En sabrant le champagne pour la nouvelle année 2021, Anne Genest et Joan Roch avaient pris deux résolutions : se marier et restaurer leur vieille grange envahie par la végétation et quelques moufettes. Le jour précédant la noce, la survivante fut prête à accueillir les invités. Cet artefact d’une autre époque est devenu le lieu qui unit toutes leurs passions.

La silhouette du pont Jacques-Cartier et les tours de bureaux s’éclipsent à peine qu’une autre dimension se dessine. Une illusion de village à quelques lieues de l’agitation de la ville. C’est dans ce vibrant méli-mélo du Vieux-Longueuil, où les reliques côtoient le moderne, qu’Anne Genest et Joan Roch se sont découvert des atomes crochus. Coup de foudre sur thématique de littérature et de course à pied. Quelque temps plus tard, ils rassemblaient leurs quatre enfants sous le même toit.

Leur maison d’époque, aux airs de cabane à sucre, a des origines obscures que certains situent entre le début et le milieu du XIXsiècle. Elle fut probablement l’une des rares occupantes de ce territoire qui aurait jadis abrité les écuries de Charles Le Moyne, selon la rumeur… Quoi qu’il en soit, son charme rustique est indéniable, discordant dans l’urbanité. Le terrain recèle par ailleurs d’autres joyaux, le plus précieux étant un bâtiment de ferme que certains auraient pu vouloir démolir, mais dont le couple a su déceler tout le potentiel.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

La vieille grange, d’une superficie de 20 pi sur 40 pi, a été redressée et entièrement restaurée par Maisons traditionnelles des patriotes. L’intérieur se déploie sur deux niveaux, le rez-de-chaussée étant consacré au gym tandis qu’une mezzanine accueille le bureau.

« La voie de la facilité aurait été de tout détruire. L’intérieur était dangereux et l’extérieur lugubre, mais on a plutôt choisi de la sauver », raconte Anne Genest. Grâce à l’intervention d’un entrepreneur motivé et amoureux des maisons d’époque, sa façade a été redressée de 4 po, l’intérieur, entièrement refait, tandis qu’une dalle de béton coulée à sa base lui donne maintenant de solides assises.

Le projet de reconstruction a commencé en avril et s’est prolongé jusqu’au dit jour de septembre où les alliances ont été échangées. « Je ne voulais pas me marier sur un champ de bouette. Avant de partir en vacances au mois d’août, on a semé en se disant : advienne que pourra ! Quand on est revenus, le terrain était vert et gazonné », enchaîne sa propriétaire avec un ravissement encore palpable.

On y a cru et on y est arrivés, même si c’est de justesse. S’il y a une chose que m’a apprise la course à pied, c’est qu’on finit par se rendre à la ligne d’arrivée. Un pas à la fois.

Anne Genest, écrivaine et marathonienne

S’entraîner avec un horizon

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La corde de combat accrochée au mur permet de travailler les muscles des bras en même temps que le cardio. La dalle de béton poli a servi à stabiliser la base de la grange, mais elle est un parfait sol pour s’entraîner.

Chaque matin, le couple quitte son domicile pour s’entraîner à quelques pas de chez lui. Vingt pas, pour être précis. Ceux qui séparent la maison de son gym personnel. Aménagé dans l’ancien bâtiment de ferme, l’espace accueille un équipement à faire pâlir de jalousie un marathonien. Anne et Joan en sont justement. Après une routine composée de squats, de levées de poids, de boxe, de course sur tapis roulant et d’autres exercices connus des sportifs, ils se rendent à leur bureau situé sur la mezzanine. Un 9 à 5 enviable, parsemé de moments de détente et d’efforts dans leur espace d’entraînement.

Dès le départ, ils ont su qu’ils transformeraient l’endroit en bureau et en salle de jeux, un lieu ludique pour deux sportifs passionnés de course à pied. Cet intérêt n’est en rien associé à la performance, disent-ils, mais au plaisir.

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Une porte d’Artemano haute de 8 pi, que Joan Roch avait repérée il y a quelques années, a trouvé sa place sur la mezzanine et délimite l’espace bureau.

Pour l’autrice, il est l’occasion de faire le vide, de rassembler ses idées pour l’écriture, de rêvasser. Joan, qui fait de la photo, entre autres choses — il a aussi publié deux récits d’aventures, Ultra-ordinaire : Journal d’un coureur et Odyssée d’un coureur : Ultra-ordinaire tome 2 —, en profite pour créer. Ses clichés, capturés dans différents coins de la ville, le présentent en action dans les environnements qu’il visite au pas de course et devaient faire l’objet d’une exposition. À défaut d’avoir pu être présentées en temps de COVID-19, elles ajoutent désormais plus d’âme à la grange, sereine et chaleureuse, à mille lieues des gyms tonitruants où ils n’ont d’ailleurs jamais mis les pieds.

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Une structure composée de tuyaux de plomberie, greffés à une poutre d’origine, accueille des anneaux, élastiques, barres de suspension et autres accessoires utilisant la masse corporelle. Des barres ont été installées à hauteur d’enfants.

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Les deux ultramarathoniens abattent des kilomètres de distance sans bouger de chez eux. Leur garage leur permet de le faire à la chaleur à coup de deux ou trois heures d’entraînement par jour, fragmentées en petits parcours.

« Cette rénovation a été un investissement dans notre santé, mais aussi dans celle de nos enfants », raconte l’écrivaine dont le prochain roman, La sueur est un désir d’évaporation, met la course à pied au cœur de l’histoire. « On court comme on respire. C’est devenu un besoin », ajoute-t-elle, tandis qu’Haruki, le félin de la maison, baptisé du nom de leur auteur préféré, Haruki Murakami, écoute ses maîtres raconter leurs débuts avec une langueur alimentée par quelques rayons de soleil plombant sur son pelage.

Chaque petit pas mène quelque part

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Les photos prises par Joan ornent les murs de l’espace d’entraînement qui fait aussi office de galerie d’art.

Le couple le confirme : 2022 sera l’année où naîtra peut-être une balado sur la course à pied, diffusée de la grange, et officiellement celle de l’Ultra Run Raramuri, une épreuve de 190 km en 60 heures à travers les villages du Chihuahua, au Mexique, et pour laquelle il s’entraîne déjà depuis des mois. « Même si les excuses pour ne pas s’entraîner ou aller travailler sont parfois faciles à trouver, on a tellement de plaisir à être dans notre grange que c’est un privilège », souligne Joan.

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Des pièces récupérées dans la grange et d’autres bâtiments anciens préservent le côté rustique du bâtiment.

L’intérieur sent bon le bois. Une odeur réconfortante. La lumière y est belle et on y entend le chant des oiseaux de la mezzanine. « En tant qu’écrivaine, j’ai besoin de silence. J’ai enfin une chambre à moi, confie Anne, le regard pétillant. La pandémie nous a encouragés à nous faire une petite bulle confortable. On ouvre la porte de la grange et tout de suite, on se sent en vacances ! Cette grange est notre “chalet” à la maison. »