Que leur arrive-t-il donc ? Réchauffés par le soleil radieux de novembre, les écureuils seraient-ils devenus fous ? Leur fébrilité a-t-elle rendu leur appétit insatiable ? Non seulement ils dévorent tous mes bulbes, mais ils vont même jusqu'à croquer dans les boules de naphtaline censées les éloigner. Au point que pour sauver ce qui reste de mes nouvelles plantations, j'ai décidé de leur fournir des arachides à volonté.

Voilà plus de 30 ans que je demeure au même endroit et presque autant de temps que je plante des bulbes chaque automne sans trop de difficulté. Sombrant dans une sorte de délire bulbeux indéfinissable, il m'est arrivé de planter de 1000 à 2000 bulbes de crocus dans le gazon et les platebandes, sans oublier quelques centaines de tulipes, narcisses ou autres. Heureusement, la fièvre s'est atténuée avec le temps et je suis devenu beaucoup, beaucoup plus raisonnable.

 

Le terrain est aussi le lieu de résidence d'une joyeuse famille d'écureuils qui semble établie chez nous depuis quelques générations. Jusqu'à maintenant, les relations étaient très cordiales. Ils m'ont chipé quelques bulbes à l'occasion mais rien de majeur. Il suffisait habituellement de répandre un peu de fumier de poule en granules sur le sol pour régler le problème. Une belle harmonie ! Jusqu'au début de novembre. Grisés par le beau temps, ils semblent atteints d'une fièvre automnale inhabituelle à ce temps-ci de l'année. La grande production de glands dans les chênes des alentours ne parvient pas à les combler.

J'avais aménagé un petit coin où furent plantés avec amour autour de 200 crocus placés en groupe de 15 ou 20, insérés à 8 ou 10 cm de profondeur. J'avais même répandu du fumier de poule Acti-Sol sur la plantation. En 24 heures, 90 % des bulbes étaient disparus, volés par les écureuils. J'ai même pris un rongeur sur le fait en train de transplanter sa prise dans une autre partie du jardin, histoire de faire des réserves pour l'hiver.

J'ai déposé à nouveau des granules sur le sol mais cette fois en les arrosant. L'odeur répulsive est alors devenue beaucoup plus forte. Mais rien a faire. Les crocus épargnés la veille sont à leur tour disparus. Ailleurs sur le terrain, éranthis, tulipes, iris bulbeux, glaïeuls vivaces ont subi tour à tour l'attaque des petites bêtes bien que le sol ait été traité au fumier de poule. Même mes bulbes de jacinthe ont été dévorés (je n'en croyais pas mes yeux) et plusieurs narcisses ont été déterrés mais épargnés (ils sont considérés comme toxiques). Les rongeurs gris ont aussi mangé mes crocus d'automne nouvellement plantés et en ont profité pour dévorer ceux qui poussaient tout près depuis des années, tous en pleine floraison. Décourageant, je vous dis.

J'ai donc décidé de faire de nouvelles plantations pour tester le plus rigoureusement possible plusieurs répulsifs habituellement recommandés par les pépiniéristes

Des résultats étonnants et... décourageants

Rappelons d'abord que le moyen le plus radical pour contrer les écureuils est de déposer un treillis métallique, le genre broche à poule, sur la plantation. Le hic, c'est quand vient le temps de planter des annuelles dans la platebande ou encore lorsqu'il faut remplacer les bulbes épuisés. Beaucoup de travail en perspective. Certains vous recommanderont d'insérer les bulbes dans des petites « cages « en broche, un procédé qui exigera des heures de travail quand on sait que pour obtenir un bel effet, il faut absolument en regrouper plusieurs.

D'autres préconisent de couvrir la surface de la plantation avec des cheveux récupérés au salon de coiffure, avec du poivre noir ou encore, du poivre de Cayenne. Peine perdue la plupart du temps. Par ailleurs, je connais des jardiniers qui ont pu sauver leur potager de la dent des rongeurs comme les écureuils, les lapins et les marmottes, en délimitant leur jardin avec de l'ail comestible, un truc que je n'ai pas essayé. Par ailleurs, ne comptez pas sauver vos bulbes de tulipes ou de crocus en plantant tout près des fritillaires ou des narcisses. Selon mon expérience, c'est inutile.

Depuis deux semaines, donc, j'ai profité du temps doux pour faire l'essai de la farine de sang, de la naphtaline, de Skoot, un produit souvent recommandé par les pépiniéristes, de Plantskydd, un composé à base de sang de porc mis au point en Suède, notamment contre les écureuils, et bien sûr, une fois de plus, des granules de fumier de poule Acti-Sol. J'ai délimité 20 lieux expérimentaux où étaient notamment enfouis de 15 à 20 bulbes de crocus, à une profondeur de 10 à 15 cm. Tous étaient bien identifiés selon la méthode de répulsion utilisée.

