La Grange du Parfumeur est un bazar d’odeurs bien ordonnées. L’endroit est parsemé de flacons, de calepins de notes, de bouquets de fleurs séchées et de quelques curiosités.

Les outils de l’artisane Alexandra Bachand s’y alignent sur des tablettes au charme vieillot, sous la forme de centaines de petites fioles ambrées contenant chacune leur bagage olfactif. Le tout est joli, mais il faut voir au-delà des yeux pour en capter une tout autre esthétique, car c’est dans ce qu’il y a de volatile que se concentre la richesse des lieux, celle qui vient chatouiller d’un même coup les narines et le cerveau pour débrider l’imagination.

Et si c’est ainsi, en fermant les paupières pour en capter l’invisible, qu’on découvrait la beauté d’un jardin ? En tant que parfumeure et artiste olfactive, c’est le biais qu’a spontanément choisi Alexandra Bachand. Sur une parcelle de terre en bordure de sa grange centenaire s’ouvre un jardin aux mille parfums, dont quelques visiteurs franchissent chaque année le portail de fer. D’autres peuvent maintenant le faire autrement en tournant les pages de son premier ouvrage, qui est l’un des rares livres consacrés à la botanique olfactive.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jasmin à l’aube est la dernière création de la parfumeure et sera lancé ce printemps.

L’artiste y présente les fleurs et les plantes odorantes qu’elle affectionne, et propose des agencements aromatiques à réaliser au jardin. Regroupés en 10 thèmes, ces îlots fleuris font voyager d’un jardin qui dit bienvenue aux papillons à d’autres aux effluves de sous-bois ou de Méditerranée. S’y ajoutent des projets et des recettes pour étirer le plaisir au-delà de la saison. Mais l’un des plus grands charmes de l’ouvrage est d’y découvrir les secrets d’une artiste olfactive qui ouvre ici tout grand son univers complexe, avec générosité et poésie.

Laisser parler les parfums

  • La Grange du Parfumeur est à la fois une boutique, un laboratoire et un lieu d’exposition.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    La Grange du Parfumeur est à la fois une boutique, un laboratoire et un lieu d’exposition.

  • Sur l’orgue du parfumeur, des centaines de fioles renferment des notes parfumées avec lesquelles compose l’artiste.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Sur l’orgue du parfumeur, des centaines de fioles renferment des notes parfumées avec lesquelles compose l’artiste.

  • Chaque composant du parfum doit être recréé de zéro, une molécule s’ajoutant à une autre pour composer un parfum de fleur ou de bois fumé, par exemple, qui entreront dans l’assemblage final.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Chaque composant du parfum doit être recréé de zéro, une molécule s’ajoutant à une autre pour composer un parfum de fleur ou de bois fumé, par exemple, qui entreront dans l’assemblage final.

  • C’est dans cette grange centenaire ayant appartenu à une artiste qu’Alexandra Bachand a trouvé son bonheur.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    C’est dans cette grange centenaire ayant appartenu à une artiste qu’Alexandra Bachand a trouvé son bonheur.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

L’odorat, souligne Alexandra Bachand, est une puissante machine à voyager dans le temps. Un coffre à bijoux de récits évanescents. Le sien prend racine dans l’hôtel familial où elle a grandi, dans une nature sans limites. Construit à la fin du XIXe siècle dans un style Tudor, l’ancien collège abritait encore les odeurs de craie et de mystérieuses potions imprégnées dans un laboratoire. « Les parfums venant des cuisines, la cire d’abeille des meubles en bois, les notes fleuries ou musquées émanant du vestiaire à manteaux… c’était un kaléidoscope d’odeurs auquel s’ajoutait le parfum des champs et des jardins. Tout ça a nourri mon imaginaire. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que tout le monde ne découvrait pas son univers avec le nez ! »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alexandra Bachand

Sentir, c’est à la fois se souvenir et s’émouvoir. On a tous, quelque part, une histoire d’enfant qui court dans les champs.

Alexandra Bachand, parfumeure

Ce n’est donc pas un hasard si elle a souhaité ancrer son atelier de haute parfumerie dans les paysages des Cantons-de-l’Est, un bercail retrouvé après ses études en parfumerie en Europe. Ses grands-parents et leurs parents avant eux embellissaient le paysage de la région en jardinant. Et c’est là, autour d’une vieille grange restaurée, qu’Alexandra Bachand a créé son propre rêve fleuri. Là aussi que durant la belle saison, elle emmagasine les souvenirs olfactifs qui prendront plus tard forme sur des mouillettes parfumées, dans une symbiose indissociable de sa création.

