(Ogden) Ferme Granite Farm. Le nom était choisi avant même leur arrivée. « Ferme Granite Farm 1981 » : telle est l’inscription qui se trouve sur l’un des murs de la grange qui est désormais la leur. Et 1981, c’est leur année de naissance à tous les deux. Catherine Laporte (Cath Laporte, de son nom d’artiste) et Rémi Poirier y ont vu le signe que cette propriété leur était destinée et que le moment était venu de quitter la ville pour s’établir à Ogden, un coin de la campagne estrienne bordé par le lac Memphrémagog, situé à quelques kilomètres de la frontière américaine.
« Ne cherchez pas un point sur la carte représentant la municipalité d’Ogden : il n’y en a pas, est-il écrit sur le site de la municipalité. Ogden n’est ni une ville ni un village. […] Ogden est plutôt représentée par un écheveau de petites routes de campagne où chaque croisement abrite ce qui reste des agglomérations du siècle dernier. »
Le couple de Montréalais s’est donc établi sur une de ces routes de campagne en mars dernier. Le 13 mars, jour où tout a basculé au Québec en raison de la pandémie, ils signaient l’offre d’achat de leur nouvelle propriété : une maison construite en 1897, érigée sur un terrain de 25 acres, où on trouve également une grange, un étang, une forêt de pins et… un terrain de tennis. Le tout entièrement meublé, accessoires de bébé et robe de mariée inclus !
« Rémi a toujours rêvé d’avoir une ferme, raconte Cath Laporte, artiste visuelle native de Magog et, accessoirement, ancienne végétarienne. Il regardait des fermes sur l’internet et je commençais à me demander si j’aimerais ça. Une amie m’a envoyé le lien d’une petite fermette pas loin d’ici et mon père m’a rappelé qu’on était venus à Ogden à vélo. On a eu le flash de cette journée et on s’est dit : ‟C’est là qu’on veut habiter !” Puis, on est tombés sur cette maison. »
Ils ont acheté la propriété des petits-enfants de l’ancien propriétaire, qui l’utilisait comme résidence secondaire. Dans le passé, des courses de chevaux ont été tenues à cet endroit, mais la terre n’était pas exploitée depuis plusieurs années. Petit à petit, animés par l’approche de l’agriculteur Jean-Martin Fortier, ils comptent redonner vie à la Ferme Granite Farm. « On aimerait faire des paniers et avoir un kiosque à la ferme », explique Rémi Poirier, un ancien de la campagne qui habitait en ville depuis une dizaine d’années.
On va commencer tranquillement. On part avec pas d’expérience. C’est stressant. Mais on se fixe des objectifs raisonnables pour expérimenter, le temps d’établir la ferme et de voir ce qu’on veut prioriser.
Rémi Poirier
Conducteur de train chez VIA Rail, à l’arrêt en raison de la pandémie, il a mis son temps à profit au cours des derniers mois pour suivre des formations en ligne, démarrer un potager et construire un poulailler mobile. « Il y a des agriculteurs super inspirants qui te disent que c’est possible d’avoir un projet avec 25 acres, sans avoir une famille derrière ou sans partir avec 1 million de dollars de dettes et de vivre de ça », constate-t-il.
Des poules, des légumes, puis on verra
Ils ont commencé par l’achat d’une dizaine de poules, dont des Chanteclerc, race patrimoniale, nourries à « la mère » de kombucha, au levain et à la tisane au thym. Et un potager. La suite viendra, tranquillement. L’hiver qui se profile sera l’occasion de prendre du recul et de planifier l’avenir.
Celle qui a connu le rythme effréné du travail en agence de publicité, notamment à Amsterdam, a maintenant envie de prendre son temps. « [La devise de] la ferme, c’est ‟Croître ensemble — Unite in Growth”, dit Cath Laporte. C’est laisser le temps aux choses de pousser, à nous comme humains d’apprendre du sol, de la nature, des légumes, des animaux et des gens qui viennent avec nous. »
On a des amis qui viennent avec leurs enfants et c’est vraiment touchant de voir leurs yeux briller. Je vois qu’il y a quelque chose qui se passe avec le lieu et avec nous en étant dans ce lieu.
Cath Laporte
Prudents, les nouveaux agriculteurs ont décidé de conserver le duplex qu’ils possèdent à Montréal. Ils louent l’appartement à l’étage et ont pris un colocataire pour le logement du rez-de-chaussée qui leur sert de pied-à-terre lorsque leurs obligations professionnelles les amènent en ville. « C’est un immense privilège qu’on a, réfléchit Catherine. Le plus gros stress qu’on voit dans les fermettes, c’est l’argent. »
Pour l’instant, la ville ne leur manque pas. « N’importe quand avant dans ma vie, je pense que je n’aurais pas pu être ici, dit celle qui a aménagé son studio d’artiste à l’arrière de la maison. Je remercie mon intuition, c’est comme si c’est arrivé au parfait moment. Ça a bougé, j’ai fait le party. Là, on se couche à 21 h et on se lève à 6 h ! »
« Peut-être moins Rémi, mais moi, je me surprends chaque jour, dit-elle à propos de sa nouvelle vie à la ferme. Enfant, je jouais toujours dehors, j’ai fait beaucoup de plein air, mais jamais de travail de ferme. Étant quelqu’un d’hypersensible, d’avoir quelque chose de très concret, je réalise que ça me fait du bien. »
Elle cite l’autrice Dalie Giroux qui, dans son essai Parler en Amérique, a écrit : « s’allier aux lieux concrets de la vie ». « C’est ça, dit l’artiste. Tout le monde qui est en campagne vous dira la même affaire. »