«La première fois que j'ai vu le bâtiment, je ne trouvais pas que c'était une bonne idée«, raconte l'architecte Jonathan Bisson, qui l'a malgré tout acheté pour y résider. Toujours à l'université à l'époque de l'acquisition en 1993, il cherchait avec sa conjointe Caroline Lajoie une première maison urbaine, à leurs goûts et... abordable!

«La première fois que j'ai vu le bâtiment, je ne trouvais pas que c'était une bonne idée«, raconte l'architecte Jonathan Bisson, qui l'a malgré tout acheté pour y résider. Toujours à l'université à l'époque de l'acquisition en 1993, il cherchait avec sa conjointe Caroline Lajoie une première maison urbaine, à leurs goûts et... abordable!

Chez les Lajoie-Bisson, dans le séjour-salle à manger, seules les poutres trahissent le passé de l'atelier de sérigraphie.

Avec beaucoup de vision et une tonne d'énergie répartie sur près de cinq ans, ils ont complété la conversion de l'immeuble pour en assurer son «recyclage». Un véritable laboratoire pour les deux futurs diplômés en architecture. «On était inconscient. On ne savait pas dans quoi l'on s'embarquait», rigole aujourd'hui Jonathan, visiblement fier d'avoir persisté.

Et pour cause, à partir de la simple coquille d'un atelier vétuste, ils ont créé une véritable oasis moderne, unique en son genre. La motivation était sincère, même s'il a fallu partir d'un cadre déjà établi et non d'une page blanche sur la table à dessins. «Pour moi, le défi est de faire la preuve que ça vaut la peine de donner une seconde vie à de vieux bâtiments», affirme l'architecte.

La salle paroissiale

Rue Champlain, Mélanie Marier et Julien Baudrand amorcent un processus semblable en 2001. «On était à la recherche d'un loft. À force d'en visiter avec les agents d'immeubles, on réalisait que ce n'était pas ce qu'on s'imaginait. On ne trouvait pas sur le marché ce qu'on voulait. D'où l'idée de créer notre propre loft», se souvient Mélanie.

Pas de terrain gazonné aux abords de l'immeuble à recycler? Jonathan Bisson a contourné le problème en aménageant une paisible terrasse sur le toit de sa résidence de la rue Turnbull.

Leurs recherches les conduisent à visiter l'ancienne salle paroissiale du coin, devenue ensuite le local des débardeurs du port de Québec. Rien de bien accueillant au départ, mais encore une fois une vision forte. «On a vu le potentiel!» Du vaste édifice aux apparences anonymes, ils tirent deux grands appartements bien distincts. «On s'attendait à faire de la rénovation, mais ç'a été plutôt de la construction», illustre la jeune femme qui n'a pas eu peur de prendre le marteau. Ils étaient pourtant des néophytes en la matière. «On ne connaissait rien! Mais on avait une idée de ce qu'on voulait obtenir à la fin!»

Un chantier où tout l'entourage sera mis à contribution et qui durera un peu plus d'un an et demi pour le biologiste et l'ingénieure-géologue. Pourquoi s'être donné autant de mal? Véritables citadins, les deux professionnels savaient bien qu'il était difficile, voire impossible de trouver chaussures à leurs pieds, sans se ruiner, dans un secteur aussi prisé. «On voulait créer le look, selon nos moyens», justifie Mélanie, pendant qu'elle fait visiter les deux paliers de son loft au Soleil. L'aspect industriel est toujours bien présent et partout l'originalité dans la réalisation transparaît. «Ce qui nous fait triper, c'est d'aménager notre espace. On adore le design.» La vieille structure qui paraissait pourtant désuète est devenue là encore, une fabuleuse boîte pour brasser les idées des jeunes propriétaires.

Revitalisation

«C'est difficile de chiffrer le phénomène», lance François Moisan du service des communications de la Ville de Québec et véritable amoureux de l'immobilier. Même son de cloche du côté de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), où peu de données quantifient la situation des «immeubles recyclés».

