«Mais il faut travailler deux fois plus fort. Au lieu d'une semaine comme avant, il faut attendre un, deux ou trois mois», raconte Jeanne Carpentier, un agent immobilier qui travaille dans le nord de l'île de Montréal pour Royal Lepage Prestige.

«Mais il faut travailler deux fois plus fort. Au lieu d'une semaine comme avant, il faut attendre un, deux ou trois mois», raconte Jeanne Carpentier, un agent immobilier qui travaille dans le nord de l'île de Montréal pour Royal Lepage Prestige.

Beaucoup de vendeurs ne réalisent pas que le marché s'est calmé. Ils demandent trop cher et perdent leur temps. Une fois sur cinq, Mme Carpentier est obligée de réviser le prix à la baisse. Parfois, elle doit réviser le prix trois fois ! On est loin du temps où les condos allaient au plus offrant. Aujourd'hui, les acheteurs ont le choix. Ils peuvent se permettre de négocier.

Celui qui cherche un condo à 250 000 $ dans le Plateau-Mont-Royal peut en visiter 20 dans une journée. «On voit des transactions tomber pour 5000 $ de différence. Il faut être extrêmement précis dans le prix demandé», signale Yvan Dupas, directeur de Plateau Immobilier.

Selon lui, il est particulièrement difficile de vendre un condo de grande superficie d'une valeur supérieure à 350 000 $, surtout s'il n'a rien de particulier, comme une terrasse fantastique, une troisième chambre ou une cuisine incomparable avec les électroménagers en inox inclus.

Pour susciter les coups de coeur, la décoration et la mise en valeur sont de plus en plus nécessaires, comme c'est déjà le cas dans le marché du condo luxueux à Toronto, explique M. Dupas. Une consultation coûte de 600 $ à 1000 $. Il faudra peut-être repeindre, déplacer les meubles ou louer un entrepôt afin de vider le condo surchargé. Cela permettra de vendre plus vite mais pas plus cher.

Un bel aménagement est encore plus important pour les condos bâtis récemment qui sont en concurrence avec plusieurs unités identiques à vendre dans le même projet. Mais la lutte pour vendre est encore plus féroce lorsque l'entrepreneur a encore des unités neuves en stock dont il fait la promotion avec un condo modèle tiré à quatre épingles. Jugez vous-même

Présentement, dans le projet des Bois-Francs, à Saint-Laurent, des propriétaires de maisons en rangée en copropriété construites il y a peu de temps demandent entre 449 000 $ et 479 000 $. De son côté, l'entrepreneur achève la dernière phase du projet. Il demande 430 000 $ pour le même modèle, avec de plus beaux planchers et plus de caractéristiques.

L'acheteur n'hésitera pas longtemps, dit Mme Carpentier. Pour 20 000 $ à 40 000 $ de moins, il achètera un condo neuf dans lequel il déterminera lui même les divisions et les détails de la finition.

La prudence est de mise!

Il ne faut pas crier au loup. Mais la prudence est de mise. Le condo aura la vie plus difficile en 2007. Le prix des copropriétés dans le grand Montréal augmentera de seulement 3 %, selon la Société canadienne d'hypothèque et de logement (SCHL). C'est inférieur à la hausse prévue du côté des maisons individuelles et des immeubles locatifs (+5 %). Dans la région de Québec, les attentes sont semblables.

On est très loin des hausses spectaculaires de près de 20 % enregistrées au début des années 2000.

«On assiste présentement à un repli stratégique, à un essoufflement. Les constructeurs de condos sont optimistes mais prudents», commente Steve Demers, économiste principal à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ).

Enfin, du choix!

Ce n'est pas la demande qui a flanché. Au contraire, les acheteurs sont encore très actifs. C'est plutôt l'offre qui a gonflé. Du côté des immeubles existants, le nombre d'inscriptions d'appartements à vendre a bondi de 20 % dans l'Île de Montréal et de 14 % à Québec.

Du côté des mises en chantier, les constructeurs demeurent fort occupés, même après des années à un train d'enfer. Dans la région de Montréal, le nombre de mises en chantier d'appartements en copropriété a diminué de 7 % en 2006 (de janvier à novembre). C'est seulement 500 de moins qu'en 2005.

À Québec, les mises en chantier n'ont pratiquement pas fondu, même si les responsables municipaux essaient de ralentir la cadence. La nouvelle ville a ciblé des quartiers où elle désire concentrer les projets de construction. Elle évite d'accorder des permis ailleurs pour limiter l'étalement urbain, explique Jean-François Dion, analyste principal à Québec pour la SCHL.

