(New York) La vague de migrants qui a récemment franchi la frontière sud a été l’une des plus importantes de l’histoire des États-Unis. Beaucoup ont été refoulés, mais d’autres ont été autorisés à rester et à lutter contre l’expulsion devant les tribunaux. Des milliers d’entre eux se sont rendus à New York pour tenter leur chance.

Chacun des cinq immigrants dont nous avons suivi l’histoire pour cet article a pris un chemin différent, mais ils essaient tous de se créer une vie à New York et ils s’inquiètent tous de la probabilité qu’un jour, on leur ordonne de partir.

Nous voulions comprendre ce qui pourrait leur arriver ensuite.

Les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont toutes reçu un avis de comparution devant un tribunal de l’immigration lorsqu’elles ont franchi la frontière, et elles se trouvent à différents stades du processus d’expulsion, qui peut durer des années. L’administration Biden a accordé une protection temporaire contre l’expulsion à des personnes originaires de pays comme le Venezuela et l’Ukraine, où les conditions ont été jugées trop dangereuses pour que les migrants puissent y retourner.

Certains ont demandé l’asile, mais le dépôt d’une demande peut prendre des mois et les migrants ne sont autorisés à demander un permis de travail que 150 jours plus tard. Nombreux sont ceux qui passent leurs premiers mois ou leurs premières années à New York dans l’incertitude, sans pouvoir travailler légalement, en attendant les audiences et les permis, et souvent dans des conditions de vie incertaines.

Première étape : trouver un abri

Lorsqu’ils arrivent à New York, de nombreux migrants n’ont pas beaucoup d’argent et beaucoup d’entre eux choisissent de rester dans l’un des foyers pour sans-abri de la ville. Près de 140 000 migrants ont été enregistrés dans le système d’accueil de la ville au cours de l’année et demie écoulée ; environ la moitié d’entre eux se trouve aujourd’hui dans des centres d’hébergement.

La ville, à bout de souffle, oblige désormais les résidants des centres d’hébergement à déposer une nouvelle demande après un certain délai (30 jours pour les adultes célibataires, 60 jours pour les familles). Les migrants affirment que ces règles rendent difficile l’obtention d’un emploi et qu’elles pourraient leur faire manquer du courrier important concernant leur dossier d’immigration.

Milton Vargas est l’une des quatre personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus et qui ont été placées dans des centres d’hébergement.

Arrivé à New York l’année dernière, Milton Vargas s’est rendu avec sa femme enceinte et ses quatre enfants dans un centre d’accueil pour les familles sans-abri dans le Bronx. Après neuf heures d’attente, ils ont été envoyés dans un hôtel près de Central Park.

Là, ils se sont reposés pendant 36 heures. « Je ne voulais pas interrompre le repos de ma femme enceinte de sept mois et nous ne sommes pas sortis », a déclaré M. Vargas.

Ils ont appris l’existence d’une église voisine où ils pouvaient obtenir des vêtements propres donnés par des voisins. « Petit à petit, nous avons compris comment naviguer dans le quartier », a déclaré M. Vargas.

Après l’arrivée d’Eduardo Gómez à New York l’année dernière, un ami est venu le chercher à la gare routière de Port Authority et l’a emmené à Randall’s Island, où la ville avait installé une tente de 7800 mètres carrés pour héberger les migrants.

Il a vécu dans quatre refuges pendant près d’un an. Puis, on lui a demandé de partir. « Les fonctionnaires voulaient que nous quittions le refuge, mais ils ne comprenaient pas la confusion avec laquelle nous devions composer, a-t-il raconté. Ce n’est pas un système facile à gérer. »

Il a payé 450 $ US pour dormir sur un canapé dans un appartement de Brooklyn pendant un mois. Ensuite, un ami et lui ont trouvé une maison mobile dans Queens, qu’ils louent aujourd’hui pour 1200 $ US par mois.

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Eduardo Gómez devant la maison mobile où il habite dans Queens.

