Bon ou mauvais, cet idéal doit beaucoup à Frank Lloyd Wright, architecte américain né en 1867 et mort en 1959, à 92 ans. «Il a été l'une des deux grandes influences architecturales du XXe siècle», considère Philippe Lupien, spécialiste en architecture et animateur de l'émission Visite libre, à Télé-Québec. «On ne peut comprendre ce siècle sans Wright et Le Corbusier.»

Bon ou mauvais, cet idéal doit beaucoup à Frank Lloyd Wright, architecte américain né en 1867 et mort en 1959, à 92 ans. «Il a été l'une des deux grandes influences architecturales du XXe siècle», considère Philippe Lupien, spécialiste en architecture et animateur de l'émission Visite libre, à Télé-Québec. «On ne peut comprendre ce siècle sans Wright et Le Corbusier.»

Leur relation en est surtout une d'opposition. Tandis que Le Corbusier, très européen, empilait les logements dans des villes denses, rationnelles, à l'esthétisme recherché, Wright rêvait du jour où chaque Américain posséderait son propre terrain d'un acre.

«Il voyait chacun de ces acres comme un jardin, un petit paradis. C'est en ce sens qu'il a donné à la banlieue ses lettres de noblesse», explique M. Lupien.

Le style Prairie

Lorsque ses drôles de maisons ont commencé à pousser dans son quartier d'Oak Park, dans l'Illinois, Wright s'est attiré les moqueries des voisins. Les toits bas à faible pente, les cheminées massives, les grandes terrasses et le style dépouillé détonnaient par rapport à la mode victorienne au goût du jour. Même chose pour l'usage abondant de matériaux naturels comme la pierre, la brique et le bois.

Avec ses toits débordants à faible pente, ses lucarnes et sa galerie, The Evergreens est typique des résidences de style Prairie qui abondent dans la région du Haut-Saint-François, en Estrie. (Photothèque Le Soleil)

Mais le «style Prairie», nom inspiré par les étendues plates du Midwest américain où il s'est développé, allait confondre les sceptiques. Grâce aux journaux et à des magazines comme House Beautiful, il s'est vite répandu sur tout le continent. Au Canada, il a aussi été popularisé par des disciples de Wright comme Francis C. Sullivan, à Toronto, ou Roger d'Astous, au Québec. En témoignent notamment une église à Repentigny et plusieurs résidences rurales de l'Estrie.

Amateur de musique et de littérature, Frank Lloyd Wright était aussi le «poète de la technologie», a écrit l'Américain Robert Harrison dans un ouvrage intitulé Forêts: Essai sur l'imaginaire occidental. Formé à Chicago au moment où les premiers gratte-ciel au monde y étaient érigés, il a su exploiter le potentiel offert par des matériaux modernes comme le béton armé.

En libérant les murs de leur fonction porteuse, ces nouvelles techniques ont permis de «sortir de la boîte», c'est-à-dire ouvrir les maisons sur l'extérieur. De grandes surfaces vitrées pouvaient être «suspendues» entre plancher et plafond. Les cloisons intérieures étaient supprimées. L'éclairage naturel était ainsi décuplé.

Cet aspect a fait la renommée des édifices publics de Wright comme le Larkin Building, à Buffalo, ou le musée Guggenheim de New York.

L'homme dans la nature

S'il a connu du succès comme designer urbain, Wright demeure avant tout l'architecte des banlieues de son Midwest natal. «Nous, les habitants du Midwest, vivons dans la prairie. La prairie possède une beauté qui lui est propre. Nous devons reconnaître et accentuer cette beauté naturelle, son étendue tranquille», notait-il, en 1908, dans une revue d'architecture.

Selon lui, la ville était par essence néfaste à l'homme, puisqu'elle le plaçait dans un environnement artificiel. Initié très tôt par sa mère aux beautés de la nature, Wright est ensuite embauché sur la ferme de son oncle. Vers la fin de sa vie, il considérera ces années comme les plus instructives.

Son éducation rigoureuse était imprégnée des principes de l'unitarisme, branche du christianisme rejetant la Sainte-Trinité. Par son art, Wright exprimait sa foi en Dieu et dans l'homme.

Contrairement à Le Corbusier qui cherchait à dompter la nature, Wright voulait plutôt s'y fondre, voire l'améliorer. De là, l'horizontalité de maisons se projetant dans toutes les directions, jouant avec la silhouette des collines arides de l'Arizona ou des pentes douces du Wisconsin.

L'exemple le plus célèbre est la Maison de la Cascade, avec ses terrasses grises surplombant une chute naturelle de Pennsylvanie. «La discrétion de la Cascade tient au fait qu'elle [...] incarne une extension des fondations sur lesquelles elle repose», observe Robert Harrison. Ce chef-d'oeuvre impressionne doublement quand on sait qu'il a été dessiné en moins d'une journée, et sans effacer une seule ligne...

Dans le contexte actuel d'étalement urbain inquiétant, «l'acre sacré» de Wright est de plus en plus critiqué. «Avec tous les dommages causés par les pesticides ou le sel répandu dans les rues!» remarque M. Lupien.

Mais à une époque où l'environnement était davantage conçu en termes romantiques que scientifiques, «tout intérêt pour la nature était déjà bien en soi», ajoute l'expert. De ce point de vue, et malgré son legs ambigu, Frank Lloyd Wright pourrait donc figurer parmi les écologistes de la première heure...

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Sources:

Frank Lloyd Wright, Taschen, 2002

La Maison au Québec, Éditions de l'Homme, 2001

Forêts: Essai sur l'imaginaire occidental, Flammarion, 1992