Avec 30 000 postes à combler dans l'industrie d'ici 2008, les entrepreneurs feraient mieux de laisser la chance... aux coureuses.

Avec 30 000 postes à combler dans l'industrie d'ici 2008, les entrepreneurs feraient mieux de laisser la chance... aux coureuses.

En 10 ans, la part des femmes qui travaillent en construction a quadruplé. Impressionnant, à première vue. Reste qu'elles ne représentent pas encore 1 % de la main-d'oeuvre totale.

Seule étudiante dans son groupe de charpenterie-menuiserie, Emily Lawson sait très bien qu'elle devra trouver un employeur qui veut engager une femme.

Lentement mais sûrement, elles augmentent leur présence sur les bancs d'école. À l'École des métiers et occupations de l'industrie de la construction de Québec (EMOICQ), le nombre de leurs demandes d'admission est passé de 25 en 1999-2000 à 91 en 2004-2005. Un intérêt grandissant mais qui ne se traduit pas toujours par une inscription en bonne et due forme. Dans les faits, 22 étudiantes étaient en classe en 1999-2000, contre 48 en 2004-2005.

Cette année, les femmes comptent pour 0,04 % de l'effectif à l'EMOICQ. Elles se concentrent principalement en peinture en bâtiment, carrelage et revêtement souple.

Même si leur présence demeure marginale, il semble que les étudiantes soient bien acceptées. «La fille au départ doit prendre sa place», observe Michel Vachon, enseignant. Les gars, surtout «les jeunes qui n'ont pas connu le monde sexiste de la construction», acceptent bien les femmes et deviennent même protecteurs, constate-t-il.

«À l'école, l'intégration se passe bien, mais quand elles arrivent sur le chantier, elles se butent aux préjugés des employeurs», observe Julie Brunelle, conseillère en orientation à l'EMOICQ. Ils mettent souvent en doute la force physique des candidates.

Toutes les femmes rencontrées font le même constat: elles doivent trimer deux fois plus dur que les hommes pour prouver leur compétence. Et insister. Et persévérer.

Sophie Vézina en a vu de toutes les couleurs. La jeune mère a frappé à une cinquantaine de portes avant d'avoir sa chance. «Oui, on a besoin d'un plâtrier. Vous cherchez du travail pour votre conjoint?», lui a-t-on déjà demandé. Le poste s'est subitement volatilisé lorsque l'employeur a appris que c'était elle qui cherchait du boulot.

Caroline Paquet est confiante de dénicher un emploi à sa sortie de l'école.

Deux entrepreneurs lui ont posé un lapin après lui avoir dit qu'ils la mettraient à l'essai. Et ça continue. Engagée comme apprentie sur un chantier, elle n'a jamais pu y mettre les pieds. Le plâtrier qui avait le statut de compagnon, c'est-à-dire l'employé plus expérimenté qui l'aurait supervisée, refusait de faire équipe avec une femme.

Finalement, elle a pensé postuler chez l'employeur de sa compagne d'études. Mais celle-ci lui a appris qu'il l'avait choisie sachant que, dans la quarantaine, elle ne risquait pas de tomber enceinte! Mme Vézina, elle, a 30 ans et un enfant.

Découragée, elle opte alors pour une approche plus agressive. Elle propose une journée d'essai sans solde. Bingo.

Maryse Beaudoin a quant à elle fait des démarches pendant près de cinq ans. La femme de 39 ans a tout appris sur le tas, en Colombie-Britannique. Puis, elle est revenue au Québec et a fait reconnaître ses compétences. Elle jouit d'un double titre, soit opératrice de pelles mécaniques compagnon (quatre femmes au Québec en 2004) de même qu'opératrice d'équipement lourd apprenti.

Mme Beaudoin allait sur des chantiers pour proposer ses services comme opératrice, mais, bien qu'expérimentée, elle accumulait les refus. Le problème? «Je n'avais pas de moustache en dessous du nez», lance en riant celle qui, enfant, conduisait un camion imaginaire, à cheval sur la balayeuse.

