Le décor est bucolique. La maison est magnifique. Quelle chance ! Elle se trouve au bord de l'eau. Trop beau pour être vrai. Vous rêvez déjà d'entendre le bruit des vagues, assis sur votre terrasse. Puis le vendeur vous annonce qu'elle est située en zone inondable. Que faire ?

«Il y a de l'eau dans le sous-sol»

Quand Louise Laframboise a acheté en 2000 son beau bungalow de plain-pied modèle 1972, situé « directement sur la rive du lac Champlain », elle savait que l'eau pouvait monter pendant le dégel printanier.

« C'est arrivé une fois, en avril 2011, se souvient-elle. L'eau s'était infiltrée par les fenêtres du sous-sol. »

Ces inondations historiques, rappelons-le, avaient fait de très nombreux sinistrés, à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Venise-en-Québec, et jusqu'à Sorel. On avait même vu des propriétaires circuler dans les rues à bord de leurs embarcations nautiques.

« On n'avait pas paniqué, ajoute-t-elle. On avait été informés par le vendeur, lors de l'achat, qu'il y avait un risque, très faible, que le niveau de l'eau du lac augmente anormalement. »

La crue des eaux n'a pas endommagé sa résidence de Venise-en-Québec, « parce que [son] sous-sol n'était pas fini », précise-t-elle.

« Mais le panneau électrique s'y trouvait, et Hydro-Québec a dû couper le courant en raison des risques d'électrocution, rappelle-t-elle. Les pompes n'ont pu être activées pour évacuer l'eau. »

À vendre

La maison est à vendre. « Et ce n'est pas à cause des risques d'inondations, assure Louise Laframboise. On veut simplement retourner vivre à Montréal. On aura bénéficié d'une belle qualité de vie à Venise-en-Québec. »

N'empêche : quand un acheteur se pointera, elle reconnaît qu'elle devra renoncer à la « si belle vue » qu'elle a sur les montagnes du Vermont. De sa cour, elle peut voir les eaux du lac Champlain se confondre avec les montagnes Vertes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Louise Laframboise admet avoir bénéficié d'une belle qualité de vie à Venise-en-Québec. Sa maison maintenant à vendre, elle constate qu'elle doit faire preuve de patience pour trouver l'acheteur «sur mesure» pour sa maison sur la rive du lac Champlain, en zone inondable. 

Trouver un acheteur

Depuis les inondations, Louise Laframboise affirme avoir procédé à d'importants aménagements dans la maison.

« Le panneau électrique n'est plus au sous-sol, mais au rez-de-chaussée. De cette manière, si l'eau monte de nouveau, ce qui est très peu probable, les pompes vont s'activer automatiquement. »

Est-ce que les acheteurs sont frileux à l'idée d'acheter une maison dans une zone inondable ?

« Pas vraiment, dit-elle. De toute façon, je leur fournis toutes les informations pertinentes, et tout est clair avec mon agent immobilier. »

Cette retraitée du Canadien Pacifique reconnaît néanmoins qu'il faut avoir un profil particulier pour acheter une maison au bord de l'eau.

« On achète ces maisons-là pour avoir la paix », convient-elle.

Mais quand vient le temps de vendre, a-t-elle constaté, il faut faire preuve de patience pour trouver l'acheteur « sur mesure » qui acceptera de payer « un peu plus cher » pour devenir propriétaire d'une maison avec vue sur un lac... parfois un peu trop proche.

Un rêve qui vire au cauchemar

Posséder deux chalets « sur le bord de l'eau », c'était le rêve d'une vie pour une célibataire à la retraite. Ce rêve s'est transformé en cauchemar pour ses enfants, au moment de sa mort.