Lorsque Gaoussou Ouattara est arrivé à l’aéroport John F. Kennedy en août, il n’a pu joindre personne au sein de l’organisation qui l’avait fait venir à New York. Il a pris un taxi jusqu’à Manhattan et a essayé à nouveau de contacter l’association, mais en vain. Cette nuit-là, il a dormi dans la rue. Le lendemain, il a contacté des personnes qu’il avait rencontrées lors de son voyage vers les États-Unis, qui lui ont dit de se rendre à l’hôtel Roosevelt, où il a suivi la procédure d’admission de la Ville et a été placé dans un refuge à Harlem.

Manuel Rodríguez a laissé le peu qu’il avait au Mexique et est arrivé à New York en mars, avec seulement les vêtements qu’il portait. Le mari de sa sœur est venu le chercher à l’aéroport Kennedy.

Ils sont allés dans Queens et son beau-frère lui a prêté 200 $ US pour acheter sous-vêtements, chaussettes, pantalons, t-shirts et chandail. « Seulement l’essentiel, parce que je n’ai rien », dit-il. Ils ont mangé ce jour-là, puis sont retournés dans une chambre que son beau-frère louait pour 1000 $ US par mois et où il avait invité Rodríguez à séjourner.

Étape 2 : Gagner de l’argent

Pour la plupart des migrants, la période d’attente d’un permis de travail légal est longue et dure parfois des années. Pendant ce temps, beaucoup essaient de trouver des moyens de subvenir à leurs besoins.

Lorsqu’il est arrivé à New York, l’année dernière, Eduardo Gómez a rapidement cherché un moyen de gagner de l’argent liquide.

Il avait travaillé comme technicien en électronique pour réparer des téléphones portables au Venezuela et a trouvé un emploi dans l’installation de caméras de sécurité, mais il n’a duré que 15 jours.

« Tout le monde me demandait des papiers, dit-il, et je ne savais même pas de quoi ils parlaient. »

Au début de l’année, M. Gómez a appris qu’il pouvait prétendre à l’asile, mais il avait besoin d’argent pour payer un avocat.

Il a payé 150 $ US à une agence de recrutement de Queens et a été envoyé dans une entreprise d’emballage alimentaire. Il était payé 540 $ US par semaine pour 60 heures de travail.

« J’ai tenu deux semaines parce qu’ils m’ont beaucoup exploité, a déclaré M. Gómez, et je voulais juste l’argent pour acheter une moto afin de commencer à livrer de la nourriture. »

Après que Jorda Colomer et sa famille ont été placés dans un refuge l’année dernière, ils ont trouvé une église qui leur a fourni des vêtements propres et ont inscrit leur fils à l’école.

Puis, ils se sont mis à la recherche d’un emploi. Ils ont laissé des lettres de motivation dans des entreprises de Hell’s Kitchen, de l’Upper West Side et du Midtown, ainsi que dans Queens et Brooklyn.

Finalement, Mme Colomer a rencontré un homme dans une autre église qui l’a payée 20 $ US pour faire le ménage chez lui pendant cinq heures.

« Tout le monde m’a dit qu’il m’exploitait, mais je n’avais rien, et 20 $ US, c’était quelque chose, et il me donnait de la nourriture, a déclaré M. Colomer. Un mois plus tard, il est passé à 40 $ par jour. »

Elle a démissionné pour s’occuper de ses enfants et son mari, Floyd, a trouvé un emploi dans le nettoyage d’un supermarché du Bronx.

Étape 3 : Éviter l’expulsion

Pour la plupart des migrants, le seul moyen de rester légalement aux États-Unis est d’obtenir l’asile.

La procédure n’est pas simple. Les demandes d’asile font plus de 10 pages, doivent être remplies en anglais et nécessitent de nombreuses informations et beaucoup de documents, qui doivent tous correspondre à d’éventuels témoignages lors d’une audience. « Il s’agit de l’une des demandes les plus compliquées en matière de droit de l’immigration et elle prend énormément de temps », peut-on lire dans un guide élaboré par la Legal Aid Society (Société d’aide juridique).