En mai dernier, ses efforts portent fruit. «Ça prenait quelqu'un qui me donne ma chance ici à Québec. J'ai fait mon nom», mentionne fièrement Mme Beaudoin.

La route de la cimentière Marie-Ève Rioux, 26 ans, a été moins sinueuse. Elle a trouvé un emploi rapidement. Dès les premières heures de travail, l'adepte de body fitness a prouvé à tous qu'elle pouvait exécuter aussi bien qu'un homme des tâches très exigeantes physiquement. Elle considère que les femmes ont un leadership, une capacité à communiquer et un souci de la minutie qui les avantagent. Plusieurs ouvriers la complimentent sur son travail, qu'ils disent mieux fait que celui de bien des hommes. Elle aspire d'ailleurs à gravir les échelons.

André Martin, conseiller en relations publiques pour la Commission de la construction du Québec (CCQ), estime que, dans l'ensemble, les femmes sont bien reçues sur les chantiers. Il souligne que pénétrer le milieu de la construction n'est facile pour personne. «La difficulté d'être un jeune apprenti, elle est là, point. Homme, femme, noir, blanc, rose. Apprendre son métier à l'école, c'est une chose, mais c'en est une autre d'arriver sur un chantier et d'être efficace.»

Faciliter l'intégration

M. Martin rappelle qu'en plus de faire la promotion de ces métiers chez les femmes, des mesures ont été établies pour faciliter leur intégration. Elles peuvent donc obtenir un certificat de compétence, obligatoire pour travailler, dès qu'un employeur s'engage à les embaucher, alors qu'un homme doit avoir une garantie de 150 heures. De plus, elles profitent d'une discrimination positive puisqu'à compétences égales, la CCQ référera la femme à un employeur. Plusieurs écoles, dont l'EMOICQ, suivent la même politique.

Seule étudiante dans son groupe de charpenterie-menuiserie, Emily Lawson connaît ces règles, mais sait qu'elle devra trouver un employeur qui veut engager une femme. Au bout du compte, c'est lui qui a le dernier mot. «Mais ça a l'air que dans le futur, si un entrepreneur veut un contrat, il faudra qu'il ait un certain pourcentage de femmes», fait-elle valoir.

Même si cette option a été retenue dans le programme d'intégration de la CCQ, elle ne sera mise en pratique qu'en dernier recours. «S'il y avait vraiment un problème connu, répertorié, il faudrait que les mesures soient prises, indique M. Martin. On ne nous a pas fait état d'une problématique importante, structurelle.»

L'EMOICQ a d'ailleurs mis en branle un projet pour prendre le pouls de l'industrie et mieux comprendre ce qui attire ou rebute les entrepreneurs.

En essor

André Martin anticipe un nombre croissant de femmes dans les prochaines années, notamment parce que l'industrie privilégie de plus en plus le recrutement de détenteurs d'un diplôme d'études professionnelles (DEP). «Ça favorise la présence des femmes parce qu'elles vont beaucoup plus à l'école en général», soutient-il. Et dans un secteur où 80 % de l'embauche s'effectue par contacts, la présence de femmes accentuera le recrutement d'autres candidates.

Équité salariale

En ces temps où l'équité salariale fait couler beaucoup d'encre, il peut être intéressant de constater que les femmes de l'industrie de la construction touchaient 50 % du salaire moyen de la main-d'oeuvre totale en 2003, et qu'elles faisaient en moyenne 594 heures, soit 63 % du nombre total moyen. Une différence qui reflète selon la CCQ le fait que la majorité des femmes soit entrée récemment dans l'industrie, et que les deux tiers ont un statut d'apprenti.

Mais en faisant l'exercice par secteurs où l'on retrouve plus de femmes et en considérant le niveau de formation, on remarque qu'il y a pratiquement équité pour certains métiers, comme celui de peintre.