Les arbres sont de grands oubliés. Si le jardinier dorlote ses platebandes, l'arbre, lui, est souvent négligé. On lui demande d'atteindre sa maturité rapidement sans qu'il ne devienne trop gros. Et on souhaite qu'il pousse sans soin particulier. Pas question qu'il tombe malade ou nuise à la piscine du voisin. Insouciants, on le blesse, parfois mortellement, avec la tondeuse ou le coupe-bordure. Souvent, on le transplante sans enlever le jute et les cordages, causant éventuellement son étranglement.

Pourtant, les arbres nous ressemblent. Leur vie durant, ils développent des réseaux de communication par leurs racines, échangent eau, sels minéraux, parfois même entre espèces différentes. Ils font même preuve de solidarité apportant, par exemple, de l'eau à un semblable assoiffé, mais éloigné d'une source désaltérante. Ils poussent un peu à notre rythme, même si certains aspirent à l'immortalité. Si bien qu'avec le temps, leur nom finit par rester gravé dans la mémoire.

 

Je vous présente aujourd'hui des arbres ou de grands arbustes découverts au fil des ans, des espèces originales, aux allures inusitées, des arbres habituellement peu connus, parfois même difficiles à trouver, bien qu'ils soient souvent offerts par plusieurs grossistes.

Bon nombre d'entre eux poussent dans mon jardin, mais pour des raisons évidentes, impossible de tous les loger. Voici donc l'histoire de rencontres marquantes qui sont devenues de grandes amitiés... végétales.

 

Un air de Louisiane

Au jardin, impossible de ne pas m'attarder un petit moment devant Taxodium distichum. C'est mon arbre préféré. C'est le plus original et le plus rare du groupe.

Notre rencontre a eu lieu au Jardin des curiosités, à Saint-Ours, un endroit exceptionnel qui porte bien son nom. Suzanne Puech, la maîtresse des lieux avait fait des semis de cet étrange conifère, au tronc rougeâtre, légèrement effiloché, aux branches horizontales, aux feuilles alternes, délicates, semblables à celles des gigantesques séquoias et de leurs semblables, les méta-séquoias, qu'on trouve dans certains jardins.

La découverte de ses vraies origines m'a toutefois renversé. Taxodium distichum n'est nul autre que le grand cyprès chauve, ou cyprès de marais en anglais, celui qui pousse dans les bayous de la Louisiane, un arbre du Sud (zone 7) dont l'origine remonte au Jurrasique, il y a plus de 150 millions d'années.

Or, non seulement résiste-t-il à notre climat, du moins dans la grande région métropolitaine, mais son feuillage devient ocre à la fin septembre. Puis, il se dénude tranquillement en novembre, presque avec timidité.

Mon taxodium pousse dans un sol ordinaire, un peu lourd, au milieu d'une platebande, en plein soleil. Au printemps, son feuillage fin met du temps à se manifester si bien qu'au cours des premières années, je l'ai cru mort à quelques reprises. Aujourd'hui, six ans après l'adoption, il atteint 4,6 mètres (15 pieds), son fût est bien droit, comme ceux qu'on trouve au jardin de Mme Puech. Dans le sud des États-Unis, il peut atteindre 50 mètres, mais ses ambitions sont plus limitées chez nous. Dans mon jardin, il est exposé aux grands vents. Sa tête n'a gelé qu'une seule fois et l'incident n'a laissé aucune séquelle. Ce qui n'est pas le cas au Jardin botanique de Montréal où l'arbre âgé de quelques dizaines d'années a adopté une attitude plutôt rabougrie, en raison des gels successifs.

OÙ LE TROUVER?

Malheureusement, le Jardin des curiosités ne vendra pas de plants cette année parce que les semis n'ont pas levé. Par contre, certains grands centres de jardin offrent des arbres provenant de l'Ontario. Il existe aussi deux cultivars dont «Peve Yellow» qui pousse très lentement et atteint éventuellement 4 m.

