Sur papier, tous les projets sont beaux et réalisables. Dans l’action, tout est différent. Réno-réalité se veut un témoignage franc sur des projets heureux pour certains ou pénibles pour d’autres.

Témoignage : Mélanie et Karl, Hochelaga, Montréal

Professionnel : Marc-André Harnois, directeur général, Association des consommateurs pour la qualité en construction (ACQC)

Début des travaux : mai 2021

Fin estimée des travaux : octobre 2023

Le projet

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Mélanie et Karl ont décidé de rénover complètement les trois étages de leur triplex.

Quel est le projet ?

Mélanie : Le projet de rénovation consiste à rénover entièrement un triplex dans Hochelaga-Maisonneuve. Tout a été dégarni. Les travaux consistent à refaire pour les trois étages la structure (menuiserie brute), le mur mitoyen coupe-feu, la maçonnerie extérieure du mur mitoyen, l’électricité brute et de finition, la plomberie brute et de finition, les portes et fenêtres, le chauffage et la ventilation, l’isolation, le gypse et les joints, les planchers, la céramique, les cuisines, les salles de bains et les balcons arrière.

Avez-vous engagé un entrepreneur pour réaliser les travaux ?

Mélanie : Oui, nous avons engagé un entrepreneur général recommandé par un groupe de filles en qui j’avais confiance. J’ai fait les vérifications usuelles (Régie du bâtiment du Québec – RBQ, Revenu Québec). C’était en règle. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans la situation actuelle.

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Le rez-de-chaussée du triplex est loin d’être terminé.

Les imprévus

  • Un problème parmi d’autres : le trop grand écart entre l’entrée extérieure du deuxième étage et le plancher à l’intérieur

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    Un problème parmi d’autres : le trop grand écart entre l’entrée extérieure du deuxième étage et le plancher à l’intérieur

  • Au deuxième étage, on peut voir les poutres neuves du plafond qui ne sont pas conformes et doivent être changées. On aperçoit au travers le troisième étage.

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    Au deuxième étage, on peut voir les poutres neuves du plafond qui ne sont pas conformes et doivent être changées. On aperçoit au travers le troisième étage.

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À quel moment avez-vous senti que le projet n’avançait pas à un rythme régulier ?

Mélanie : J’ai ressenti que le projet n’avançait pas normalement vers septembre 2022, mais j’ai laissé le bénéfice du doute à l’entrepreneur avec toutes ses représentations en disant qu’il y avait eu plein de surprises. J’ai demandé par écrit dès septembre 2022 de me fournir des factures ventilées, ce à quoi il me répondait par l’affirmative. Je n’ai jamais reçu de factures ventilées. J’ai aussi demandé de faire un contrat forfaitaire. Il a refusé. Il voulait faire la structure à l’heure. J’ai payé les deux premières factures avec des montants considérables de bonne foi, malgré le peu d’informations sur les factures et les difficultés que cela comporte pour la reddition de comptes. Puis, en février 2023, j’ai mis fin à la collaboration avec l’entrepreneur. Décidément, au rythme où il travaillait, il allait prendre tout mon budget sans finir le projet. J’ai fermement demandé de justifier toutes ses factures avant de payer. On a le droit de demander ce que l’on paie, non ? J’ai raisonnablement refusé de payer des factures dont je ne savais pas à quoi elles faisaient référence. D’autant plus que je lui avais demandé depuis des mois par écrit de justifier ses factures. C’est là que l’entrepreneur a pris les grands moyens pour se faire payer : il a déposé un avis d’hypothèque légale en mars 2023, puis, trois semaines plus tard, un préavis de vente sous contrôle de justice en avril 2023. Un moyen tellement disproportionné pour des factures non justifiées et pour lesquelles j’avais déjà versé des sommes considérables au surplus. La loi est mal faite ! Je constate que les démarches d’entrepreneurs dans un contexte comme celui que je vis actuellement peuvent être tout simplement abusives.

Avez-vous demandé une expertise ?

Mélanie : J’ai demandé une expertise en avril 2023, avec pour mandat d’évaluer les déficiences des travaux faits ainsi que la valeur des travaux faits. Manifestement, l’entrepreneur a exagéré son temps et a ralenti la vitesse d’exécution indûment sans raison valable, alors qu’il s’était proclamé expert dans ce type de projet. Or, il s’avère que l’entrepreneur n’a pas suivi les plans de l’architecte ni ceux de l’ingénieur en structure. Non seulement il n’a pas suivi ces plans, mais ses travaux comportent aussi des déficiences majeures.

Pourquoi avez-vous cessé le paiement auprès de l’entrepreneur ?

Mélanie : Car les travaux rendus avec ses factures comportaient des irrégularités. De plus, ses factures n’étaient pas justifiées ni ventilées. Les factures avaient un libellé vague : « Travaux de rénovation » avec un montant et les taxes. Pour moi, c’est inacceptable.

