Le réalisateur américain Tim Burton aime inventer des villages utopiques. Des villages pastel aux maisons carrées, aux pelouses sans brin qui dépasse, aux cordes sans vêtement qui froisse. Des villages aseptisés, coupés à angle droit. Quand on met un pied ou une roue à Kingsey Falls, on trouve quelque chose de ces lieux magnifiés.

Le réalisateur américain Tim Burton aime inventer des villages utopiques. Des villages pastel aux maisons carrées, aux pelouses sans brin qui dépasse, aux cordes sans vêtement qui froisse. Des villages aseptisés, coupés à angle droit. Quand on met un pied ou une roue à Kingsey Falls, on trouve quelque chose de ces lieux magnifiés.

Il n'y a pas un détritus sur le bitume, pas un morceau de travers, que du gazon vert. Brossées avec les mêmes huiles qu'un Monet, les rues sont bordées de rocailles. Le patelin est un jardin. Tout le monde s'y connaît, tout le monde s'y salue. Le patelin est un secret.

On y trouve quelque chose de ces mythes créés par les caméras de cinéma. Mais on trouve quelque chose de plus. Une âme.

Pourtant, d'âme, Kingsey Falls n'en avait pas au milieu du siècle dernier. Le coeur des Bois-Francs était fantôme. Les 700 personnes qui y avaient encore un toit travaillaient à l'extérieur. L'église ne sonnait plus les heures. La caisse et le magasin général étaient les seuls refuges communautaires. Les chemins étaient crevassés. L'abandon.

Jusqu'à ce qu'arrive une famille. En 1964, trois frères sortis de nulle part, sinon de Drummondville, sinon du ciel, se sont pointés pour acheter le moulin à papier, fermé depuis sept ans. Cascades est née. Le coeur des Bois-Francs s'est remis à battre.

«Il fallait être audacieux pour acheter ces installations vétustes. Nous avons été tout de suite perçus comme des sauveurs, mais nous sentions quand même un certain scepticisme. Le désespoir était ambiant, raconte Alain Lemaire, le cadet de Laurent et Bernard. Après trois ans, toutefois, l'industrie était sur les rails. Kingsey Falls ressuscitait.»

Le nouveau souffle

Aujourd'hui, plus de 2000 personnes habitent le village, dont une fraction importante bosse pour le château de papier et de carton. Même si la multinationale emploie 15 000 personnes dans 150 usines disséminées sur la boule et recycle deux millions de tonnes de matière annuellement, le siège social n'a pas quitté pour une métropole. Vitré, il domine encore son berceau, fier. Comme les maisons avoisinantes, son terrain est d'un vert immaculé. «Les grandes industries ont la réputation d'être pollueuses, sales. Souvent cachées derrière de hautes clôtures, des haies, elles véhiculent une impression d'avoir quelque chose à cacher. Pas nous.»Les anges ne se sont pas envolés. Ils sont restés. Adeptes de la pensée globale, ils ont même entrepris de transporter leur paradis sur terre.

Ainsi, toute l'année durant, cinq personnes sont engagées pour embellir les coins et recoins de Kingsey Falls. Ce chiffre quintuple d'avril à octobre. «Nous voulons que les gens soient fiers d'être associés à une compagnie qui a une conscience sociale. Nous voulons que la place soit belle. C'est notre philosophie. Quand je parle avec les directeurs d'usine, les dépenses de fleurs et de terrassement ne font jamais l'affaire. Mais je tiens mon bout. J'aime gâter», de dire le nouveau président et chef de la direction du plus gros employeur de la région.

Un éden

Une des nombreuses gâteries que les frangins, maîtres de la récupération, ont offert à leurs concitoyens: le parc Marie-Victorin, un éden multicolore aménagé en 1985 pour commémorer le centenaire du frère kingsey-fallois, précurseur de la botanique. «Il y avait un terrain vacant, qui servait de pacage pour les vaches, près de nos usines. Nous avons tout de suite vu ce qui pouvait y être fait. Nous voulions que ça devienne un lieu de sensibilisation à l'environnement en même temps qu'un site esthétiquement attirant.» Les deux Normand (Hinse et Francoeur), réputés pour savoir semer la beauté, ont aidé. Le site, qui s'étend sur 29 acres, attire aujourd'hui des milliers de personnes chaque été.

Secret, le jardin des Lemaire l'est de moins en moins. Artificiel, comme au cinéma, il l'est encore moins. Les films de Tim Burton ne sentiront jamais aussi bon.

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Où: Kingsey Falls

Région : Centre-du-Québec

Population : 2030 personnes

Plans d'eau : rivière Nicolet

Paysage : plat, terres agricoles

Industries : pâtes et papiers, tourisme

À ne pas manquer:

- le vaste et magnifique parc Marie-Victorin, ses cinq mosaïques, ses cinq jardins thématiques et écologiques (jardins des cascades, des oiseaux, des plantes utiles, des découvertes et des milieux humides)

- les huit kilomètres de sentiers du Vélo-Tour Kingsey-Falls, reliés au Parc linéaire des Bois-Francs