Photo: Derek Ramsey, Wikimedia Commons

Le feuillage du taxodium est très délicat.

«Bouleau noir!»

Ils étaient quelques dizaines et formaient une miniforêt au Jardin Van den Hende, à Québec, un de nos grands jardins botaniques. C'était en 1996, à l'occasion d'un reportage. Imaginez un bouleau dont l'écorce s'effiloche au point de flotter au vent, une écorce au revers très foncé, souvent rosâtre ou pourpre, un coloris qui doit être à l'origine de son nom: bouleau noir. L'effet est saisissant

Le bouleau noir est une espèce de l'est des États-Unisww mais c'est habituellement le cultivar «Heritage» qui nous est offert en pépinière, un rejeton aux dimensions plus modestes, enfin un peu plus.

J'ai attendu quelques années qu'une place se libère sur le terrain pour le planter, au tournant de l'an 2000. Il règne en maître aujourd'hui. De croissance plutôt rapide, il fait autour de 13 mètres de hauteur et 5 - 6 mètres de largeur. Son écorce est plus belle que jamais. Les basses branches sont longues et pendouillent. Il pousse dans un sol lourd, en plein soleil, et peut même passer l'hiver les racines dans l'eau. Son feuillage automnal est jaune.

Comme les autres bouleaux, il peut souffrir de coups de chaleur en été. Par contre, le maléfique agrile du bouleau ne semble pas s'y intéresser. Chez moi, il n'a jamais été attaqué alors que tous mes bouleaux gris en subissent les méfaits. D'ailleurs, plusieurs en sont morts.

OÙ LE TROUVER?

Le bouleau noir n'est pas une espèce populaire dans les centres de jardin. Pourtant, la plupart des grossistes québécois l'affichent dans leur inventaire. Il existe aussi quelques cultivars de taille plus modeste notamment le «Summer Cascade» aux branches entièrement retombantes (4 à 5 m) et le «Little King» qui atteint autour de 3 à 4 m.

Photo: Armand Trottier, La Presse

Betla nigra doit son nom à son écorce de couleur foncée très effilochée.

Des magnolias à fleurs jaunes

Le magnolia de Soulange est le plus populaire de tous les magnolias au Québec. Pourtant, c'est un arbuste fragile. Ses bourgeons floraux sont sensibles aux grands froids et ses fleurs roses tournent au brun au moindre gel. Une horreur! Et dire qu'une foule de cultivars tout aussi beaux sont plus rustiques, mais encore peu connus.

C'est le cas des magnolias à fleurs jaunes. Ces arbustes qui atteignent cinq à six mètres sous notre climat sont habituellement des hybrides de Magnolia acuminata, une espèce nord-américaine aux fleurs jaunâtres. Ils poussent sans peine dans la grande zone métropolitaine, parfois en zone 4, plus froide, et leurs bourgeons ne gèlent pas l'hiver, mais fleurissent un peu plus tard que le magnolia de Soulange. Ces magnolias apprécient un sol riche, bien drainé, légèrement acide. Plusieurs hybrides sont aujourd'hui offerts au Québec. En voici quelques-uns.

Par ailleurs, d'autres magnolias rustiques ont aussi une floraison spectaculaire, comme le Magnolia stellata et ses cultivars. Ses fleurs blanches aux pétales étroits s'épanouissent très tôt en saison, vers la mi-avril.

Le «Léonard Messel» à fleurs roses et au coeur jaune mérite aussi une attention spéciale en raison de son parfum envoutant.

Magnolias à fleurs jaunes: «Butterflies»: grosse fleur jaune foncé, zone 5. «Sunsprite»: environ 2 m, zone 5. «Sunburst»: pétales étroits érigés, zone 5. «Sunsation»: grosse fleur jaune pâle, rosée à sa base, zone 5. «Elizabeth»: fleur jaune pâle, zone 4. «Koban Dori»: fleur jaune foncé, très petit (1,5 à 2 m), zone 5. «Yellow Bird»: fleur jaune très foncé, floraison tardive, une fois le feuillage apparu, zone 4.

