(México) La Cour suprême du Mexique a supprimé toutes les sanctions pénales fédérales envers l’avortement mercredi, jugeant que les lois nationales interdisant la procédure sont inconstitutionnelles et violent les droits des femmes, dans une décision de grande envergure qui prolonge la tendance de l’Amérique latine à élargir l’accès à l’interruption volontaire de grossesse.

La haute cour a ordonné que l’avortement soit supprimé du Code pénal fédéral, et un groupe de défense a souligné que cette décision obligerait le service fédéral de santé publique et toutes les institutions fédérales de santé à offrir l’interruption volontaire de grossesse à toute personne qui le demande.

« Aucune femme ou personne enceinte ni aucun personnel de santé ne pourront être punis pour un avortement », a souligné dans une déclaration le Groupe d’information pour la procréation choisie (GIRE).

Toutefois, une vingtaine d’États mexicains continuent de criminaliser l’avortement. Les juges de ces États devront se conformer à la décision de la Cour, mais des travaux juridiques supplémentaires seront nécessaires pour supprimer toutes les sanctions.

Les célébrations se sont rapidement répandues sur les médias sociaux.

« Aujourd’hui est un jour de victoire et de justice pour les femmes mexicaines ! » a écrit l’Institut national de la femme du Mexique dans un message publié sur la plateforme de médias sociaux X, anciennement connue sous le nom de Twitter. L’organisation gouvernementale a souligné qu’il s’agissait d’un « grand pas » vers l’égalité des sexes.

La sénatrice Olga Sánchez Cordero, ancienne juge de la Cour suprême, a applaudi l’arrêt, déclarant sur X qu’il représentait une avancée vers « une société plus juste dans laquelle les droits de toutes et tous sont respectés ». Elle a appelé le Congrès mexicain à adopter une législation en conséquence.

Mais d’autres, dans ce pays très religieux, ont décrié la décision. Irma Barrientos, directrice d’une organisation civile pour les droits des personnes conçues, a déclaré que les opposants poursuivraient leur lutte contre l’élargissement de l’accès à l’avortement.

« Nous n’allons pas nous arrêter, a dit Mme Barrientos. Souvenons-nous de ce qui s’est passé aux États-Unis. Après 40 ans, la Cour suprême est revenue sur sa décision concernant l’avortement, et nous ne nous arrêterons pas tant que le Mexique ne garantira pas le droit à la vie dès le moment de la conception. »

Un processus État par État

La Cour suprême a déclaré sur X que « le système juridique qui criminalise l’avortement » dans la loi fédérale mexicaine était inconstitutionnel parce qu’il « viole les droits humains des femmes et des personnes ayant la capacité de procréer ».

Cette décision intervient deux ans après que la Cour a jugé que l’avortement n’était pas un crime dans un État du nord du pays. Cette décision a déclenché un lent processus de dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, État par État.

La semaine dernière, Aguascalientes, dans le centre du pays, est devenu le 12e État à abandonner les sanctions pénales.

Les militants du droit à l’avortement devront continuer à réclamer la légalisation État par État, même si la décision de mercredi devrait faciliter les choses. Les assemblées législatives des États peuvent également agir de leur propre chef pour supprimer les sanctions liées à l’avortement.

Pour l’instant, la décision ne signifie pas que toutes les femmes mexicaines pourront accéder immédiatement à la procédure, a expliqué Fernanda Díaz de León, sous-directrice et experte juridique de l’association de défense des droits des femmes IPAS.

Ce qu’elle fait — en théorie — c’est obliger les agences fédérales à fournir des soins à la patientèle. Cela devrait avoir des effets en cascade.

Selon Mme Díaz de León, la suppression de l’interdiction fédérale enlève aux prestataires de soins une autre excuse pour refuser les avortements dans les États où la procédure n’est plus considérée comme un délit.

Elle permet également aux femmes qui ont un emploi officiel, qui font partie du système de sécurité sociale et qui sont employées par le gouvernement, de se faire avorter dans les institutions fédérales dans les États où l’avortement est encore criminalisé, a-t-elle ajouté.

Mme Díaz de León et les responsables d’autres organisations féministes craignent que les femmes, en particulier dans les régions les plus conservatrices, se voient encore refuser l’avortement.

« C’est une étape très importante », a affirmé Mme Díaz de León. Mais « nous devons attendre de voir comment cela va être appliqué et jusqu’où cela va aller ».

Mouvement dans toute l’Amérique latine

Dans toute l’Amérique latine, des pays ont pris des mesures pour lever les restrictions à l’avortement ces dernières années, une tendance souvent qualifiée de « vague verte », en référence aux bandanas verts portés par les femmes qui manifestent pour le droit à l’avortement.

Les changements intervenus en Amérique latine contrastent fortement avec les restrictions croissantes en matière d’avortement dans certaines régions des États-Unis. Certaines Américaines cherchaient déjà de l’aide auprès de groupes militants mexicains du droit à l’avortement pour obtenir des pilules utilisées pour mettre fin aux grossesses.

L’État de Mexico avait été le premier à décriminaliser l’avortement au Mexique, il y a 15 ans.

Après des décennies de travail de la part des activistes, la tendance s’est accélérée en Argentine, qui a légalisé la procédure en 2020. En 2022, la Colombie, pays très conservateur, a fait de même.

L’année dernière, la Cour suprême des États-Unis a annulé l’arrêt Roe c. Wade, rendu en 1973, qui garantissait le droit à l’avortement dans tout le pays. Depuis, la plupart des États dirigés par des législateurs et des gouverneurs conservateurs ont adopté des interdictions ou des restrictions plus strictes.

Le fait que le gouvernement américain soit politiquement divisé rend peu probable une interdiction ou une légalisation à l’échelle nationale, du moins à court terme.

Actuellement, l’avortement est interdit pendant toute la durée de la grossesse — à quelques exceptions près — dans 15 États des États-Unis. Deux autres États interdisent l’avortement après la détection d’une activité cardiaque, généralement vers la sixième semaine de grossesse et souvent avant que les femmes ne sachent qu’elles sont enceintes. Des juges ont suspendu l’application des restrictions dans au moins quatre autres États.

Pendant ce temps, les États dotés de gouvernements démocrates ont pris des mesures pour tenter de protéger l’accès à l’avortement.

Les observateurs mexicains s’accordent à dire qu’il faudra du temps pour voir comment la décision de mercredi sera appliquée.

Dans l’État de Guerrero, au sud du pays, Marina Reyna, directrice de l’Association de Guerrero contre la violence à l’égard des femmes, a prévenu que les difficultés persisteraient. Son État a dépénalisé l’avortement l’année dernière, mais il y a 22 enquêtes en cours contre des femmes accusées d’avoir mis fin à leur grossesse.

« Il y a encore beaucoup de résistance », a-t-elle témoigné.

Avec des informations de Geoff Mulvihill, à Cherry Hill, dans le New Jersey