(Tracy, Californie) Dans un entrepôt à ciel ouvert de la Central Valley, en Californie, des rayonnages de quatre mètres de haut contiennent des centaines de plateaux remplis d’une poudre blanche qui devient croûteuse à mesure qu’elle absorbe le dioxyde de carbone présent dans le ciel.

La jeune pousse qui a construit cette installation, Heirloom Carbon Technologies, l’appelle la première usine commerciale aux États-Unis à utiliser le captage direct de l’air, qui consiste à aspirer les gaz à effet de serre de l’atmosphère. Une autre usine fonctionne en Islande, et certains scientifiques estiment que cette technique pourrait être cruciale dans la lutte contre les changements climatiques.

PHOTO JIM WILSON, THE NEW YORK TIMES

Poudre d’oxyde de calcium étalée sur un grand plateau et exposée à l’air libre

Heirloom récupérera le dioxyde de carbone qu’elle extrait de l’air et le scellera définitivement dans du béton, où il ne pourra pas réchauffer la planète. Pour gagner de l’argent, la société vend des crédits d’élimination du carbone aux entreprises qui paient une prime pour compenser leurs propres émissions. Microsoft a déjà signé un accord avec Heirloom pour éliminer 315 000 tonnes de dioxyde de carbone de l’atmosphère.

La première installation de la société à Tracy, en Californie, qui a ouvert ses portes début novembre, est relativement petite. Elle peut absorber un maximum de 1000 tonnes de dioxyde de carbone par an, soit l’équivalent des gaz d’échappement d’environ 200 voitures. Mais Heirloom espère se développer rapidement.

« Nous voulons atteindre des millions de tonnes par an, a déclaré le PDG Shashank Samala. Cela signifie qu’il faut copier et coller cette conception de base à l’infini. »

L’idée d’utiliser la technologie pour aspirer le dioxyde de carbone du ciel est passée de la science-fiction à la grande entreprise. Des centaines de jeunes pousses ont vu le jour. En août, l’administration Biden a accordé 1,2 milliard de dollars américains pour aider plusieurs entreprises, dont Heirloom, à construire de plus grandes usines de capture directe de l’air au Texas et en Louisiane. Des entreprises telles qu’Airbus et JPMorgan Chase dépensent des millions pour acheter des crédits d’émission de carbone afin de respecter leurs engagements en matière de climat.

Les critiques soulignent que de nombreuses méthodes artificielles d’élimination du dioxyde de carbone de l’air sont extrêmement coûteuses, de l’ordre de 600 dollars américains par tonne ou plus, et certains craignent qu’elles ne détournent l’attention des efforts de réduction des émissions.

Les écologistes se méfient quant à eux des sociétés pétrolières qui investissent dans cette technologie, craignant qu’elle ne serve à prolonger l’utilisation des combustibles fossiles.

D’autres estiment qu’il est essentiel d’essayer. Selon les scientifiques, les pays ont tellement tardé à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre qu’il est pratiquement impossible de maintenir le réchauffement de la planète à des niveaux tolérables, à moins que les pays ne réduisent fortement leurs émissions et n’éliminent des milliards de tonnes de dioxyde de carbone de l’atmosphère d’ici le milieu du siècle, ce qui est bien plus que ce que l’on peut obtenir en plantant simplement des arbres.

« La science est claire : la réduction des émissions de carbone à l’aide des énergies renouvelables ne suffira pas à stopper les dégâts causés par les changements climatiques », a affirmé la secrétaire américaine à l’Énergie, Jennifer Granholm, qui a prévu d’assister à l’inauguration de l’installation d’Heirloom.

La technologie de captage direct de l’air est un outil qui change la donne et nous offre une chance d’éliminer la pollution par le carbone qui s’est accumulée dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle.

Jennifer Granholm, secrétaire à l’Énergie des États-Unis

Roches absorbant le carbone

La technologie d’Heirloom repose sur un simple élément de chimie : le calcaire, l’une des roches les plus abondantes de la planète, se forme lorsque l’oxyde de calcium se lie au dioxyde de carbone. Dans la nature, ce processus prend des années. Heirloom l’accélère.

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L’oxyde de calcium – la poudre utilisée par Heirloom – ressemble à de la farine.

Dans l’usine californienne, les ouvriers chauffent le calcaire à 900 °C dans un four alimenté par de l’électricité renouvelable. Le dioxyde de carbone se dégage du calcaire et est pompé dans un réservoir de stockage.

