La ville de Rosemont est née en même temps que les usines Angus du Canadien Pacifique, au début du XXe siècle. Flairant la bonne affaire, des promoteurs ont acheté la terre au nord des usines pour l'offrir aux futurs ouvriers. Avec ces lots résidentiels, ils créaient le coeur d'un des plus grands quartiers de Montréal.

La ville de Rosemont est née en même temps que les usines Angus du Canadien Pacifique, au début du XXe siècle. Flairant la bonne affaire, des promoteurs ont acheté la terre au nord des usines pour l'offrir aux futurs ouvriers. Avec ces lots résidentiels, ils créaient le coeur d'un des plus grands quartiers de Montréal.

«Les terrains coûtaient 175 $, et les ouvriers devaient donner 10 $ en argent comptant au moment de la signature. Pour rembourser leur dette, ils payaient ensuite 4 $ par mois au promoteur», raconte Maurice Guay, né Bourbonnière en 1928, et aujourd'hui membre de la Société d'histoire de Rosemont - Petite-Patrie. Ceux qui achetaient 10 lots en obtenaient un 11e gratuitement!

Le quartier Rosemont en 2005 (Photo Martin Tremblay, La Presse)

Les promoteurs H.S Holt et Ucal B. Dandurand ont été parmi les premiers à Montréal à offrir du crédit à leurs clients. Leur initiative s'est avérée très lucrative. Peu de temps après la vente de ces terrains, Ucal Dandurand est devenu le premier Montréalais à posséder une voiture! L'homme d'affaires était si puissant qu'en 1905, il a réussi à faire changer le nom du village de Petite-Côte en celui de Rosemont, inspiré du prénom de sa mère, Rose.

L'année suivante, la Ville de Montréal participait à l'enrichissement d'Ucal Dandurand. En annexant Rosemont, la ville promettait au conseil municipal du village de construire toutes les infrastructures sur les terrains de l'homme d'affaires.

Ucal Dandurand avait donc gagné sur tous les fronts : non seulement avait-il trouvé fortune en vendant des lots aux ouvriers, mais il n'avait pas à dépenser le moindre sou pour leur fournir les égouts et l'approvisionnement en eau.

Frédéric, qui posait fièrement devant sa maison de la 5e Avenue en 1919, ne se doutait pas que... (Photo archives La Presse)

...87 ans plus tard, elle serait toujours debout, peinte en blanc et coincée entre deux immeubles (Photo Martin Tremblay, La Presse)

«Il était mort de rire en voyant Rosemont devenir un quartier de Montréal. Il s'en est mis plein les poches!» poursuit M. Guay.

Des wagons recyclés

Les premières maisons de Rosemont appartenaient à des agriculteurs, propriétaires de grandes terres de chaque côté du chemin Côte-de-la-Visitation - qui deviendra plus tard le boulevard Rosemont.

Les ouvriers qui ont acheté les lots d'Ucal Dandurand au début du XXe siècle ont pour leur part bâti de petites maisons d'un seul étage, blotties au fond de leur terrain, derrière un grand jardin. «À cette époque-là, les propriétaires se disaient que leur jardin était bien plus plaisant à regarder que leur maison!» raconte Réal Rhéaume, président de la Société d'histoire de Rosemont-Petite-Patrie.

Travaillant pour la plupart aux usines Angus, les propriétaires de ces maisons n'avaient que des moyens modestes. Pas question de matériaux neufs pour bâtir leur logis! Ils récupéraient le bois des vieux wagons dont le Canadien Pacifique n'avait plus besoin.

Sans entrepreneur ni norme de construction, les ouvriers bâtissaient eux-mêmes leur maison. «C'était par contre du solide! Ils construisaient un seul étage, mais il devait être assez solide pour supporter un ou deux étages supplémentaires le jour où ils auraient les moyens d'agrandir par le haut», ajoute M. Guay.

Les premières maisons de Rosemont ne comptaient pour la plupart qu'un seul étage. Avec les années, plusieurs propriétaires leur ont ajouté un ou deux étages (Photo Martin Tremblay, La Presse)

La majorité des propriétaires ont effectivement ajouté des étages à leur maison au cours des années. Il reste cependant plusieurs maisonnettes d'un seul niveau dans les plus anciennes rues du quartier, comme des vestiges d'une époque révolue.

Des choux rue Bellechasse

Des familles nombreuses ont vu le jour dans ces maisons d'ouvriers, entre la 1re et la 10e Avenue. Une vingtaine d'années après le peuplement des lots d'Ucal Dandurand, Gilbert Ouellette est né, en 1926. Avec ses cinq frères et soeurs, il vivait dans un quartier rural qui n'avait rien à voir avec les grandes artères d'aujourd'hui.

«Quand j'étais petit, ma mère m'envoyait à la ferme McEvoy chercher des choux pour deux sous. Partout au nord de Rosemont, il y avait des fermes!» se rappelle M. Ouellette.

Il y a donc moins de 100 ans, les résidants de Rosemont avaient une vie semblable à celle que l'on retrouve dans les campagnes en périphérie de Montréal. Là où se trouve aujourd'hui le boulevard Saint-Joseph, Gilbert Ouellette et ses amis construisaient... des radeaux!

«Les terrains de Rosemont descendent vers le sud. Au niveau du boulevard Saint-Joseph, c'était un terrain plat où au printemps, il y avait assez d'eau pour se promener en radeau entre les cerisiers, raconte M. Ouellette. J'y suis passé au mois d'avril dernier, et dans un terrain vacant, il y avait autant d'eau que dans ma jeunesse. Ça m'a rappelé de bons souvenirs!»

Peu à peu, dans les années qui ont suivi, les fermes et les aires de jeu de M. Ouellette et ses copains ont disparu sous les nouvelles constructions. Dès 1925, l'arrivée du tramway a accéléré la construction résidentielle de l'est de Rosemont.

Suivirent ensuite la Cité-Jardin du Tricentenaire, en 1942, et les grands projets des années 60 et 70. C'est à cette époque que le Nouveau-Rosemont a été créé, entre les rues Pie-IX et Lacordaire. L'appellation Nouveau-Rosemont fait d'ailleurs sourire Maurice Guay : «Depuis le début du XXe siècle, tous les nouveaux projets résidentiels ont été accolés à l'appellation Nouveau-Rosemont!»

Le dernier grand projet résidentiel tire à sa fin, 100 ans exactement après la fondation de Rosemont. L'entrepreneur Saint-Luc Habitation construit actuellement Angus sur le parc, une série de 128 appartements sur les terrains des anciennes usines Angus.

C'est donc à l'endroit même où Rosemont est né il y a un siècle que les pelles mécaniques le peaufinent aujourd'hui.