Pour devenir un homme, un vrai, il faut fonder une famille, planter un arbre et construire une maison, répétait le père de Filip Bozelco, dans leur lointaine Pologne. Le jeune homme n'a jamais oublié ses paroles.

« Construire une maison, cela ne risque pas d'arriver de sitôt, dit-il en riant. J'ai décidé de bâtir une cabane à la place. Quand notre troisième garçon est arrivé, l'an dernier, je me suis dit qu'il était temps de s'y mettre pour avoir de beaux souvenirs avec papa dans la forêt. » 

La petite habitation devait au départ faire 1 m x 2 m et être supportée par deux arbres. Elle a graduellement pris de l'ampleur pour atteindre 5 m x 6 m, prenant appui sur quatre arbres. Pour la réaliser, l'électromécanicien a profité de son congé parental. Camille Crossman, sa conjointe, a été mise à contribution. Stagiaire en architecture, elle s'est chargée de la conception. 

« Notre cabane, c'est un projet de famille. Il est à l'image de notre façon de réaliser chacun des projets que nous avons dans la vie et surtout du temps qu'on passe ensemble, à bâtir quelque chose de nos propres mains. » 

- Camille Crossman

Très manuel, Filip Bozelco a mis Thomas, leur fils de 9 ans, dans le coup. « J'ai voulu lui montrer qu'un travail acharné mène à de bons résultats, dont on peut être fier, précise-t-il. Même moi, qui suis très perfectionniste, je suis agréablement surpris. »

Récupération 

La cabane a pris forme sous les yeux d'Anne-Marie Desrochers et d'Alain Fugère, qui peuvent l'apercevoir de leur maison, dans les Laurentides. 

« J'aimais beaucoup la paroi rocheuse, que je pouvais voir avant, mais j'aime maintenant beaucoup la cabane, souligne Mme Desrochers, la mère de Camille Crossman, avec une pointe d'humour. Ce n'est pas une bicoque. Elle n'est pas désagréable à regarder. » 

« La cabane met de la vie, estime sa fille. Elle établit un dialogue avec la résidence. » 

Des restants de la tôle achetée pour couvrir le toit de la maison principale revêtent en effet le toit de la petite construction. D'ailleurs, à part le bois, utilisé pour confectionner la structure, tous les matériaux et les accessoires ont été récupérés. 

C'est le cas, par exemple, des vitres, rescapées dans un chantier, des deux portes et des deux cadres décoratifs, trouvés sur le bord du chemin, ainsi que de la balançoire, dénichée dans une friperie Renaissance. Filip a fabriqué le contour des fenêtres, le grand banc et l'échelle pour se rendre à la mezzanine. 

 « J'essaie d'enseigner à mon fils la débrouillardise, explique-t-il. On vit dans un monde de consommation où c'est facile de tout acheter préconçu, préconstruit. Le but est de mettre la main à la pâte. Je fais du pain à la maison. Nous avons deux poules dans notre poulailler urbain, à Laval. On veut que les enfants comprennent que la nourriture ne vient pas d'un magasin et n'apparaît pas par magie. Que la vie, c'est autre chose que la consommation. Par le travail, on réussit à avoir des choses qu'on aime bien. C'est tout un ensemble. » 

Les parents de Thomas, Lolek et Tristan, qui ont respectivement 9 ans, 2 ans et demi et presque 1 an, veulent pousser plus loin leur philosophie en fondant leur entreprise, Människa (« être humain » en suédois). 

« On a des idées de grandeur pour changer le monde à notre façon, en concevant des produits beaux, abordables, équitables et durables », indique Filip Bozelko. 

Petits craquements

Son fils aîné et lui ont passé leur première nuit dans la cabane le 9 juillet. Un filet, installé au-dessus d'eux, les a protégés des moustiques. Habitué à faire du camping, Thomas a plutôt aimé son expérience. « Il ne ventait pas trop », a-t-il apprécié. 

Son père, lui, avait hâte de voir s'il entendrait beaucoup de craquements. La cabane est en effet montée sur des morceaux de bois, qui tiennent chaque tronc d'arbre en sandwich. 

« Le bois glisse l'un sur l'autre, explique-t-il. La cabane reste droite, mais elle suit le mouvement des arbres, qui passent à travers l'habitation. Tout tient à la base, qui se promène un peu de gauche à droite. » 

Arrivé au Québec à l'âge de 7 ans, il a des frissons quand il entend le bois craquer, ce qui lui rappelle les vagues frappant les vieux bateaux au bord de la mer Baltique. 

« Dans la mezzanine, en haut, on a plus l'impression d'être dans une chaloupe quand elle accoste, révèle-t-il. Moi, j'adore cela. Pour mon gars, qui a le mal de mer, c'est autre chose. » La première expérience a été couronnée de succès. Bien assez vite, toute la marmaille dormira à l'intérieur !

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Bienvenue dans la spacieuse cabane conçue par Camille Crossman et construite par Filip Bozelco.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Confortablement assis à la mezzanine, où il a passé la nuit, Thomas lit une histoire à son petit frère Lolek.