L’ex-président brésilien Jair Bolsonaro, qui fait l’objet de plusieurs enquêtes liées à ses actions controversées à la tête de l’État, dont des efforts allégués pour annuler sa défaite électorale de 2022, risque de se retrouver derrière les barreaux pour… des bijoux non déclarés.

Ce qu’il faut savoir

  • L’ex-président brésilien Jair Bolsonaro est dans la ligne de mire de la police fédérale, qui le soupçonne d’avoir tenté de faire entrer au Brésil des bijoux reçus dans le cadre de ses fonctions sans les déclarer.
  • Le politicien et sa femme, ainsi que plusieurs collaborateurs, ont été interrogés cette semaine dans le cadre de l’enquête, qui pourrait le mener en prison, au dire de plusieurs analystes.
  • L’affaire mine la crédibilité de Jair Bolsonaro auprès de ses partisans d’extrême droite, notamment parce qu’il s’était présenté comme un élu incorruptible.

La police fédérale a accumulé des preuves considérables dans cette affaire, qui pourrait, de l’avis de nombreux analystes, donner le coup de grâce à la carrière du politicien controversé même si elle semble relativement anodine par rapport à d’autres allégations auxquelles il est confronté.

« Je ne suis pas certain qu’il va pouvoir s’en sortir », relève Guilherme Casaroes, un analyste politique de la fondation brésilienne Getulio Vargas, établie à São Paulo, qui reconnaît l’ironie de voir ce dossier secondaire prendre autant d’importance.

« Al Capone s’est retrouvé en prison en raison d’une affaire d’impôts impayés », souligne-t-il en relevant qu’une condamnation criminelle mettrait définitivement l’ex-président hors jeu sur le plan politique.

Les autorités soupçonnent Jair Bolsonaro d’avoir tenté, avec l’aide de plusieurs collaborateurs, de faire entrer illégalement au Brésil des ensembles de bijoux remis comme cadeaux officiels par des pays moyen-orientaux sans les déclarer pour éviter qu’ils soient considérés comme propriétés de l’État.

Le conseiller d’un ministre a notamment été intercepté en octobre 2021 avec un sac contenant des bijoux d’une valeur estimée de plus de 4 millions de dollars apparemment destinés à la famille du président.

Des médias brésiliens ont signalé l’existence de plusieurs documents et vidéos suggérant que le président, qui nie toute irrégularité, a multiplié les démarches pour les récupérer. Il serait allé jusqu’à ordonner à un sergent de se rendre à l’aéroport pour faire pression sur les autorités douanières peu de temps avant la fin de son mandat.

Un autre ensemble de bijoux entré sans autorisation au pays a dû par ailleurs être restitué à la demande de la Cour des comptes.

Les enquêteurs auraient par ailleurs établi que le bras droit de Jair Bolsonaro a vendu deux montres de grande valeur aux États-Unis avant de lui acheminer une part de la somme générée par des canaux détournés.

L’ex-président et sa femme ont été interrogés jeudi à ce sujet par la police fédérale en même temps que plusieurs collaborateurs du politicien de manière notamment à étudier de possibles divergences entre leurs versions des faits.

Espérer éviter la prison

Le Tribunal supérieur électoral avait déjà passablement affaibli le politicien à la fin de juin en lui interdisant de se présenter à une élection avant 2030. Les magistrats ont conclu qu’il avait tenté, avant la campagne, de semer le doute sur l’efficacité du système électoral brésilien lors d’une rencontre avec des dignitaires étrangers.

M. Casaroes note que Jair Bolsonaro espère éviter la prison pour pouvoir faire campagne, sans être candidat, lors des élections municipales prévues à l’automne, et conserver son influence au sein de l’extrême droite et du parti auquel il s’est associé.

Son objectif ultime, dit-il, est de placer si possible des membres de sa famille, dont ses fils, à des positions clés en vue d’un éventuel retour.

Jair Bolsonaro souhaite freiner du même coup l’ascension de politiciens de droite, comme le gouverneur de São Paulo, Tarcisio de Freitas, qui aspire à le remplacer comme figure dominante de la droite lors du scrutin présidentiel de 2026.

Gerson Scheidweiler Ferreira, un chercheur de l’Université York étudiant l’Amérique latine, note que l’affaire des bijoux passe très mal dans la population brésilienne, notamment parce que Jair Bolsonaro a toujours cherché à se dépeindre comme un politicien incorruptible.

S’il se retrouve en prison, ce sera un évènement très important sur le plan symbolique. D’autant plus qu’il avait paru très faible en cherchant à se réfugier aux États-Unis après les élections de 2022 [avant de rentrer en mars au pays].

Gerson Scheidweiler Ferreira, chercheur de l’Université York étudiant l’Amérique latine

James Green, un spécialiste du Brésil rattaché à l’Université Brown, juge que le politicien pourrait carrément décider de fuir à l’étranger plutôt que de risquer de se retrouver derrière les barreaux si les choses en arrivent là.

Sa situation est compliquée plus encore, dit-il, par la performance de son successeur, Luiz Inácio Lula da Silva, qui a réussi, après un début de mandat difficile, à faire passer plusieurs projets de loi comprenant des mesures sociales importantes pour la population.

Les difficultés de Jair Bolsonaro, quoi qu’il arrive, ne signifient pas que l’extrême droite va disparaître, prévient M. Green.

« Le monstre est sorti de la boîte de Pandore et n’y retournera pas. Les gens d’extrême droite sont convaincus d’avoir le droit de dire tout haut ce qu’ils pensent et ils vont continuer », dit-il.

Jean Daudelin, un autre spécialiste du Brésil rattaché à l’Université Carleton, pense que Jair Bolsonaro n’a pas la même importance « symbolique » auprès de sa base électorale que l’ex-président américain Donald Trump chez les républicains américains.

« Il y a 20 à 25 % de la population brésilienne qui se dit ouvertement d’extrême droite. Bolsonaro va passer, il s’agit de voir si quelqu’un va pouvoir reprendre le flambeau du bolsonarisme », relève-t-il.