« Au cours des dernières décennies, on a assisté à une progression marquée de l’économie, la productivité a considérablement augmenté dans tous les domaines, sauf un. C’est le milieu de la construction qui tire la courbe de la productivité industrielle vers le bas. Tous les secteurs ont eu recours à des améliorations technologiques, sauf un. »

Professeur titulaire à la faculté d’aménagement de l’Université de Montréal, l’architecte Roger-Bruno Richard ne mâche pas ses mots quand vient le temps d’aborder la question des maisons usinées, qu’il préfère d’ailleurs qualifier de systèmes constructifs industrialisés (SCI). « Les maisons usinées sont nettement supérieures à celles construites de façon traditionnelle, affirme le chercheur qui se spécialise depuis plus de 40 ans dans l’étude des SCI. Les conditions de travail en usine sont meilleures qu’en chantier, le contrôle de qualité est supérieur et les efforts structuraux du bâtiment sont renforcés de façon à résister au transport et à la manutention. » Sans compter l’économie de matériel, la possibilité de facilement personnaliser les projets ainsi qu’un délai de construction considérablement réduit — on peut livrer les modules complets en aussi peu que cinq jours.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Les composantes des maisons usinées sont fabriquées en suivant des gabarits manufacturiers précis.

Ces avantages sont d’ailleurs consignés dans un article publié par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) en mars 2018, qui souligne que « l’utilisation d’équipement et de processus de fabrication précis peut améliorer l’étanchéité à l’air et le contrôle de la qualité dans son ensemble ». Étonnamment, la SCHL administre un programme d’accès à la propriété qui ne place pas les maisons traditionnelles et usinées sur le même pied. En effet, les maisons usinées n’ont pas droit aux pleins avantages de l’Incitatif à l’achat d’une première propriété, programme fédéral de soutien hypothécaire lancé l’automne dernier dans le cadre de la Stratégie nationale de logement. Ainsi, alors que les premiers acheteurs de maisons traditionnelles peuvent bénéficier d’une aide hypothécaire allant jusqu’à 10 %, ceux qui se tournent vers des maisons usinées sont limités à une contribution de 5 %.

En fait, la mouture originale du programme n’incluait même pas les maisons usinées, sous prétexte qu’il existe « des écarts entre les provinces et les territoires dans la nomenclature et les règlements relatifs au secteur des maisons préfabriquées », selon Maya Dura, conseillère principale aux communications au cabinet du ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social. « Après de nombreuses délibérations, nous avons conclu que nous ne voulions pas exclure complètement les maisons mobiles et usinées et avons décidé de permettre qu’elles soient admissibles à un incitatif de 5 % », indique Mme Dura.

PHOTO FOURNIE PAR LES INDUSTRIES BONNEVILLE

Les manufacturiers de maisons usinées ont de plus en plus diversifié leurs activités, si bien qu’ils fabriquent aujourd’hui des modules pour édifices d’habitation comme le Loggia Saint-Lambert, premier immeuble modulaire de six étages avec une structure de bois au Canada.

Roger-Bruno Richard sursaute quand on amalgame maisons mobiles et maisons usinées. « Il est inacceptable de confondre les deux, affirme-t-il sans hésiter. Les maisons mobiles n’ont pas besoin de répondre au Code national du bâtiment, contrairement aux maisons usinées. Il aurait fallu seulement exiger que les maisons admissibles au programme répondent au Code national du bâtiment, un dénominateur commun partout au Canada. »

Selon le chercheur qui a été directeur de l’École d’architecture de l’Université de Montréal de 1989 à 1999, les maisons usinées souffrent de l’ignorance du public, mais aussi de certains intervenants dans le milieu de la construction. « Les gens ne connaissent pas ce que sont les SCI, explique-t-il. Et bien sûr qu’il y a des lobbys. Les organismes publics et gouvernementaux sont à l’écoute de tout le monde et doivent ajuster le tir. »

Limites

Comme le professeur Richard, Simon-Pierre Fortier est l’un des architectes cités dans un article publié au printemps dans le magazine Esquisses à propos des avantages de la construction modulaire. « À coût égal, je privilégierais les maisons usinées à cause de la qualité de la construction », soutient le chargé de projet du bureau STGM. Il évoque notamment la pluie qui peut s’abattre sur une maison pendant les trois mois où elle est en chantier. Il peut arriver que des ouvriers n’attendent pas « que l’isolant sèche avant d’installer les membranes d’étanchéité, explique-t-il. On emprisonne ainsi l’humidité à l’intérieur du mur, mais c’est certain qu’elle va finir par sortir de là ».

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Deux types de construction usinée existent, soit les modules complets, soit les panneaux modulaires à assembler sur le chantier, tels que les structures préfabriquées en ossature légère de bois (murs, planchers ou fermes de toit).

On parle ainsi de problèmes qui vont surgir à plus ou moins long terme et qui s’ajoutent à la facture de construction initiale. « Sur la durée de vie totale d’un bâtiment, on estime qu’une maison usinée coûte 5 % moins cher à l’entretien et en réparations », soutient Yves Côté, coordonnateur de la Société québécoise des manufacturiers d’habitation, qui regroupe la plupart des fabricants de maisons usinées de la province.

Les systèmes constructifs industrialisés affichent néanmoins leurs limites dans certaines circonstances, principalement dans le cas de projets architecturaux complexes.

Si on veut des constructions qui sortent du moule, c’est plus compliqué. Dans le milieu traditionnel, les ajustements se font à mesure que les travaux progressent. Mais quand les modules préfabriqués arrivent et dépassent les fondations d’un pouce ou deux, c’est un problème. Il faut donc d’abord faire appel à un arpenteur qui va venir sur le terrain et qui va contrôler la disposition des fondations avec des outils précis.

Simon-Pierre Fortier

Malgré tout, les manufacturiers de maisons usinées ont augmenté leur volume d’affaires au cours des 10 dernières années en dépit du fait que le nombre total de mises en chantier de résidences unifamiliales a chuté de moitié de 2010 à 2019, selon les plus récents chiffres du profil statistique de l’habitation du Québec. Ils figurent aussi avantageusement au programme Garantie de construction résidentielle, un organisme à but non lucratif qui a pour mandat d’administrer le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs au Québec.

Les systèmes constructifs industrialisés devraient donc continuer de croître au Québec, qui se distingue sur le marché nord-américain avec une vingtaine de manufacturiers. « Pour l’instant, ce n’est pas encore suffisamment connu et compris d’industrialiser le bâtiment, affirme Roger-Bruno Richard. Mais plus on peut reconnaître les avantages des SCI, plus on pourra augmenter le volume de production, ce qui permettra aux manufacturiers d’avoir un meilleur outillage. Ils auront la possibilité de construire des modules avec des joints mécaniques, ce qui permet de démonter et de reconfigurer les bâtiments sans les démolir, comme on le voit en Europe et au Japon. La maison ne devrait pas être quelque chose de figé dans le temps, parce que les résidants, eux, ne le sont pas. »