Le nombre des avortements légaux a très probablement augmenté aux États-Unis au cours des six premiers mois de l’année par rapport à 2020, selon une analyse de nouvelles estimations. Les États ayant des lois plus permissives en matière d’avortement ont accueilli les patientes de ceux ayant des interdictions, et l’accès aux pilules abortives par la télémédecine a continué à se développer.

Une nouvelle étude de l’Institut Guttmacher présente les dernières données sur les avortements légaux depuis que l’arrêt Dobbs de la Cour suprême a bouleversé l’accès à l’avortement dans tout le pays, permettant à plus d’une douzaine d’États d’interdire ou de restreindre l’intervention.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Variation estimée du nombre d’avortements

Les données suggèrent que des milliers de femmes ont franchi les frontières des États pour obtenir un avortement, et ce, en dépit des restrictions imposées dans leur État. Elles indiquent également une augmentation du nombre d’avortements chez les femmes vivant dans des États où l’avortement est légal.

« Deux forces sont à l’œuvre », a déclaré Caitlin Myers, économiste au Middlebury College, qui a examiné le rapport de Guttmacher.

D’une part, il y a les personnes piégées dans les États où l’avortement est interdit et, d’autre part, il y a les personnes qui vivent dans une grande partie du pays où l’accès à l’avortement s’est amélioré.

Caitlin Myers, économiste au Middlebury College

Au total, on estime qu’environ 511 000 interruptions de grossesse ont eu lieu dans les régions où l’avortement était légal au cours des six premiers mois de 2023, selon un examen des données de Guttmacher, contre environ 465 000 avortements à l’échelle nationale au cours d’une période de six mois en 2020.

Les avortements ont augmenté dans presque tous les États où l’intervention reste légale, mais le changement a été le plus visible dans les États limitrophes de ceux qui interdisent totalement l’avortement. Nombre de ces États ont assoupli leur législation en matière d’avortement et les prestataires ont ouvert de nouvelles cliniques pour servir les patientes venant d’ailleurs. Dans l’Illinois, par exemple, où l’avortement est légal, on estime que le nombre d’avortements a augmenté de 69 % en 2023 par rapport à la même période en 2020, passant de 26 000 à environ 45 000.

D’autres États ayant des voisins restrictifs – notamment le Colorado, le Kansas, le Nouveau-Mexique et la Caroline du Sud – ont également enregistré des hausses du nombre estimé d’avortements.

L’Arizona, la Géorgie et l’Indiana, en revanche, ont cherché à restreindre l’avortement, et ces trois États ont enregistré une baisse de leurs estimations. L’Arizona et la Géorgie ont fixé des limites à la durée pendant laquelle l’avortement était permis, et l’Indiana a récemment adopté une interdiction totale.

« Un coût »

Les chercheurs ont souligné que l’augmentation du nombre d’avortements jusqu’à maintenant en 2023 ne signifiait pas que les interdictions des États n’ont pas eu d’impact sur l’accès à l’avortement.

« Les voyages ont un coût », a déclaré Isaac Maddow-Zimet, spécialiste des données à l’Institut Guttmacher et chercheur principal pour le rapport de l’Institut.

Ce n’est pas parce qu’une personne ne se voit pas refuser un avortement que l’expérience a été facile. Et nous savons que certaines ne peuvent pas quitter leur État.

Isaac Maddow-Zimet, chercheur principal pour le rapport de l’Institut Guttmacher

Il n’existe pas encore d’estimation du nombre de femmes qui se sont vu refuser un avortement ou qui n’ont pas pu l’obtenir. Les augmentations observées dans la plupart des États peuvent également masquer le nombre d’avortements empêchés par les interdictions.

« Les avortements avaient commencé à augmenter avant l’entrée en vigueur de la loi Dobbs, et ils auraient pu continuer à augmenter encore plus fortement que ce qui a été observé s’il n’y avait pas eu d’interdiction », a déclaré Mme Myers, du Middlebury College.

Le rapport de l’Institut Guttmacher se fonde sur une enquête menée auprès de cliniques d’avortement physiques et de prestataires de services virtuels et de télésanté. L’institut, qui soutient le droit à l’avortement, ne contacte pas toutes les cliniques de chaque État, mais s’appuie sur un échantillon pour estimer le nombre d’avortements.

Le rapport ne tient pas compte des avortements obtenus en dehors du système officiel de soins de santé, par exemple au moyen de pilules envoyées par la poste dans des États où l’avortement est interdit à partir d’autres pays ou des États où l’avortement est légal. D’autres données suggèrent que des milliers de personnes, en particulier celles qui vivent dans des États où l’avortement est interdit, ont commandé des pilules abortives en ligne outre-mer.

Un constat appelé à évoluer

Les États les plus peuplés, comme la Californie, la Floride, l’Illinois et l’État de New York, ont connu le plus grand nombre d’avortements. Comme les chercheurs se sont appuyés sur un modèle statistique, ils ont fait état d’un certain degré d’incertitude dans leurs calculs, et l’incertitude était plus grande dans les États où le nombre de fournisseurs d’avortements était plus élevé. Aucune donnée n’a été recueillie dans les 14 États où l’interdiction de l’avortement était en vigueur au début de l’année.

« Les législateurs ont le sentiment que nous avons adopté des lois strictes ici et que nos voisins du Colorado ou de l’Illinois autorisent ces entreprises à s’installer à notre frontière », a déclaré Katie Daniel, directrice de la politique des États à Susan B. Anthony Pro-Life America.

Les chercheurs soulignent que des travaux supplémentaires seront nécessaires pour mieux évaluer l’effet des restrictions à l’avortement ainsi que l’accès accru aux pilules abortives par l’entremise de la télésanté et des réseaux clandestins.

On s’attend à ce que la situation évolue dans le courant de l’année, lorsque de nouvelles restrictions entreront en vigueur. Les chercheurs de Guttmacher ont recueilli des données sur l’avortement avant que les assemblées législatives n’adoptent des interdictions et des restrictions dans l’Indiana, en Caroline du Nord et en Caroline du Sud.

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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