« On tente de trouver un acheteur, raconte un des enfants - qui a requis l'anonymat - chargé de réaliser la transaction immobilière pour la succession. Mais les chalets habitables à l'année se trouvent en zone inondable. C'est un obstacle de taille pour les acheteurs potentiels. »

« On est obligés de leur dire qu'il n'y a aucune possibilité d'effectuer des travaux de remblayage ni d'ériger de nouvelles fondations pour agrandir les propriétés. La Ville oblige l'acheteur à construire sur les fondations existantes. C'est désespérant. Nous sommes coincés. »

Les propriétés situées sur un terrain de 29 000 pi2 sont sur le marché de la revente depuis environ quatre ans. Des acheteurs qui avaient manifesté leur intérêt se sont ravisés après s'être informés auprès de leurs institutions prêteuses.

« Il n'y a pas une banque qui veut leur prêter, a-t-il compris. Elles ne veulent pas prendre de risques, compte tenu de la sévérité de la réglementation du ministère de l'Environnement. »

Des risques calculés

Au départ, les enfants demandaient environ 300 000 $ pour les deux « chalets » qui baignent pratiquement dans la rivière des Mille-Îles, au nord de Montréal. Faute d'acheteurs, ils ont baissé le prix. Baisser le prix est un euphémisme.

« On est rendus à 139 000 $. On est prêts à financer l'acheteur pour faciliter une transaction. »

Pendant ce temps, les factures s'accumulent. « On débourse plus de 2000 $ en taxes municipales, sans compter les taxes scolaires, calcule l'un des enfants. Il faut payer les comptes d'Hydro-Québec pour maintenir un minimum de chauffage dans les propriétés. On dilapide beaucoup d'argent pour absolument rien et on ne voit pas d'issue. »

Les gros arbres

Pourtant, quand leur mère s'est installée à la campagne, c'était pour voir « couler la rivière au bout de son terrain ».

« Elle était impressionnée par les gros arbres, se souvient-il. Elle aimait l'environnement. Et il n'était pas question de remblayer son terrain pour minimiser les risques d'inondations. Ça ne la dérangeait pas d'avoir un peu d'eau près du chalet, le printemps. »

« C'est frustrant de voir la valeur des propriétés ainsi dépréciée. On n'a pas voulu contourner les règles environnementales, après son décès. On aurait peut-être dû faire comme bien d'autres : prendre le risque de faire remonter le terrain. À l'heure où on se parle, on aurait peut-être déjà vendu. »

Suzanne Tremblay, courtière immobilière chez Remax Alliance, qui a le mandat de vente, est elle-même frustrée de ne pouvoir mener à bien une transaction.

« C'est un cauchemar pour la famille, convient-elle. On reçoit trois appels par semaine pour les chalets, mais ça ne bouge pas. Les acheteurs changent d'idée quand on les informe qu'ils ne peuvent décrocher un prêt et qu'ils ne peuvent même pas songer à reconstruire sur une plus grande superficie habitable. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Les propriétés situées sur la rive de la rivière des Mille-Îles offrent une vue exceptionnelle. En zone inondable, l'emplacement rêvé se transforme en cauchemar quand vient le temps de vendre. 

Des courtiers se mouillent

Acheter ou pas en zone inondable ? Certains acheteurs veulent l'éviter à tout prix, d'autres ne semblent pas perturbés le moins du monde, s'il faut en croire les courtiers que nous avons interrogés.

« Il y a encore des acheteurs qui ont été marqués par la diffusion des reportages montrant des journalistes chaussés de bottes de pluie, lors des inondations du Richelieu, au printemps 2011. La question revient à l'occasion, surtout chez les acheteurs qui ne sont pas de la région. On n'a pas besoin de rassurer les locaux, qui connaissent bien le marché. »

- Carl Hudon, courtier Remax du Haut-Richelieu

« En Beauce, on a l'habitude de voir la Chaudière déborder tous les printemps. Les acheteurs sont parfaitement au fait de cette réalité, en particulier les Beaucerons. Ils ne vont pas reculer à la dernière minute parce que le réservoir à eau chaude a été surélevé ! On continue de vendre des maisons et des plex à Sainte-Marie de Beauce, notamment, où il y a eu de l'eau dans les sous-sols. Par contre, les acheteurs de l'extérieur ont tendance à s'inquiéter un peu plus. »