OÙ LES TROUVER?

Les grandes pépinières réputées offrent plusieurs hybrides à fleurs jaunes, mais «Butterflies», «Elizabeth», «Leonard Messel» de même que les Magnolia stellata sont vendus un peu partout.

Photo: fournie par le Jardin botanique de Montréal

«Elizabeth» est un magnolia aux fleurs jaune pâle.

Un fusain extraordinaire

Certains se souviennent probablement que le Rendez-vous horticole du Jardin botanique de Montréal a déjà connu une version automnale. C'était il y a une dizaine d'années. J'y avais découvert des arbres et arbustes aux coloris exceptionnels comme Euonymus europaeus, le fusain européen, et le fusain à tiges plates (Euonymus planipes), deux arbustes de 4 à 5 mètres, qui sont toujours restés dans l'ombre. Je ne comprends pas qu'ils soient à ce point ignorés des centres de jardin. Il faut dire qu'au Québec, la fièvre printanière fait souvent oublier les plantes dont le spectacle est à l'horaire d'automne.

Pourtant, ces deux fusains nous offrent des grappes de petites fleurs blanches au printemps. Dès les premières nuits fraîches du mois d'août, les feuilles commencent à rougir pour devenir en partie pourpre en septembre. Le spectacle ne fait que commencer. Les fleurs minuscules sont devenues autant de petits fruits à la peau rouge formés de quatre lobes, qui s'ouvrent progressivement pour laisser entrevoir des graines aux couleurs orange et violettes. Les fruits considérés comme toxiques persistent durant une bonne partie de l'hiver, mais brunissent avec les grands froids. Contrairement à ce qu'on peut lire sur le sujet, je n'ai jamais vu d'oiseaux en manger.

Ces deux espèces atteignent environ 5 mètres, mais mon Euonymus planipes ne dépasse pas les 4 mètres après une dizaine d'années au jardin. Ces arbustes se contentent d'un sol ordinaire, même lourd.

OÙ LE TROUVER ?

Je n'ai pas trouvé d'endroit où on peut se procurer Euonymus planipes. Par contre, le fusain européen et un de ses cultivars « Red Cascade «, sont offerts par plusieurs grossistes. Insistez auprès de votre pépiniériste. Et si vous trouvez le fusain à tiges plates, s'il vous plaît, faites-moi signe.

Photo: Alain Roberge, La Presse

Euonymus planipes

Pruche pleureuse

Il y a quelques années, j'ai aménagé trois petits jardins alpins, une expérience qui visait à démontrer qu'un terrain, si minuscule soit-il, peut loger une foule de plantes surprenantes. Surélevé, l'aménagement est maintenu en place par des rangs de pierres plates légèrement inclinées. Non seulement retrouve-t-on une foule de vivaces entre les pierres, mais le jardin lui-même est recouvert de végétaux qui résistent au froid, à la chaleur et à la sécheresse. Que demander de mieux?

Et dans ce monde miniature, il y a cet amour de petite pruche, un «arbre» nain, qui n'a pas bougé d'un seul centimètre au cours des quatre dernières années. Car cette pruche pousse en pleurant. Ses branches rampent et son envergure ne dépasse pas les 50 cm.

Même si son nom sonne curieusement en français «Cole's Prostate», j'ai eu le coup de foudre pour cet arbre et plusieurs de ces amis végétaux rencontrés au Jardin de Jean-Pierre. Ces plantes alpines qui poussent avec une lenteur extrême viennent habituellement de la firme Iseli, de l'Oregon, une pépinière réputée sur le continent pour ses arbres extravagants.

Parmi les compagnons qui partagent l'habitat lilliputien de «Cole», il y a «Moon Frost», une autre pruche (20 cm de hauteur et 50 cm d'envergure); «Hedgebog», une épinette blanche de 18 cm de hauteur; quelques pins mugo qui grandissent d'environ 3 cm par année, comme «Feeny» et «Paul's»; des genévriers, des ifs et des cyprès. Tout ce monde miniature pousse en plein soleil, dans un sol composé en bonne partie de sable, donc bien drainé.