M. Moisan fait cependant un lien direct entre l'intérêt grandissant à changer la vocation de vieux édifices pour en faire des résidences, et les efforts plus soutenus pour la revitalisation des quartiers que l'on connaît. Il donne en exemple le secteur Saint-Roch qui a vu bon nombre de locaux commerciaux délaissés, reprendre vie sous l'impulsion de constructions résidentielles. «L'impact est assez fort!» Cet effet d'entraînement anime la vie de quartier, alors que les boutiques branchées et les petits cafés attirent les résidants... qui à leur tour justifient la présence de ceux-ci!

«De tout temps on recycle», assure Martin Dubois, consultant en patrimoine, architecte et auteur du livre Recyclage architectural à Québec: 60 réalisations créatives. «Depuis les années 70, c'est une tendance plus marquée», précise-t-il. Au coeur du phénomène, pense M. Dubois, se trouve un soucis grandissant pour le patrimoine, le développement durable et la protection de l'environnement.

Sans compter une crise du pétrole qui donne des munitions contre l'étalement urbain et justifie une densification du centre-ville que l'on soit à Montréal ou Québec. «Ce sont des tendances fortes!»

Le spécialiste en architecture et chargé de cours à l'Université Laval insiste sur le fait qu'il s'agit ici d'une manière de conserver vivant de véritables témoins de l'histoire. «Il faut s'attendre à vivre avec un bâtiment ancien, mais qui a du cachet et du vécu!» En balade sur la rue Saint-Joseph, M. Dubois pointe les lofts Laliberté, situés au-dessus du magasin du même nom, pour illustrer son propos.

Recyclage religieux

Réfléchissant sur ce que nous réserve dans l'avenir le recyclage immobilier, M. Dubois fait ce constat. «Les couvents, les monastères et les églises constituent un gros marché potentiel demeure.» Habituellement bien situées et sur des terrains de choix, ces constructions attirent les promoteurs de grands ensembles.

La Fondation du patrimoine religieux du Québec, qui a pour mission d'aider à la restauration des lieux de cultes officiels d'intérêt patrimonial, prépare justement pour l'automne un colloque sur les modifications dans la vocation de ce type de bâtiments. «On a la perception au Québec qu'on transforme actuellement les églises en condos», affirme Jocelyn Groulx, directeur de la fondation. Ce qui serait loin d'être le cas.

À sa connaissance, malgré leur disponibilité grandissante, il n'y a eu que trois églises en 10 ans qui ont subi ce genre de métamorphose. «On souhaite bien sûr que la vocation du lieu demeure publique.» À cet égard, il cite en exemple l'ancienne église St. Matthews sur la rue Saint-Jean qui est devenue une bibliothèque, ou encore l'école de cirque de Québec qui a fait de l'église Saint-Esprit ses quartiers.

Néanmoins, à défaut de perdre un bâtiment d'intérêt patrimonial laissé à l'abandon, il préfère que quelqu'un s'y intéresse, quitte à l'acheter pour y habiter. Un possibilité plus facilement envisageable dans le cas des petites églises. «Il existe bon nombre d'exemples qui respectent le cachet de départ.» M. Groulx émet néanmoins une réserve. «À chaque fois, on y perd évidemment la fonction communautaire!»

Chose certaine, s'il y a une vocation qui n'est pas sur le point de changer, c'est bien celle qui semble animer les amateurs de «recyclage». La passion débordante de ces «antiquaires de l'immobilier» est un élément incontournable à la réussite de leur projet. «Il faut vouloir! C'est presque un mode de vie», résume Caroline Lajoie, qui rêve déjà aux plans de sa prochaine maison. Alors faites vite si vous cherchez aussi une perle rare à retaper, car elle et son conjoint arpentent déjà les rues et ruelles des vieux quartiers de Québec!