- Marc Pouliot, courtier Sutton Millénia

« Il faut être un peu plus prudent, si on est acheteur et que la maison se trouve dans une zone à risque. Mais les vendeurs ont l'obligation, on le sait, d'en informer les acheteurs lorsqu'ils remplissent la Déclaration du vendeur. Il y a plusieurs éléments à considérer. Il se peut qu'on ne puisse reconstruire si la maison se trouve en deçà de la ligne de protection des rives. Selon mon expérience, le prix des maisons dans les zones inondables a glissé ces dernières années. »

- Suzanne Lefebvre, courtier Sotheby's International

« Ce n'est pas toujours simple de financer l'acquisition d'une maison en zone inondable, même qu'il arrive que des banques demandent jusqu'à 50 % de mise de fonds avant de consentir un prêt hypothécaire. Les banques sont réticentes. Si on est vendeur et que la maison a subi des dommages à cause de l'eau, il faut s'assurer de bien faire les travaux. Il ne faut pas se contenter d'enlever le gypse. Il faut aussi remplacer les colombages (2 par 4). »

- Danielle Coallier, courtier Sutton Québec

« C'est un choix que l'on fait d'acheter une maison en zone inondable. On accepte que l'eau monte sur le terrain et s'approche de la maison, au printemps, avec la crue des eaux, au point que parfois, on peut pratiquement tendre sa ligne à pêche à partir de son patio ! En revanche, une maison située en bord de lac ou de rivière nous offre une qualité de vie remarquable. Il y a une clientèle pour ce type de propriétés. »

- Suzanne Tremblay, Remax Alliance

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les inondations du printemps 2011, notamment à Saint-Jean-sur-Richelieu, ont freiné plusieurs acheteurs potentiels, «surtout chez les acheteurs qui ne sont pas de la région», admet Carl Hudon, courtier Remax du Haut-Richelieu.

Coup d'oeil sur la réglementation

Vous avez le coup de foudre pour une maison au bord de l'eau ? Pour pouvoir en profiter, prenez le temps de poser les bonnes questions et de vous informer au bon endroit. Geneviève Lebel, coordonnatrice aux relations avec les médias au ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, trace les grandes lignes de la réglementation.

Comment déterminer si une propriété sur le marché de la revente est située en zone inondable ?

Le site web du Ministère contient une carte interactive montrant les cartes et les rapports réalisés par le gouvernement relativement aux zones inondables. Un acheteur avisé devrait aussi consulter la municipalité régionale de comté (MRC) et la municipalité afin de s'assurer de la délimitation des zones inondables incluses au schéma d'aménagement et de développement ainsi qu'à la réglementation municipale.

Quels sont les éléments dont il faut tenir compte lors de l'achat d'une maison en zone inondable ?

Là encore, une vérification de la réglementation de la municipalité est suggérée. Une consultation des dispositions inscrites à la réglemen-tation municipale permettra de relever au préalable les diverses interventions (constructions, réparations, mesures d'entretien, etc.) qu'il sera possible d'effectuer et celles qui sont interdites.

Est-ce qu'il y a de nouvelles règles au Québec à la suite des grandes inondations des dernières années dans la vallée du Richelieu ?

En 2005, le gouvernement du Québec a resserré les règles de gestion des zones inondables lorsqu'il a modifié la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables. Ces règles sont reprises par les MRC au sein de leur schéma d'aménagement et de développement ainsi que par la réglementation de chaque munici-palité. Elles sont applicables à l'ensemble du Québec. Pour la région touchée par les inondations de la rivière du Richelieu (en 2011), la déclaration d'une zone d'intervention spéciale a décrété les règles applicables à cette zone inondable.

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Le gouvernement du Québec a resserré les règles de gestion des zones inondables lorsqu'il a modifié la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, en 2005. Pour la région touchée par les inondations de la rivière du Richelieu en 2011, notamment à Venise-en-Québec, la déclaration d'une zone d'intervention spéciale a défini les règles applicables à cette zone inondable.