Une vague de chaleur sans précédent a frappé l’été dernier le Texas, poussant nombre de personnes à la limite de leur résistance physique, et parfois même au-delà. Au point que des médias locaux demandent s’il sera toujours possible d’y vivre à moyen terme.

Comme un roman de Stephen King 

PHOTO MATT VALENTINE, FOURNIE PAR JEFF GOODELL

Jeff Goodell

Jeff Goodell a sillonné la planète au cours des dernières années pour voir comment les gens s’adaptaient aux chaleurs extrêmes qui deviennent la norme en de nombreux endroits, consignant son expérience dans un récent ouvrage intitulé The Heat Will Kill You First. L’auteur d’origine new-yorkaise ne croyait pas avoir à en pâtir lui-même durablement avant de déménager au Texas pour vivre avec sa conjointe. « Je dis souvent à la blague que c’est comme un roman de Stephen King. Je me retrouve à vivre dans le monde que j’ai décrit », souligne l’auteur en entrevue.

« Comme un vampire »

PHOTO ADREES LATIF, ARCHIVES REUTERS

Ce fan des Cowboys de Dallas se rafraîchit comme il le peut alors que la canicule frappe Houston, le 25 août.

À Austin, où Jeff Goodell habite aujourd’hui, le mercure a franchi la barre des 40 °C pas moins de 40 fois l’été dernier, un record, et la température a excédé 38 °C (100 °F) 45 jours de suite, là encore une séquence sans précédent. La vie dans ces conditions était tout simplement « brutale », note l’auteur, qui passait le plus clair de son temps dans sa maison climatisée. « Je me suis retrouvé à vivre comme un vampire, pris à l’intérieur. Si je voulais faire quelque chose à l’extérieur, comme entretenir la cour, je ne pouvais le faire qu’au petit matin », relate-t-il.

Des phénomènes prévisibles

PHOTO MARK FELIX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Texas émet annuellement 600 millions de tonnes métriques de gaz à effet de serre.

La flambée des températures était prévue de longue date et n’a pas empêché le monde de continuer à recourir aux énergies fossiles sans retenue, « avec insouciance », sans égard aux conséquences, note M. Goodell. Le Texas, qui a construit sa richesse sur cette base, est à lui seul responsable d’émissions annuelles représentant 600 millions de tonnes métriques de gaz à effet de serre, mais rechigne à revoir ses façons de faire. Les élus républicains locaux, dont le gouverneur Greg Abbott, poussent l’outrecuidance jusqu’à nier carrément le phénomène ou refusent de prendre la situation au sérieux, relève l’auteur. « Le réchauffement climatique est malheureusement devenu un enjeu de la guerre culturelle qui frappe le pays. Ça n’a rien à voir avec la science ou les faits », dit-il.

Un réseau électrique mis à l’épreuve 

PHOTO ANNIE MULLIGAN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le réseau électrique texan a été mis à rude épreuve durant l’été.

Andrew Dessler, climatologue de l’Université Texas A&M qui étudie de près le réchauffement climatique, note que les agences gouvernementales sont tenues de refléter cette orientation idéologique. L’Electric Reliability Council of Texas (ERCOT), qui avait été sévèrement blâmé en 2021 après qu’une vague de froid eut provoqué des pannes à grande échelle, utilise notamment des estimations qui n’en tiennent pas compte, dit-il. Le réseau a encore une fois été mis à rude épreuve durant l’été, forçant les autorités à lancer de multiples appels d’urgence à la population pour limiter la consommation.

La quête du froid 

PHOTO ADREES LATIF, ARCHIVES REUTERS

Un travailleur a recours à un souffleur à feuilles pour se rafraîchir durant une journée de chaleur extrême à Houston, le 24 août.

M. Dessler note que les familles les mieux nanties peuvent, jusqu’à nouvel ordre, échapper aux chaleurs extrêmes en usant de la climatisation, elle-même très énergivore. Mais ce luxe ne s’étend pas à tout le monde. « Nous faisons partie des personnes privilégiées qui peuvent l’utiliser. Les gens plus pauvres se retrouvent à devoir choisir entre le loyer, la nourriture ou l’air climatisé », dit-il. De manière générale, la survie dans nombre d’endroits de la planète ne dépendra plus seulement de l’eau, de la nourriture et des soins médicaux. L’accès à des espaces climatisés et un emploi qui permet de travailler de l’intérieur vont devenir essentiels, note M. Goodell.

Des solutions de rechange

PHOTO ERIC GAY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un parc éolien près de Del Rio, petite ville du sud-ouest du Texas, le 15 février

Bien que l’incapacité des élus de la planète à mettre de l’avant un plan concerté et efficace pour contrer le réchauffement climatique soit de nature à susciter l’inquiétude, M. Goodell ne perd pas espoir. Le processus à venir sera sans doute ponctué de « souffrance et de morts », mais aussi d’innovations porteuses d’avenir, souligne l’auteur, qui en veut pour preuve la croissance rapide du secteur des énergies renouvelables, y compris au Texas. L’État, dit-il, dispose de beaucoup d’espace, de soleil et d’entrepreneurs doués en technologies qui peuvent faire rapidement bouger les choses. « L’argent et le savoir-faire pour se réinventer sont là. Tout comme la pression politique pour l’empêcher », dit-il.