Une tranche de tronc d’arbre, percée du dessin d’un feuillu, orne le salon d’Elyse Laporte et d’André Cormier. Ils ont sculpté cette œuvre dans l’érable qui a tué leur fille Laurie-Ève, il y a 10 ans. C’est leur « bois précieux ».

Le soleil traverse cette sculpture pour rappeler la présence lumineuse de leur enfant, qui a perdu la vie dans une violente tempête de vent à Boucherville en juillet 2013.

Cette journée-là, Laurie-Ève travaillait comme sauveteuse dans une piscine municipale quand elle a péri, écrasée par une lourde branche d’arbre. Elle venait tout juste de mettre un groupe de jeunes baigneurs à l’abri du vent.

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Laurie-Ève Cormier a péri en 2013, à Boucherville.

« Elle est retournée à l’extérieur des vestiaires pour aller chercher une femme et un dernier enfant. C’est à ce moment que la branche est tombée sur elle. Les pompiers ont retrouvé l’enfant, gravement blessé mais vivant, sous son corps », raconte sa mère.

Sa mort a provoqué une grande onde de choc, de Boucherville jusqu’en Australie, où elle avait obtenu sa certification de sauveteuse océanique à l’âge de 17 ans. De partout dans le monde, de Sauvetage Australie jusqu’à l’organisation mondiale du scoutisme, les messages de sympathie ont afflué. Tous ceux qui avaient croisé la route de la jeune femme, à l’école comme à l’étranger, ont salué sa fougue et son pouvoir rassembleur.

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Elyse Laporte et André Cormier dans l’atelier où André travaille leur « bois précieux ».

Laurie-Ève faisait partie de ces gens qui ont une âme qui pétille. Elle était une boule d’énergie, qui vivait pour le présent et rarement pour le futur.

Elyse Laporte, mère de Laurie-Ève Cormier

Sa mère a longtemps cherché sans succès à harnacher l’ardeur de sa fille.

« Aujourd’hui, je suis contente qu’elle m’ait tenu tête. Elle a voyagé, elle a vécu comme elle le voulait. J’en suis heureuse », confie-t-elle.

Guérir par l’art

Malgré tous les gestes et les témoignages bienveillants, le deuil reste néanmoins une épreuve difficile à traverser, reconnaît le couple. La peine et la rage ont rongé son quotidien pendant des années.

« Il n’y avait pas de fautif sur qui déverser sa colère. Il n’y a rien de plus intangible que le vent ! », souligne Mme Laporte, enseignante du préscolaire à la retraite, qui a finalement trouvé un réconfort dans l’art-thérapie. Son apaisement a convaincu son conjoint d’explorer cette voie cathartique à son tour.

« J’ai toujours aimé travailler le bois, mais c’était plus pour la charpenterie-menuiserie. Je me suis inscrit à un cours de sculpture, juste pour essayer, confie André Cormier. J’ai tellement aimé ça que c’est devenu ma thérapie. »

  • Travailler le bois de l’érable qui a interrompu la vie de leur fille permet au couple de trouver une forme d’apaisement.

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    Travailler le bois de l’érable qui a interrompu la vie de leur fille permet au couple de trouver une forme d’apaisement.

  • André a tiré du bois précieux cette table et quelques sculptures.

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    André a tiré du bois précieux cette table et quelques sculptures.

  • L’œuvre de Bernard Séguin-Poirier qui contient les cendres de la jeune sauveteuse décédée.

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    L’œuvre de Bernard Séguin-Poirier qui contient les cendres de la jeune sauveteuse décédée.

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C’est alors que les astres se sont alignés, poursuit Mme Laporte. « Quand nous avons appris que le grand érable argenté qui a tué Laurie-Ève devait être coupé, nous avons demandé à la Ville la permission de récupérer tout le bois. Nous l’avons débité en bûches et en planches pour le rapporter chez nous. »

Je redonne vie à un bois mort qui a donné la mort. Je prends une part laide de cet arbre et j’en fais ressortir sa beauté.

André Cormier

Tout ce « bois précieux », comme l’appelle le couple, est soigneusement conservé dans l’atelier. André Cormier en tire le matériau nécessaire pour créer des œuvres, mais aussi des objets utiles au quotidien comme une desserte, des bols ou encore des porte-manteaux. Simplement pour rappeler la présence de Laurie-Ève dans la vie de tous les jours.

Beauté brute

À l’image de sa fille, les œuvres d’André Cormier conservent les parfaites imperfections du bois. Une part des nœuds, des taches de maladie et des blessures de son écorce est conservée pour respecter le passé de l’arbre.

« La vie est encore dans le bois », dit sa conjointe en caressant un petit bol verni, ornementé de marques laissées par les insectes.

« Je laisse le bois s’exprimer », dit le sculpteur et ancien éducateur avec simplicité. « J’ai une idée de ce que je veux faire, mais je vais laisser le bois me dicter ce qu’il veut devenir. Et en même temps, il rappelle la nature de Laurie-Ève à ma mémoire. Cela m’a permis de m’en sortir. »

Ces œuvres de bois précieux, elles, sont offertes avec parcimonie à des personnes significatives autour d’eux. « Les gens sont ébranlés chaque fois. Mais je prends soin de leur expliquer que, pour continuer de faire vivre Laurie-Ève, ma façon est d’en parler ouvertement. On n’a jamais voulu que sa mort soit un sujet tabou », souligne le père, les yeux un peu rougis.

Peu à peu, le bois précieux des parents de Laurie-Ève voyage et trouve sa place. Une pièce sculptée par son père sera ainsi intégrée dans une prochaine œuvre de l’artiste céramiste Ève-Marie Laliberté, cousine de sa mère. La création sera exposée à l’été au Musée du Haut-Richelieu, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

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Une tranche du tronc d’arbre, orné de la photo de Laurie-Ève Cormier, est accrochée à l’entrée du complexe aquatique de Boucherville, qui porte le nom de la sauveteuse.

Une autre tranche du tronc d’arbre, qui encadre la photo de la sauveteuse, est accrochée à l’entrée du nouveau complexe aquatique de Boucherville, baptisé Laurie-Ève Cormier.

Au fil du temps, la mère et le père ont fait la paix avec Éole, qui symbolise désormais le tempérament passionné de leur fille. « Quand un coup de vent ouvre la porte, on s’exclame : “Te voilà enfin ! Où étais-tu passée ?” », racontent-ils, en riant.