Conséquence de la vigueur des mises en chantier : Les stocks d'appartements neufs invendus ont grimpé. Dans la région de Québec, on dénombre près de 300 unités vides. À Montréal, il y en a 2000, soit quatre fois plus qu'au début des années 2000.

C'est au centre-ville, dans le haut de gamme, que la suroffre est la plus marquée. Si la demande restait inchangée, il faudrait 26 mois pour y écouler toutes les unités invendues et la moitié de celles qui sont présentement en chantier, explique M. Cardinal. C'est ce qu'on définit comme «la durée de l'offre».

Dans d'autres quartiers, la durée s'est aussi étirée. Dans Verdun et à Saint Laurent, il faudrait 15 mois pour écouler tous les condos invendus, ce qui est déjà beaucoup moins problématique.

Du fil à retordre

Les promoteurs commencent à avoir du fil à retordre. Certains ont changé la vocation de leur projet (vente vers location, ou vice versa). D'autres tentent de réduire le prix de vente en retournant à la table à dessin. Ils diminuent un peu la superficie des appartements plutôt que d'abaisser la qualité de la finition.

Quelques-uns ont carrément renoncé à leur projet. Boulevard Saint-Laurent, le SLEB est sous la protection de la loi sur la faillite. Le Saint-François, dans le Vieux Montréal, le W, dans le stationnement de Radio-Canada ou le Martingal, à Laval, n'ont pas décollé. D'autres promoteurs devront patienter trois ou quatre ans avant d'écouler leurs stocks.

Reste à voir si on assistera à des liquidations Plusieurs grands investisseurs américains, israéliens et italiens ont entrepris des projets d'envergure ces dernières années, au centre-ville de Montréal, sans attendre d'en vendre une partie sur plans ce dont le marché n'avait pas l'habitude.

Ces acteurs étrangers ont les reins solides. Mais si la situation se détériore, il n'est pas totalement exclu qu'ils liquident leurs appartements tous en même temps, ce qui entraînerait un repli des prix des logements existants.

Mais il ne faut pas s'en faire outre mesure. «Il n'y a pas de surconstruction. Mis à part le doute qui peut planer sur le centre- ville, ailleurs, on n'en est pas là», assure M. Cardinal.

Les prix plafonnent

Reste que les prix plafonnent après leur ascension du début 2000. «Fini le temps où les promoteurs pouvaient demander 15 % de plus que le projet livré quelques mois avant, lance M. Cardinal. Les acheteurs n'ont plus à se mettre à quatre pattes devant les vendeurs. Il y a plus de choix. Ils peuvent magasiner et négocier.»

Et puis, le portefeuille des acheteurs n'est pas élastique à l'infini. Il y a quelques années, un prix de 300 $ le pied carré semblait farfelu pour un condo neuf au centre-ville. Aujourd'hui, on a dépassé ce prix. Mais les promoteurs se butent à une résistance à 350 $ le pied carré.

Comme tout le monde, Jacques Vincent, coprésident du constructeur Prével, sent la «rigidité» des prix des condos de luxe. Mais il considère que le marché demeure très bon pour les appartements plus petits et moins chers. «Le taux d'inoccupation dans le marché locatif a remonté. Mais ça ne veut pas dire que tout le monde y trouve son compte. Il n'y a pas une offre débordante», dit M. Vincent. Il a donc orienté ses projets vers la clientèle plus jeune qui cherche une solution de rechange à la location.

Pour cette clientèle, le prix est LE facteur déterminant. «C'est ce qui conduit la transaction, alors qu'avant c'était la finition», dit M. Vincent. Ainsi, dans son projet à l'ancienne usine de l'Imperial Tobacco, 60 % des condos se détaillent à moins de 165 000 $. Prével mise sur des unités plus petites que celles qu'il construisait ces dernières années. Plutôt que d'offrir une finition très luxueuse (et coûteuse), le constructeur cherche à se différencier par des éléments distinctifs (grandes fenêtres, plafonds de 14 pi, finition hors du commun, etc.).

La recette fonctionne: la première phase du projet débute avec 56 des 95 unités vendues. «C'est très satisfaisant, car il est fréquent de commencer les travaux avec 50 % de vendu et de les terminer avec encore 25 % des unités à vendre», dit M. Vincent.