OÙ LES TROUVER?

Ces arbres sont difficiles à trouver même si le grossiste américain ne demande pas mieux que d'en vendre à votre centre de jardin. Jean-Pierre Devoyault, de Sainte-Christine, en tient évidemment une belle sélection. Ces plantes conviennent bien aux rocailles et demandent peu de soins.

Photo: Pierre Gingras, La Presse

La pruche miniature «Cole's Prostate» ne dépasse pas les 15 cm de hauteur après quatre ans de croissance dans le jardin alpin. Au premier plan, des anémones grecques (Anemone blanda).

Une graine d'éternité

Curieuse histoire que ma découverte de Pinus aristata. Durant des années, j'ai cru qu'il s'agissait d'un conifère artificiel planté par un voisin. À chaque tournée en voiture, il était là, immuable à 1,5 mètre de hauteur, d'allure étrange. Il me fascinait. Puis, j'ai finalement demandé à la propriétaire le nom du curieux végétal.

Le pin aristé pousse donc très lentement. Plusieurs spécimens des montagnes de la Californie dépassent 1500 ans et un individu affiche même l'âge vénérable de 2400 ans. Il grandit de quelques centimètres par année, mais dans 200 ou 300 ans, il aura sans doute atteint une taille respectable. Il faudra évidemment en aviser vos héritiers. Disons que de votre vivant, il pourrait atteindre 4 ou 5 mètres. Pinus aristata exige un sol bien drainé et une position ensoleillée.

OÙ LE TROUVER ?

Votre centre de jardin pourra facilement en obtenir car il est offert par plusieurs grossistes. Il existe aussi deux variétés, de plus petite taille, plus rares, « Sherwood Compact « et « Blue Heron « de couleur bleuâtre.

Photo: André Pichette, La Presse

Pinus aristata pousse avec une lenteur extrême.

Deux mélèzes à la personnalité tordue

Jean-Pierre Devoyault m'avait prévenu avant la présentation officielle: «Ils ont une personnalité plutôt tordue...» Le proprio du Jardin de Jean-Pierre, à Sainte-Christine, a toujours su étonner ses clients. Avec toutes leurs branches tortueuses, les deux mélèzes d'Europe avaient de quoi se démarquer. Quelques heures plus tard, ils étaient installés au jardin, le premier, «Horstmann's Recuva», près de la porte d'entrée de la maison, et le second, «Diana», près d'une grande platebande.

Tous deux sont greffés sur le mélèze laricin, notre espèce indigène, ce qui leur confère une rusticité de zone 2. Diana possède un fût parfois très irrégulier, il est étroit et pousse rapidement pour atteindre autour de 7 mètres. «Horstmann's» forme un parasol ou une sphère de l'ordre de 2 à 3 mètres de diamètre.

L'automne, ils se parent d'un coloris éblouissant, tout en or. Ils perdent leur feuillage tardivement, en novembre. Et quand vient la fin du grand striptease, leur nudité fascine, excite même. Ils deviennent des sculptures vivantes. Et si vous les taillez de temps à autre, les nouvelles branches seront encore plus en tire-bouchon. Ces mélèzes exigent le plein soleil, mais un sol ordinaire leur convient parfaitement.

OÙ LES TROUVER?

«Diana» est vendu presque partout. Insistez toutefois pour que le porte-greffe soit un mélèze laricin. «Hortsmann's Recurva» est plus difficile à trouver. Il faudra probablement vous rendre au Jardin de Jean-Pierre, à Sainte-Christine, où vous trouverez d'ailleurs un autre mélèze tordu qui ne dépasse guère les 2 m.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Les branches du mélèze «Diana» sont tortueuses, ce qui lui donne belle allure, été comme hiver.