« Je n’ai pas fait beaucoup d’erreurs », a déclaré Louise Blouin peu après la vente aux enchères de sa propriété cossue des Hamptons dans le cadre d’une faillite. « On ne peut pas juger quelqu’un parce qu’il a eu un problème une fois dans sa vie. Je suis sûre que Steve Jobs n’a pas eu un parcours parfait. »

Mme Blouin, qui a grandi à Dorval, s’est hissée dans l’élite de New York et de Londres durant les années 2000 comme baronne des arts. Elle tenait salon et organisait des fêtes étincelantes où se côtoyaient artistes, scientifiques, dignitaires et milliardaires. Mais son prestige s’est éteint le 13 février, à l’instant où elle est entrée dans un morne tribunal de la cour des faillites à Central Islip, à 75 km à l’ouest de sa maison sur la plage à Long Island, dans l’État de New York.

La blonde et svelte débitrice était toute de noir vêtue pour l’audience – imperméable noir cintré à la taille, pantalon noir ajusté, chaussures noires. Elle est arrivée au bras de son troisième mari, Mathew Kabatoff, mais sans avocat, ayant informé le juge en décembre qu’elle n’avait pas les moyens de s’en payer un.

Le juge Alan Trust a entendu des heures de témoignages en vue d’approuver ou non la vente forcée de La Dune, une villa sur mer que Mme Blouin avait espéré vendre pour pas moins de 115 millions de dollars.

La Dune avait été à vendre durant des années avant qu’un acheteur anonyme la décroche pour 89 millions au terme d’enchères tenues par Sotheby’s à Manhattan, le 24 janvier. Au tribunal la semaine dernière, Mme Blouin, 65 ans, a tout fait pour empêcher la vente à ce prix.

C’est seulement dans les Hamptons, cette péninsule cossue de Long Island, que vendre une maison 89 millions pourrait être perçu comme un fiasco. Une propriété comparable, tout près, vient d’être vendue 112 millions.

Mais pire encore pour Mme Blouin et ses associés, ces 89 millions sont inférieurs de plusieurs millions à l’hypothèque sur La Dune, affirme John Isbell, un avocat qui a piloté la transaction pour le prêteur immobilier Bay Point Advisors.

La propriété de 1,6 hectares sur Gin Lane à Southampton, dans l’État de New York, comprend un court de tennis en contrebas, deux piscines et deux grandes demeures totalisant 22 000 pieds carrés, 19 chambres, 20 salles de bains, 1 cinéma maison et 2 gyms. Au cours des dernières années, deux sociétés à responsabilité limitée dirigées par Mme Blouin avaient placé les deux maisons sous la protection de la loi américaine sur les faillites.

Durant l’audience de faillite, Mme Blouin, sans avocat, a contre-interrogé de nombreuses personnes impliquées dans le feuilleton de La Dune, notamment les courtiers qui avaient dans le passé tenté en vain de vendre la propriété, ceux de Sotheby’s qui ont réussi et les prêteurs – qui obtiendront vraisemblablement l’essentiel de l’argent.

Selon elle, des offres de plus de 100 millions avaient été faites pour la propriété ; elle avait imprimé des courriels censés prouver cette affirmation. Le juge a semblé peu convaincu par ces documents et par les annotations manuscrites dans les marges.

« Avez-vous un exemplaire au propre de ce document, Mme Blouin ? », a demandé le juge quand un témoin s’est dit incapable de déchiffrer son écriture.

Le juge n’a pas montré plus de sympathie quand Mme Blouin a affirmé, en plein interrogatoire d’un témoin, que le processus de vente n’était « pas transparent ». Puis, quand elle a demandé, au milieu de l’audience, si elle pouvait « dire quelques mots », il lui a répondu de garder ça pour « la plaidoirie finale ».

« Ah, OK », a répondu Mme Blouin, ajoutant ne pas connaître l’ordre des plaidoiries : « Je n’ai aucune expérience de ça. »

Vers la fin de l’audience, Mme Blouin a dit qu’elle ne s’opposerait pas à la transaction, mais qu’elle voulait juste poser des questions sur le processus. Le juge a statué que la vente de La Dune avait été équitable, puis il l’a approuvée en déclarant : « Le marché a parlé. »

Comment Mme Blouin est-elle passée des Hamptons au tribunal de la faillite de Central Islip, elle dont l’actif net a déjà été estimé par le Times de Londres comme se situant entre celui de Madonna et celui de la reine d’Angleterre ? Pour son vieil ami le peintre Ross Bleckner, la réponse est simple : « Elle voulait faire bouger les choses dans le monde des arts. »