Autant vous le dire tout de suite : aucun de ces produits n'a donné les résultats espérés. Voici les détails de l'expérience.

Acti-Sol : les écureuils n'ont pas tenu compte des granules de fumier de poule, une surprise pour les proprios des centres de jardin et les représentants de l'entreprise joints à ce sujet. Acti-Sol jouit en effet d'une bonne réputation comme répulsif et les clients sont généralement satisfaits, m'a-t-on répondu. Le fabricant convient toutefois qu'avec le temps, comme c'est le cas pour les autres répulsifs, les écureuils peuvent « probablement « s'habituer à l'odeur et finalement ne plus en tenir compte. Ce qui se produit vraisemblablement chez moi.

Skoot : à l'exemple de Ro-Pel, autre répulsif réputé, Skoot est un liquide qui confère une odeur et un goût épouvantables aux végétaux vaporisés avec le produit. J'ai donc trempé mes bulbes dans une solution (une partie de Skoot pour cinq parties d'eau). Dans certains cas, j'ai aussi abondamment arrosé l'endroit de plantation avec le produit dilué ou non. Là encore, les écureuils ont dévoré mes bulbes, parfois même sur place.

Plantskydd : selon le fabricant, ce produit particulièrement coûteux est un répulsif à écureuils très efficace. Il a d'abord été conçu pour éloigner les cervidés et il donne parfois d'excellents résultats contre les chevreuils au Québec. J'ai donc saupoudré la poudre rouge diluée sur le sol. Les bulbes ont été déterrés et mangés.

La naphtaline ou boule à miteS : dans un premier temps, les bulbes ont été mis en contact direct avec la naphtaline puis enfouis sous terre. Dans certains cas, la surface de la plantation en a même été recouverte. Non seulement, les écureuils n'ont pas été incommodés par l'odeur, mais ils ont même croqué plusieurs boules.

La farine de sang : aucun effet pour sauver crocus, éranthis, iris et plusieurs tulipes. Toutefois, dans deux grandes plantations de tulipes traitées à la farine de sang et à l'Acti-Sol, seuls quelques bulbes ont été volés... jusqu'ici. Par contre, contrairement aux crocus, ils sont plantés à une profondeur moyenne de 20 cm.

Arachides à volonté

En désespoir de cause, je tente actuellement la méthode mise de l'avant pendant plusieurs années par la Maison-Blanche, à Washington. On y nourrit abondamment les écureuils avec des arachides en écales et du maïs. Le hic, c'est que je n'ai pu obtenir de résultats récents et crédibles sur le sujet. Je n'ai pu savoir non plus si l'expérience était toujours en cours. Selon les chiffres obtenus sur l'internet, les écureuils de la Maison-Blanche auraient délaissé les bulbes dans une proportion variant de 50 à 95 %. Mais ce sont des données à prendre avec des pincettes.

Par contre, la population d'écureuils gris qui avait jadis été introduite à Washington est devenue l'une des plus denses de tout le territoire américain. Ce qui est plutôt un mal pour un bien.

Pour l'instant, mes charmants écureuils disposent d'un kilo d'arachides par jour, qui disparaît en trois ou quatre heures. Des arachides qu'ils enterrent partout dans les platebandes. À ce rythme, le coût sera plus élevé que celui des bulbes.

À propos qui a une bonne recette de marinade pour cuisiner de l'écureuil gris sur le barbecue ?

L'exil...

Il est parfois conseillé de capturer les écureuils avec une cage spéciale et de les exiler. Il s'agit d'une solution temporaire, et en fin de compte, inutile. En très peu de temps, souvent en quelques semaines, les rongeurs disparus seront remplacés par d'autres. Je connais quelqu'un qui en avait capturé une quarantaine chez lui au cours d'un hiver sans pour autant que la population ne baisse de façon significative. Paul Jensen a vécu une situation pour le moins cocasse à ce sujet.

Responsable pour le Québec de la maison Vanhof and Blokker (bulbes vendus sous la marque Simple Pleasures), il exilait les écureuils capturés dans son jardin de l'autre côté d'une grande rivière non loin de chez lui. Jusqu'au moment où il a réalisé qu'un propriétaire de la terre d'exil capturait lui aussi les écureuils de son patelin pour les relâcher, par hasard, tout près de la résidence des Jensen. « Manifestement, nous nous échangions les écureuils depuis des mois. J'ai mis fin à la chasse cette journée-là «, dit-il.