Vous n'avez pas peur des chats noirs et vous ne craignez pas de marcher sous une échelle, mais oseriez-vous habiter au numéro 13 ou au numéro 666?

La question est sérieuse. Après tout, Ronald Reagan et sa femme Nancy ont refusé d'emménager dans une maison portant le «chiffre du diable» et fait modifier leur adresse de Bel Air - 666, St. Cloud Road - pour le 668, lorsqu'ils ont quitté la Maison-Blanche, en 1989. Ils étaient superstitieux ou rationnels: l'adresse civique d'une propriété pourrait influencer sa valeur.

C'est du moins le constat dressé par une firme d'agents immobiliers britannique, Zoopla, qui a découvert lors d'une enquête menée au Royaume-Uni que les maisons situées au numéro 13 valent en moyenne 4000 livres (6250$) de moins que leurs voisines similaires situées aux 11, 12, 14 ou 15 de la même rue, soit un écart de 2% environ.

Les acquéreurs qui ne sont pas superstitieux ou - pire - atteints de triskaïdékaphobie (la phobie du nombre 13) pourraient en profiter pour faire de bonnes affaires. À condition de trouver des offres: un peu plus du quart des rues britanniques ne possèdent pas de numéro 13, révèle aussi l'enquête de Zoopla. Des municipalités du Royaume-Uni ont tout bonnement décidé de bannir l'usage du numéro 13 dans les nouveaux développements.

«Je ne suis pas tellement surpris, note François Des Rosiers, professeur de gestion urbaine et immobilière à l'Université Laval. Après tout, les consommateurs se montrent souvent superstitieux dans d'autres contextes. Par exemple, il n'y a généralement pas de 13e étage dans les hôtels.» Bruce Firestone, professeur spécialisé en immobilier à l'Université d'Ottawa, va plus loin et pense que l'adresse peut avoir un impact aussi néfaste que le fait qu'un occupant ait trouvé la mort dans la demeure en vente.

Au Canada

Si aucune étude du genre n'a été menée ici, cela ne veut pas dire que les Canadiens ne sont pas un poil superstitieux aussi. Laval a déjà reçu des demandes de promoteurs pour sauter le numéro 13 lors de l'attribution des adresses. «Certaines requêtes, effectuées il y a très longtemps, ont été acceptées, confirme la porte-parole Nadine Lussier. Mais les plus récentes sont refusées parce que ça a une incidence sur les plans de développement.»

Dans le cas d'une construction neuve, si un entrepreneur achète plusieurs lots couvrant plusieurs adresses civiques, il sera généralement libre de choisir le numéro de son choix. «Et on n'opterait jamais pour le 13. C'est un numéro à bannir!» lance Louis Conrad Migneault, vice-président aux opérations de DevMcGill. C'est ainsi que ce promoteur, comme bien d'autres d'ailleurs, rivalise d'astuces pour éviter le nombre même dans ses immeubles de plus de 15 étages. Dans le récent complexe m9, des lofts deux fois plus hauts que les autres ont été prévus au 12e étage, de sorte qu'ils accaparent tout l'espace prévu entre le 12e et le 14e étage. Les ascenseurs filent du 12e au 14e plancher, sans arrêt possible entre les deux.

Dans le projet Panorama, sur l'Île-des-Soeurs, le problème a été contourné en nommant plutôt qu'en numérotant les derniers étages. Du coup, personne n'habite officiellement au 13e étage.

Le 8 et le 9

Cela dit, l'absence de numéro 13 est loin d'être une norme. Valérie Lacasse a acheté l'an dernier une maison neuve à Gatineau à cette adresse. «Mon conjoint a pris la peine de me demander si cela m'embêtait, mais non. C'est ma date de fête, alors je vois plutôt ça comme un signe de chance», dit la jeune femme.

Des agents immobiliers notent aussi que ce ne sont pas le 13 et le 666 qui attirent le plus leur attention sur une fiche de vente, mais plutôt le 8 et le 9, associés dans la culture chinoise à la prospérité et à la longévité. Bruce Firestone a même développé une grille pour mieux répondre aux questions de ses clients sensibles à ces croyances et aux préceptes du feng shui. Et dans ce cas, à l'inverse, l'adresse aurait un effet stimulant sur les prix de vente.