L’oxyde de calcium restant, qui ressemble à de la farine, est ensuite arrosé d’eau et réparti sur de grands plateaux, qui sont transportés par des robots sur des rayonnages hauts comme des tours et exposés à l’air libre. Pendant trois jours, la poudre blanche absorbe du dioxyde de carbone et se transforme à nouveau en calcaire. Le cycle se répète ensuite dans le four.

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Shashank Samala, PDG de Heirloom Carbon Technologies

« C’est ce qui fait la beauté de la chose, ce ne sont que des pierres sur des plateaux », a observé M. Samala, qui a cofondé Heirloom en 2020. La partie la plus difficile, ajoute-t-il, a consisté à ajuster pendant des années des variables telles que la taille des particules, l’espacement des plateaux et l’humidité afin d’accélérer l’absorption.

Le dioxyde de carbone doit encore être traité. En Californie, Heirloom travaille avec CarbonCure, une entreprise qui mélange le gaz au béton, où il se minéralise et ne peut plus s’échapper dans l’air. Dans ses futurs projets, Heirloom prévoit également pomper le dioxyde de carbone dans des puits de stockage souterrains et l’enterrer.

Heirloom ne divulguera pas ses coûts exacts, mais les experts estiment que le captage direct de l’air coûte actuellement entre 600 et 1000 dollars américains par tonne de dioxyde de carbone, ce qui en fait de loin le moyen le plus coûteux de réduire les émissions, même après l’attribution de nouveaux crédits d’impôt fédéraux pouvant aller jusqu’à 180 dollars américains par tonne.

Heirloom s’est fixé un objectif à long terme de 100 dollars américains par tonne et compte y parvenir, en partie, grâce à des économies d’échelle et à des composants produits en masse. Pour sa prochaine usine, prévue en Louisiane, Heirloom utilisera un four plus efficace et une disposition plus dense afin de réduire les coûts de terrain.

Payer pour l’élimination du carbone

Même si le captage direct de l’air reste coûteux, certains clients sont prêts à payer.

Microsoft, qui est le plus gros client d’Heirloom, s’est fixé pour objectif de devenir carboneutre d’ici à 2030. Cela signifie qu’il faut d’abord faire tout ce qui est possible pour réduire les émissions, par exemple en alimentant les centres de données avec de l’électricité renouvelable. Mais l’entreprise souhaite également compenser les émissions provenant d’activités qui ne sont pas faciles à assainir, comme la production du ciment qu’elle utilise, et prévoit compenser ses émissions historiques.

Microsoft n’achètera pas de compensations traditionnelles, telles que payer pour la protection des forêts, parce qu’elles sont difficiles à vérifier et qu’elles peuvent ne pas être permanentes. Extraire le dioxyde de carbone de l’air et l’enterrer semble plus durable et plus facile à mesurer.

« L’élimination du carbone peut être beaucoup plus coûteuse que les compensations, mais ce que vous payez en matière d’impact sur le climat est radicalement différent », a expliqué Brian Marrs, directeur principal de l’énergie et du carbone chez Microsoft.

Il est trop tôt pour prédire quelles technologies d’élimination du carbone seront les plus efficaces, a déclaré M. Marrs, c’est pourquoi l’entreprise investit dans diverses approches en plus de celle d’Heirloom. Il s’agit notamment d’un projet de capture directe de l’air dans le Wyoming et d’une nouvelle entreprise qui prétend éliminer le carbone atmosphérique en enfouissant des algues dans les profondeurs de l’océan.

Plus il y aura d’innovations dans ce domaine, mieux ce sera.

Brian Marrs, de Microsoft

Toutefois, à ce jour, seul un petit nombre d’entreprises fortunées ont été disposées à payer pour l’élimination du carbone par ingénierie.

Afin d’instaurer la confiance sur le marché, le département de l’Énergie a annoncé en septembre qu’il achèterait pour 35 millions de dollars américains de crédits d’émission de carbone à dix fournisseurs au maximum, afin d’établir de nouvelles lignes directrices sur ce qui constitue un projet de « haute qualité ».

« L’élimination du carbone fait l’objet d’une grande attention, mais il n’y a pas encore assez d’acheteurs pour atteindre l’échelle dont nous avons besoin », a déclaré Noah Deich, secrétaire adjoint au bureau de gestion du carbone du département de l’Énergie. « Nous essayons de changer cela. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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