en essence, en frais de voiture», argue ce citoyen de l'arrondissement dirigé par Luc Ferrandez.

Eux ne se plaignent pas de problèmes de circulation dans leur secteur. Et ils arrivent à y garer leur auto (avec une vignette).

M. Cusson, réalisateur pigiste pour la télévision, l'utilise peu. Quand il n'a pas à se déplacer en région avec du matériel de production, il marche. Ou il utilise le BIXI. «C'est fameux, le BIXI!»

Ce n'est pas le seul artisan de la télé à avoir adopté le Plateau. De nombreux comédiens, danseurs ou journalistes habitent ce quartier. Il y a aussi de plus en plus d'Européens, indique Louise Sauvageau, courtière chez Re/Max du Cartier. «Sinon, les acheteurs sont de jeunes couples qui veulent deux choses, soit du cachet, soit du rénové récemment», révèle-t-elle.

Tout à vélo ou à pied

Outre pour le fameux cachet, Valérie et Frédéric ont choisi le Plateau parce qu'ils voulaient habiter à proximité de leur boulot et s'affranchir de la sacro-sainte voiture.

«Un des atouts du Plateau, c'est la possibilité de tout faire à pied. Notre principal moyen de transport, ce sont nos jambes et la poussette. Je vais travailler à pied - je travaille à TVA -, donc je n'ai qu'à traverser le parc La Fontaine et je suis rendue», détaille Mme Tawil.

«On fait moins de 10 000 km par année», indique M. Cusson, qui a grandi à Laval.

Valérie, enthousiaste, enchaîne: «Nos enfants prennent si peu souvent la voiture que c'est une fête lorsque cela se produit, ils sont excités comme s'ils prenaient l'avion, c'est dire!»

Ils vont chez le médecin à pied, ils magasinent leurs vêtements à pied, ils vont déjeuner au Byblos à pied, ils rencontrent des amis aux Entretiens... tout cela sans carte de métro ni véhicule à moteur. Ils ont cette possibilité-là.

Leurs courses à la boulangerie prennent des allures d'excursion urbaine en quatre roues de luxe, avec leur poussette tout-terrain trouvée chez un détaillant de plein air. Le week-end, ils vont ainsi assister à des concerts «offerts de façon ludique sous forme d'histoires racontées aux enfants» aux Jeunesses musicales du Canada.

Allergiques au Plateau, arrêtez ici de lire parce que la résidante en rajoute une couche: «Et puis il y a les gens du quartier. Des gens pour la plupart cultivés, ouverts, intéressants. Et une vie de quartier, c'est d'abord des gens avec qui on se sent une communauté d'esprit, de goût, avec qui on partage des valeurs. Pour nous c'est la famille, le respect de l'environnement, la culture, l'ouverture à l'autre.»

Leur CPE ne sert que de la nourriture végétarienne, «souvent bio». Le pain y est fait sur place. Ah! le Plateau...

Silence: on joue!

Leur ruelle bourdonne de gamins. En juin dernier, la cousine de Valérie, de Québec, n'en revenait pas de voir ça. Cela a cassé son préjugé comme quoi il était impossible d'élever une famille à Montréal, confie Valérie.

«Ce quartier est une partie intrinsèque de la réussite de notre vie familiale, rien de moins, estime Mme Tawil, originaire de Lanaudière. Les enfants se promènent d'une cour à l'autre. Les voisins se connaissent, il y a toujours des parents présents, parfois on sort avec une coupe de vin dans la ruelle et on jase. Les enfants, on ne les organise pas du tout. C'est leur univers à eux.»

Qui disait qu'en ville, les voisins ne se parlent pas? Un autre cliché démoli. «Cette fréquentation de la ruelle a eu le mérite de resserrer les liens entre voisins, enfants et parents compris.»

«Je trouve ça triste que l'embourgeoisement du Plateau provoque un écrémage blanc et francophone», exprime toutefois Frédéric Cusson, sachant fort bien qu'eux-mêmes incarnent cela, même s'ils ne possèdent ni Audi ni garage, comme certains de leurs voisins.

M. Cusson a acquis un quintuplex vers 2002, avant la flambée des prix de l'immobilier. L'investissement s'est révélé si positif qu'en le réhypothéquant, et avec le revenu des loyers, le couple a eu les moyens d'acheter le triplex dont ils occupent maintenant le rez-de-chaussée et le sous-sol (non loin de l'autre plex). Avec une cour et une ruelle. Tout l'espace dont ils ont besoin.

«J'ai été très chanceux», conclut Frédéric Cusson.

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À 10 minutes

> Les parcs Laurier et La Fontaine sont «le plus grand privilège» d'habiter le Plateau, estime Valérie Tawil. Pour flâner, pique-niquer, faire jouer et courir les enfants et prendre, tout simplement, le pouls du quartier. Voici 10 autres adresses qu'ils affectionnent: le café Byblos, 1499, avenue Laurier Est, pour déjeuner avec les enfants dans une atmosphère conviviale et décontractée;

> Le Quartier Général, 1251, rue Gilford Est, pour l'excellent rapport qualité-prix de ce resto «Apportez votre vin»;

> Le Péché Glacé, 2001, avenue du Mont-Royal Est, pour les meilleures glaces artisanales du coin;

> Le Fromentier, 1375, avenue Laurier Est, pour les quiches, les pizzas, les miches de pain et les savoureux croissants (Valérie);

> Monsieur Painchaud, 4354, rue de Brébeuf, pour les savoureux croissants (Frédéric);

> Le Boucanier, 4475, rue Marquette, pour le poisson fumé;

> Les Saveurs du Plateau, 1470, avenue Laurier Est, pour toutes sortes de bonnes choses salées et sucrées;

> Zen, le pouvoir des fleurs, 1039, avenue du Mont-Royal Est, pour s'offrir un bouquet de fleurs relevant de l'oeuvre d'art;

> L'appartement boutique, 1871, avenue du Mont-Royal Est, pour les designers québécois à prix correct;

> Le théâtre L'Illusion, 783, rue de Bienville, pour divertir les très jeunes enfants.

 

Photo Robert Skinner, La Presse

Valérie Tawil et Frédéric Cusson profitent de leur ruelle avec leurs enfants, Sofia, 3 ans, et Gabriel, 5 ans.