Après avoir fait sa marque en immobilier avec des téléréalités sulfureuses comme Selling Sunset et sa petite sœur encore plus déjantée, Selling the OC, Netflix propose Buy My House. Plus terre à terre, l’émission invite des propriétaires à tenter de convaincre quatre investisseurs d’acheter leur maison unifamiliale. Divertissant à première vue, le concept a déçu deux courtiers québécois interrogés.

Les créateurs, à qui l’ont doit également les émissions Dream Home et Extreme Makeover : Home Edition, n’ont pas convaincu Mark-André Martel, du Groupe Sutton. « J’ai trouvé ça triste, dit-il. Je voyais des gens arriver avec leur histoire de vie devant des investisseurs qui finissent par leur faire une offre trop basse. Ce sont des requins qui leur enlèvent une partie de leur [valeur nette réelle]. »

À première vue, on a pourtant l’impression que Pamela Liebman, Glenn Kelman, Danisha Wrighster et Brandon Copeland sont des investisseurs babas cool, sympathiques et capables de s’émouvoir devant les humains qui se présentent devant eux.

C’est de la frime, selon Nathalie Bégin, de RE/MAX. « Les investisseurs ne vont jamais se laisser attendrir et offrir des centaines de milliers de dollars par émotion, affirme-t-elle. Pour eux, c’est le rendement avant tout. Ils vont toujours écouter le beau petit couple avant de lui faire une offre ridicule. »

Les risques avantageux du marché

Elle croit que la grande majorité des vendeurs vus dans l’émission, mise en ligne le 2 septembre dernier, auraient eu intérêt à tester le marché. « Ils n’auraient pas dû prendre le risque de perdre de 50 000 à 100 000 $, mais plutôt mettre leur propriété sur le marché pour rejoindre le grand public. »

L’intérêt émotif de monsieur et madame Tout-le-Monde entre alors en jeu. « Plusieurs facteurs poussent les acheteurs à payer plus que la valeur, alors qu’un investisseur ne pense qu’à la rentabilité. »

Mark-André Martel préfère lui aussi démontrer la valeur d’une propriété plutôt que de la laisser filer à un prix jugé trop bas. « Quand une maison est affichée à 850 000 $ et que mes clients reçoivent des offres de 700 000 $, j’aime réussir à la vendre au prix demandé ou plus encore, après avoir démontré que ce n’était pas nécessaire de considérer les offres très basses. »

Il est aussi d’avis que Buy My House n’aurait pas dû combiner investisseurs et particuliers.

C’est très clair dans ce contexte que les investisseurs sont obligés d’acheter moins cher pour faire un profit à la revente. Mais pour le vendeur, il n’y a rien de bon là-dedans.

Mark-André Martel, du Groupe Sutton

Nathalie Bégin croit que le concept aurait gagné en intérêt s’il avait été question de propriétaires de multiplex et non d’unifamiliales. « Quand tu vends un immeuble à revenus et que tu compares les chiffres, c’est différent, explique-t-elle. Dans le cas de Buy My House, ce sont des petits couples, et non des investisseurs pour la plupart, qui vendent à des gens intéressés seulement par l’argent. »

Préparer ses arguments

Ayant la qualité de son défaut, l’émission met en relief la nécessité de connaître les comparables avant de vendre. « D’une part, les participants qui ont de bons arguments finissent par ne pas vendre leur maison aux investisseurs, car ils sont plus au courant, explique M. Martel. D’autre part, les investisseurs ne feront pas de mise s’ils ne se sentent pas assez connaisseurs d’un territoire. »

Le courtier a d’ailleurs eu l’impression que le bagage de connaissances des uns et des autres était presque toujours en déséquilibre. « C’est comme si un gars qui fait du karaté depuis des années venait me voir pour un combat : il va me désarmer complètement. Ce n’est pas juste pour les vendeurs. Ils font face à des investisseurs qui savent très bien ce qu’ils doivent faire pour faire de l’argent. »

Bien que Buy My House s’attarde à plusieurs marchés aux États-Unis, Mark-André Martel croit que l’émission de Netflix a le mérite de montrer les risques de faire affaire avec des investisseurs.

Dans n’importe quel marché, si tu parles à des investisseurs, ils vont acheter de 10 à 30 % moins que la valeur de ta maison, en prétextant qu’ils vont te la payer rapidement et que tu économises des frais de courtier.

Mark-André Martel, du Groupe Sutton

Pourtant, les investisseurs eux-mêmes devront en payer en revendant. « Si une maison vaut 850 000 $ et qu’ils se disent obligés de l’acheter 700 000 $, c’est parce qu’ils ont pris en considération les frais de courtage qu’ils vont payer plus tard et qu’ils cherchent à faire un profit sur le dos des vendeurs. »

Son constat est clair : « Faire appel à des investisseurs, c’est pour des gens pressés et mal conseillés qui vont vendre à perte. »