La plupart des migrants ont besoin d’une aide substantielle de la part d’avocats pour constituer un dossier et réussir les audiences ultérieures. Ces dernières années, les tribunaux américains ont refusé l’asile à la plupart des demandeurs.

Manuel Rodríguez a déposé une demande d’asile. En septembre, il a déposé sa demande avec l’aide d’un avocat qu’il a trouvé dans Queens et qui lui a demandé 3000 $ US. Jusqu’à présent, M. Rodríguez a versé 1500 $ US à l’avocat et a accepté de payer le reste si l’asile lui est accordé.

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Manuel Rodríguez (au centre)

Parce qu’il est originaire du Venezuela, M. Rodríguez peut bénéficier de la protection temporaire offerte par l’administration Biden, mais il ne sait pas s’il déposera une demande, car il craint que cela soit aussi coûteux que la procédure d’asile.

Gaoussou Ouattara ne pense pas avoir les moyens de s’offrir les services d’un avocat qui l’aiderait tout au long de la procédure d’asile, au-delà de la soumission de la demande. Ce qu’il sait du processus, il l’a appris en discutant avec d’autres migrants. Il a entendu dire que les avocats qui assurent une représentation complète peuvent coûter entre 5000 et 7000 $ US et qu’il est difficile de trouver des avocats gratuits.

Milton Vargas et Jorda Colomer ont déposé leur demande avec l’aide d’une organisation à but non lucratif, Project Rousseau, qui fournit une représentation gratuite pour les enfants et les familles.

« Milton et Jorda devront attendre de nombreuses années », a déclaré Andrew Heinrich, avocat de Project Rousseau qui représente Milton Vargas et Jorda Colomer.

« Une personne qui arrive à New York aujourd’hui devrait avoir les mêmes attentes », a-t-il ajouté.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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Les cinq immigrants en bref

Manuel Rodríguez, 25 ans, originaire du Venezuela, a franchi la frontière en mars. Son beau-frère, qui était venu à New York six mois plus tôt, lui a dit qu’il y avait des occasions pour lui dans la ville et lui a prêté de l’argent pour s’y rendre en avion.

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Manuel Rodríguez

Eduardo Gómez, 35 ans, originaire de Valencia, au Venezuela, est arrivé aux États-Unis en septembre 2022. Il a été détenu à El Paso, au Texas, pendant plus d’un mois, le temps que les autorités évaluent la validité de sa demande d’asile lors d’un entretien dit de « crainte crédible ». Il a passé l’entretien avec succès et a été autorisé à rester dans le pays. Une église de San Antonio lui a donné un billet d’autobus pour New York, où il est arrivé à la fin du mois d’octobre de la même année.

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Eduardo Gómez

Milton Vargas, 40 ans, est arrivé aux États-Unis avec sa famille en août 2022. Ils sont originaires du Nicaragua. Après avoir été examinée et brièvement détenue à la frontière, la famille s’est rendue dans une église d’Eagle Pass, au Texas, où elle a attendu pendant cinq heures un autobus gratuit pour New York.

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Milton Vargas et sa famille

Gaoussou Ouattara, 45 ans, originaire du Burkina Faso, est arrivé aux États-Unis en août. Il parle sept langues et huit dialectes d’Afrique de l’Ouest. Une association californienne a pris connaissance de ses compétences linguistiques et a accepté de l’emmener à New York pour qu’il puisse aider les organisations de cette ville à communiquer avec les migrants.

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Gaoussou Ouattara

Jorda Colomer, 27 ans, a franchi la frontière du Texas avec son mari et ses deux enfants en octobre 2022, après avoir fui les persécutions au Nicaragua. La famille est arrivée à New York en autobus pour rejoindre la sœur de Colomer, qui était arrivée deux mois plus tôt et avait pu acheter des billets d’autobus pour la famille pour une somme de 1858 $.

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Jorda Colomer et son mari