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L’entrée principale

Avis du professionnel

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Marc-André Harnois, directeur général, Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC)

Marc-André Harnois, directeur général, Association des consommateurs pour la qualité dans la construction : La situation de Mélanie et de Karl est typique des cas d’hypothèque légale qui nous sont rapportés, une situation qui touche environ 1000 ménages chaque année. Considérant qu’il y a un peu plus de 16 000* entrepreneurs dans le secteur résidentiel, si ce n’est pas super fréquent, ce n’est pas rare non plus.

L’hypothèque légale est un privilège accordé à l’industrie de la construction afin de la protéger contre les défauts de paiement. Il s’agit d’un outil extrêmement puissant, puisqu’elle peut permettre à ceux qui en bénéficient, ultimement, de faire vendre la propriété sous contrôle de justice pour être payés. Cela dit, cette procédure n’est pas automatique non plus, et c’est très rare que ça se rende jusque-là.

Pour en bénéficier légitimement, l’entrepreneur doit l’inscrire au Registre foncier dans les 30 jours suivant la fin des travaux et, s’il s’agit d’un sous-entrepreneur, avoir dénoncé ses travaux par écrit au propriétaire avant de les réaliser.

Cela dit, il n’est pas rare qu’on nous dénonce des cas où l’entrepreneur a inscrit une hypothèque légale de manière illégitime (oui, c’est possible, les vérifications du Registre foncier étant très superficielles), soit parce qu’il l’a fait trop tard, soit parce que le client était dans son droit de ne pas payer la totalité de la facture, par exemple parce que les travaux comportaient des malfaçons à corriger.

Lorsque c’est le cas, le client doit alors aller se défendre (généralement en Cour supérieure) et démontrer, par exemple, que les travaux comportent des malfaçons que l’entrepreneur a refusé de corriger et qu’il a dû faire parachever à ses frais, que c’est l’entrepreneur qui lui doit de l’argent et non l’inverse et que l’hypothèque légale doit donc être radiée. Lorsque le différend porte sur un montant élevé, la situation est donc généralement très semblable à ce qu’elle aurait été sans hypothèque légale. C’est surtout lorsqu’il est question de petites créances que l’hypothèque fait mal, parce qu’elle force alors à embaucher un avocat là où ce n’aurait autrement pas été nécessaire. C’est dans ces cas-là qu’on voit des gens renoncer à leurs droits et payer pour des travaux pour lesquels ils ne sont pas satisfaits.

Autrement, si on se dirige vers un différend important et qu’on reçoit un avis d’inscription/de conservation d’une hypothèque légale, il ne faut surtout pas paniquer. La maison ne sera pas vendue aux enchères du jour au lendemain. D’ailleurs, il est important de savoir que celui qui inscrit une hypothèque légale a jusqu’à six mois après la fin des travaux pour entamer la procédure permettant de vous déposséder de votre maison (inscrire un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire) ou intenter une action en justice contre vous. Passé ce délai, l’hypothèque légale ne s’efface pas toute seule, mais elle s’éteint, devenant inutile à celui qui la possède.

D’ailleurs, si l’entrepreneur se sait en faute, mais utilise l’hypothèque légale comme levier de négociation, il est possible que sa stratégie comporte une part de bluff et qu’il n’ait pas réellement l’intention de payer un avocat pour aller perdre devant le juge, surtout qu’un jugement laisse des traces. Dans la négociation, il ne faut pas perdre de vue qu’il a, lui aussi, quelque chose à perdre.

Par ailleurs, porter plainte à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et à l’Office de la protection du consommateur (OPC) peut contribuer à éviter à d’autres les problèmes que vous subissez.

Cela dit, si vous sentez que votre entrepreneur est de bonne foi et qu’il y a simplement différend entre vous, il est possible de substituer l’hypothèque légale par une sûreté, par exemple en déposant une somme dans un compte en fidéicommis, de manière à ce que l’entrepreneur ait la certitude que dans le cas où il aurait gain de cause, il pourrait être payé. C’est particulièrement pertinent si cela permet d’ensuite régler le litige à la Cour des petites créances à moindre coût, ou si l’hypothèque légale entre en conflit avec vos obligations envers votre prêteur hypothécaire.

*Source : Commission de la construction du Québec, avril 2022

Consultez le document Analyse de données sur l’hypothèque légale de la construction par l’ACQC

La suite

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Les nouvelles poutres conformes sont prêtes à être installées. On peut voir en arrière le plancher du troisième étage.

Quelle est votre vision à long terme pour votre projet ?

Mélanie : J’ai investi tellement de temps et d’argent que je souhaite terminer le projet avec une autre équipe. Cependant, la réalité rattrape : le budget a fondu avec cet entrepreneur dont les travaux sont à refaire. Je suis en réflexion en ce moment.