L’artiste nous entraîne à l’arrière de son atelier pour nous faire sentir sa plus récente création, Jasmin à l’aube, une éloquente façon d’illustrer ses propos. « J’ai travaillé une poire bien mûre, mais tu sens un petit côté vert au début. J’ai voulu capter l’aspect énigmatique du jasmin qui se réveille sous un lever de soleil et qui perce à travers les brumes du lac, qui n’est pas la même que l’odeur animale de la plante en fin de soirée. »

S’accorder du temps

PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRA BACHAND

Durant la belle saison, La Grange du Parfumeur ouvre ses portes aux visiteurs.

Par choix, Alexandra Bachand adopte la démarche du slow art et le savoir-faire artisan, en embrassant toutes les étapes de la création : de l’idéation à la fabrication, le nez dans les mouillettes et les mains dans la terre. Sa haute parfumerie est indissociable de ce rythme qui lui permet de raconter des histoires authentiques et incarnées, et d’en ressentir l’émotion. « Il faut que ça reste dans le petit, que l’art demeure à échelle humaine. »

Être « à l’écoute » de son nez prend son temps, dit-elle encore. L’odorat ne tolère aucune compétition avec d’autres sens. Il en va de même pour la création d’un parfum, dont le processus peut s’étaler sur plus d’une année.

Alexandra Bachand vit au rythme de sa passion, elle rêve de parfums et de fleurs la nuit. Avec une patience infinie, l’artiste crée, développe, peaufine, jusqu’à trouver le maillage aromatique qui se déploie sans aspérités. Tout commence par quelques strophes poétiques jetées sur papier, que la parfumeure traduit ensuite dans le langage des odeurs. Une molécule à la fois. En espérant ne pas bousculer l’équilibre fragile de la composition qui peut s’effondrer comme un château de cartes après des mois de travail.

  • Alexandra Bachand dans son Jardin de senteurs, sous un bougainvillier

    PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’HOMME

    Alexandra Bachand dans son Jardin de senteurs, sous un bougainvillier

  • Le jardin d’Alexandra Bachand est de ceux qui s’observent avec le nez.

    PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRA BACHAND

    Le jardin d’Alexandra Bachand est de ceux qui s’observent avec le nez.

1/2
  •  
  •  

Les gens se pointent souvent à mon atelier en voulant apprendre à composer un parfum. J’apprends moi-même tous les jours et je n’aurai pas assez d’une vie pour en maîtriser toutes les subtilités.

Alexandra Bachand, parfumeure

La même humilité s’applique au jardin qu’elle décrit comme un livre d’apprentissage de la vie. « Jardiner nous apprend la sagesse. On ne peut pas précipiter une floraison ni une plante qu’on souhaite voir pousser. Il faut lâcher prise. » Jardins de senteurs est son irrésistible invitation à semer des étincelles parfumées ce printemps et à prendre le temps de découvrir la nature à plein nez.

Consultez le site d’Alexandra Bachand
Jardins de senteurs, projets aromatiques et secrets de parfumerie

Jardins de senteurs, projets aromatiques et secrets de parfumerie

Les Éditions de l’Homme

217 pages

Qui est Alexandra Bachand ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alexandra Bachand

Formée aux beaux-arts, Alexandra Bachand fait un détour par la conception visuelle avant de mettre le doigt sur sa vocation à 30 ans. Devenue parfumeure après avoir obtenu un diplôme en Europe, elle dépose toiles et pinceaux pour créer avec les odeurs. Son talent s’exprime à La Grange du Parfumeur, la maison de parfum qu’elle a ouverte au public en 2014. L’endroit est entouré d’une oasis odorante – Le Jardin de senteurs – qui accueille à l’occasion des visiteurs. Entre 2017 et 2020, son exposition Fleurs d’armes, sur la Première Guerre mondiale, a été présentée dans les musées en France et au Canada. Rêve à Paris, son tout premier parfum, et trois autres, dont Sfumato ou l’aura invisible de Mona Lisa, sont archivés à l’Osmothèque de Versailles.