La surenchère immobilière complique la tâche des couples qui se séparent : soit le prix pour racheter la part de l’autre a décuplé, soit la relocalisation est ardue à cause des prix très élevés des habitations sur le marché.

Dans les négociations liées aux séparations, en temps de pandémie, le partage des biens immobiliers a pris une place prépondérante. « Généralement, on parle d’abord de la garde des enfants, indique Véronique Cyr, avocate et médiatrice familiale à Montréal. Mais depuis le début de la pandémie, la priorité, c’est souvent de mettre la maison en vente… parce que les couples veulent l’argent, et ils le veulent tout de suite. »

Et qui dit vente dit rachat… soit de la part de l’autre, soit d’un nouveau toit. Cela engendre du stress et de la mésentente, selon plusieurs médiatrices familiales réunies en table ronde pour discuter de séparation de couples depuis le début de la pandémie. « Dans bien des cas, le parent le plus favorisé économiquement garde la maison familiale et l’autre cherche une propriété accessible, à une distance raisonnable, pour faciliter la garde partagée, indique Catherine Bamber, avocate et médiatrice familiale à Longueuil. La bulle immobilière rend cette recherche très difficile. »

Par ailleurs, la personne qui se sépare et souhaite racheter la part de l’autre se trouve en mauvaise posture : l’escalade des prix réduit grandement ses options. « Cette personne rachète à un moment très particulier, souligne Mylène Masse, avocate et médiatrice à Montréal. Si on avait fait ça quelques mois avant ou quelques mois après, ç’aurait été bien différent. »

C’est ce qui est arrivé à Claudia Conti, une Lavalloise de 45 ans qui s’est retrouvée face à un mur. Privée d’une partie de ses revenus en raison d’une baisse des heures travaillées à cause de la pandémie, cette adjointe administrative était incapable de racheter la part de la maison unifamiliale qu’elle partageait avec son conjoint des 18 dernières années. « J’ai cherché pendant six mois un condo près de l’école des enfants, confie cette mère de deux garçons de 5 et 10 ans. J’ai dû me résoudre à louer un appartement, le temps que le jeu se calme… »

En plus d’être plongée dans une situation éprouvante, Mme Conti a trouvé épuisante cette recherche frénétique de logement. Elle n’est pas la seule.

Se séparer, c’est toujours une situation stressante et difficile, mais dans le contexte actuel, ce l’est encore plus à cause des enjeux liés au contexte immobilier. En tant que courtier, il faut gérer les attentes des clients… et se transformer en médiateur, en psychologue, en coach.

Gaston Crevier-Bélanger, courtier immobilier depuis 20 ans

Hausse de gens séparés qui cherchent un logement

Martin Lemay a lui aussi vu son rôle de courtier immobilier transformé par la pandémie : la gestion des émotions de ses clients prend plus de place, soutient-il. « On a toujours eu un rôle de conseiller, mais là, c’est encore plus présent, note-t-il. Il faut être rassurant, compréhensif, à l’écoute tout en étant rapide. » Il estime que parmi sa clientèle, le nombre de couples nouvellement séparés à la recherche d’un logement a doublé.

PHOTO SHANNON STAPLETON, REUTERS

Quand les beaux jours d'un couple sont terminés, la situation peut se corser.

Même son de cloche à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ), où le président du conseil d’administration, Marc Lacasse, aussi courtier, a sondé les membres. « La pandémie a eu un effet direct sur les couples et on voit une hausse de gens séparés qui se cherchent un logement, que ce soit un condo ou une maison, dit-il. On constate aussi qu’il y a plus d’anxiété et d’impatience chez ces gens. Parfois, ça mène à plus d’agressivité. »

La rareté des logements ainsi que les prix gonflés poussent les ex-conjoints à se tourner vers le marché de la location. « La grande majorité d’entre eux vont faire ce choix, qu’ils aient la capacité financière ou pas d’acheter une maison », précise M. Lacasse.

Geneviève Langevin, courtière, observe que beaucoup de couples séparés décident de louer et de partager un appartement à une distance raisonnable de la maison familiale. « Pour le bien-être de la famille, ils vont séparer la garde des enfants dans la maison, à tour de rôle. C’est une façon de ne pas dénaturer la routine, et c’est particulièrement vrai lorsque des enfants en bas âge sont impliqués. »

S’éloigner, mais à quel prix ?

Certains ex-conjoints choisissent de s’éloigner… quitte à assurer le transport vers l’école ou la garderie lorsqu’ils ont la garde des enfants. Si la circulation est présentement moins intense qu’avant la pandémie, en raison du fort taux de travailleurs encore en télétravail, qu’en sera-t-il en septembre ou en janvier prochains ?

« Le premier choix, c’est toujours d’habiter dans l’aire de desserte de l’école, explique M. Lacasse. Mais une personne seule n’aura peut-être pas les moyens financiers de rester à Montréal, alors elle choisira la couronne nord ou sud, par exemple Blainville ou Sainte-Julie. Elle devra vivre avec les contraintes du voyagement par la suite… Et il s’agit là d’un élément incertain : quel sera le modèle de travail post-pandémie ? »

Et ce n’est pas qu’à Montréal ou dans les centres urbains du Québec que la situation est difficile pour les couples qui se séparent : la surchauffe des prix est provinciale. « Les maisons abordables se vendent comme des petits pains partout au Québec », rappelle M. Lacasse.