Louise Thérèse Blouin a été élevée à Dorval, près du lac Saint-Louis. Ses parents étaient courtiers en assurances. Elle a fait ses débuts dans la société new-yorkaise en 1978, représentant le Canada à l’International Debutante Ball qui se tient au Waldorf Astoria.

Après avoir fréquenté l’Université McGill, elle a été brièvement mariée au début des années 1980 avec David Stewart, héritier de la fortune du cigarettier RJR-Macdonald. Son mari suivant, John MacBain, une étoile montante des affaires, avait été major de sa promotion à McGill. Ensemble, ils ont gagné des centaines de millions dans le secteur des petites annonces, en commençant en 1987 par Auto Hebdo, spécialisé dans la revente de voitures.

Leur société, Hebdo Mag, comptait à son apogée des centaines de publications similaires dans le monde entier et des dizaines de sites web. Mais c’est en achetant La Dune pour 13,5 millions en 1998 à l’historienne Barbaralee Diamonstein-Spielvogel que le couple s’est imposé dans la haute société. Harald Grant, courtier chez Sotheby’s International Real Estate, représentait la vendeuse dans cette transaction.

« La signature a été houleuse », raconte M. Grant. « John m’a appelé et m’a demandé : “Est-ce que ça va passer ?” J’ai répondu : “La structure tient le coup !” »

Aussitôt, les MacBain se sont mis à inviter des personnalités comme le financier Stephen A. Schwarzman, le diplomate Henry Kissinger, l’ami Bleckner de Louise Blouin et le créateur de mode Calvin Klein. M. Bleckner se souvient qu’il était difficile de refuser ces dîners, car Mme Blouin offrait cinq dates au choix : « Ça nous donnait le fou rire, Calvin et moi, on n’en revenait pas. Comment dire non à cinq invitations ? On dit quoi ? Je serai parti tout l’été ? »

Le Suisse Simon de Pury, qui a été président de Sotheby’s Europe avant de créer sa propre société de conseil en art, était souvent invité à La Dune. Dans ses mémoires sans filtre, en 2016, Commissaire priseur, où il raconte sa vie dans le commerce des arts , il écrit s’être tout de suite entendu à merveille avec Mme Blouin lors d’un dîner. Après cela, il a passé beaucoup de temps avec elle.

Elle a fait appel au designer français François Catroux, qui comptait parmi ses clients divers oligarques et membres de la famille Rothschild (sa femme, Betty, était la muse d’Yves Saint Laurent). M. Catroux a rafraîchi La Dune. Après la démolition de la maison des visiteurs, il a participé aux plans de la nouvelle demeure la remplaçant.

Peu après, le mariage MacBain-Blouin a éclaté. Tout comme celui de M. de Pury. L’idylle entre les deux nouveaux célibataires a beaucoup fait jaser aux Hamptons et dans le monde de l’art.

Au beau milieu de ces changements personnels, M. de Pury a fusionné son cabinet-conseil en art avec Phillips the Auctioneers, qui sont devenus Phillips, de Pury & Luxembourg, avec M. de Pury comme président du conseil ; il a nommé Mme Blouin PDG.

Il reconnaît que sa richesse a compté dans son attirance pour elle.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS JC LATTÈS

Dès leur première rencontre, le Suisse Simon de Pury et Louise Blouin se sont entendus à merveille.

Son pouvoir et son succès, sans parler de son train de vie splendide à la Marie-Antoinette, étaient aphrodisiaques.

Simon de Pury, ancien compagnon et partenaire d’affaires de Louise Blouin

M. De Pury ajoute avoir confié la direction à Mme Blouin en partie dans l’espoir qu’elle utilise une partie de sa fortune pour financer l’entreprise naissante.

Mais c’est la rupture, en amour et en affaires. Elle a quitté Phillips, de Pury & Luxembourg après dix mois, puis, très vite, a tourné la page en rachetant au groupe LVMH Art+Auction, une publication spécialisée prestigieuse, mais déficitaire. Elle a aussi acquis les magazines Modern Painters et Spoon et Art Knowledge Corp, éditeur de Museums Magazines, et Art Now, éditeur des Gallery Guides.

Autre acquisition : Mme Blouin a payé 20 millions pour un condo de 4365 pieds carrés occupant les deux derniers étages du 165, rue Charles, à Manhattan. C’était le joyau d’un rutilant immeuble résidentiel flambant neuf conçu par l’architecte Richard Meier. Une peinture de Damien Hirst et une sculpture de Tony Cragg décoraient le salon.

PHOTO CONCIERGE AUCTIONS, FOURNIE PAR LE NEW YORK TIMES

La propriété de 1,6 hectare sur Gin Lane à Southampton, dans l’État de New York, comprend un court de tennis en contrebas, deux piscines et deux grandes demeures totalisant 22 000 pieds carrés, 19 chambres, 20 salles de bains, 1 cinéma maison et 2 gyms.

Richard Meier a ensuite rénové le siège social de Louise Blouin Media dans le quartier de Chelsea, à Manhattan. Les murs de la grande salle étaient en verre transparent, et un interrupteur permettait de les givrer durant les réunions.

Les bureaux étaient luxueux, mais au quotidien, travailler pour Mme Blouin était parfois difficile, selon neuf ex-employés interviewés pour cet article. L’un d’eux, Andrew Goldstein, a déclaré que Mme Blouin dirigeait l’entreprise de façon « impulsive, volatile et insoutenable ».

En 2005, elle a réalisé un coup d’éclat en recrutant James Truman, ancien directeur éditorial de Condé Nast. Ce partenariat a duré environ un an. « Au bout de trois jours, je savais que ça ne marcherait pas », a dit plus tard M. Truman.

Sans se laisser abattre, Mme Blouin a investi beaucoup dans un site d’information sur l’art, ArtInfo, et a engagé de jeunes journalistes. Elle s’est lancée dans la philanthropie avec la Fondation Louise T. Blouin, une organisation internationale à but non lucratif, nommant les artistes Damien Hirst et Jeff Koons au conseil consultatif. « Cette fondation est le point de rencontre de mes connaissances et de mes passions », a déclaré Mme Blouin lors d’une entrevue au New York Times en 2005.

M. Bleckner a déclaré qu’il avait parfois été perplexe en observant l’ascension de Mme Blouin : « Elle était amusante et belle et c’était une grande hôtesse. Bien sûr, je n’ai jamais vraiment compris d’où venait l’argent. »

Mme Blouin ne perdait pas de temps avec les sceptiques. Elle affirmait « voir le monde en 5D ». Travailler pour elle, à ses yeux, n’était pas un emploi, c’était « une vocation ».