(New York) Chaque semaine, ou presque, Gunner Ramer assiste à des groupes de discussion composés d’électeurs républicains. L’organisation dont il est le directeur politique – le Republican Accountability PAC – se sert des commentaires des participants pour façonner les messages anti-Trump qu’elle adresse aux républicains à l’approche des primaires en vue de l’élection présidentielle de 2024. Pas une mince tâche, si l’on se fie aux réponses de Gunner Ramer aux questions de La Presse sur l’état d’esprit des électeurs du Grand Old Party.

Quel est le sentiment général des électeurs républicains concernant la direction de leur pays ?

Ils sont très frustrés. Ils veulent battre Joe Biden en 2024. Ils attachent aussi plus d’importance aux guerres culturelles et à la domination ou à l’humiliation des libéraux, ce qu’ils appellent « owning the libs », qu’à un programme politique. En 2015 et en 2016, Donald Trump avait réussi à exploiter cette politique du ressentiment et de la victimisation. Et il continue à le faire aujourd’hui en se servant des actes d’accusation le visant.

Les électeurs républicains reconnaissent-ils que Donald Trump a au moins mal agi dans les causes qui lui ont valu d’être inculpé, peu importe les verdicts finaux ?

Non, les électeurs républicains ont tendance à excuser l’ancien président. Ils ne le blâment jamais. Le truc avec Donald Trump, c’est qu’il dit : « Ils ne s’en prennent pas à moi. Ils s’en prennent à vous, les électeurs moyens des primaires. » Et, au bout du compte, cela fonctionne très bien avec la base. Après les élections de mi-mandat de 2022, il y a eu cette idée chez certains partisans de Donald Trump selon laquelle il traînait trop de casseroles. Ce n’est pas que ces républicains n’aimaient plus Donald Trump personnellement, mais ils s’apercevaient que leurs voisins, leurs amis ou des membres de leur famille en avaient assez de Donald Trump. Le temps était peut-être venu de passer à autre chose, se disaient-ils. Mais ce que ces inculpations font, c’est de créer un effet de rassemblement autour de Trump.

Que penser de ces électeurs républicains qui, selon des sondages, ont l’intention de voter pour lui même s’ils reconnaissent qu’il a commis des crimes ?

Ce que Donald Trump a créé, c’est une profonde méfiance à l’égard de nos institutions démocratiques. Il a réussi à créer un environnement dans lequel les gens ne croient plus au FBI, au département de la Justice ou aux élections libres et équitables. Nous avons vu ce qui s’est passé le 6 janvier 2021. Le plus important est donc cette profonde méfiance à l’égard de nos institutions civiles qui fait que lorsque Donald Trump est inculpé, les gens pensent qu’il s’agit simplement d’un exemple de l’establishment ou de l’État profond qui les attaque, eux, les électeurs ordinaires, par l’intermédiaire de Donald Trump.

Je crains que vous n’ayez pas répondu à ma question. Je parle de gens qui reconnaissent que Trump a commis des crimes et qui entendent néanmoins voter pour lui. Comment justifient-ils de voter pour un criminel ?

Je dirais que pour ce type d’électeurs, la chose la plus importante est de battre les démocrates. C’est de battre Joe Biden en 2024.

Et, dans leur esprit, Donald Trump est de loin la meilleure personne pour y parvenir, peu importe qu’il ait commis des crimes ?

Exact. Pendant un certain temps, après les élections de mi-mandat et au début de l’année, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, semblait être une solution de rechange crédible. DeSantis allait prendre la place de Trump.

PHOTO STEFANI REYNOLDS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Ron DeSantis, candidat aux primaires républicaines en vue de l’élection présidentielle de 2024

Les électeurs disaient qu’il était Trump sans les casseroles. Mais lorsque des éléments négatifs ont été présentés au sujet de DeSantis, les gens ont commencé à dire : « Eh bien, ce type est un peu bizarre. » Et ils sont retournés à Donald Trump.

Que pouvez-vous ajouter pour expliquer les difficultés actuelles de DeSantis ?

La relation des républicains avec Ron DeSantis est très superficielle. Ils ont vu un clip de lui sur Fox News ou sur YouTube qui leur a plu, et c’est tout. Mais DeSantis a trébuché dès le départ, et il a lui-même miné son meilleur argument contre Trump, à savoir qu’il est le candidat le plus susceptible de battre Biden. Il a notamment miné cet argument en signant une interdiction de l’avortement en Floride après la sixième semaine de grossesse et en publiant sur Twitter des vidéos étranges accusant Trump d’être pro-LGBTQ+. Il s’éloigne sans cesse des positions et des priorités de l’électeur moyen.

Quelles sont les réactions qu’inspire le nom de Joe Biden dans vos groupes de discussion ?

Les électeurs républicains n’aiment pas particulièrement Joe Biden. Dans certains cas, ils ne pensent même pas que c’est lui qui dirige le pays. Il y a de nombreuses théories du complot à son sujet. Et le nom de Hunter Biden revient souvent. Les républicains parlent d’un système de justice à deux vitesses.

Croient-ils aux allégations, infondées jusqu’à présent, selon lesquelles Joe Biden s’est enrichi grâce aux affaires de son fils à l’étranger, dont il aurait favorisé l’essor à titre de vice-président ?

Lorsque vous vous adressez à des électeurs républicains, une foule de théories conspirationnistes émergent concernant les Biden. Ce qui est ironique, c’est la réponse de ces électeurs quand on leur demande s’ils veulent que Donald Trump ordonne au département de la Justice d’enquêter sur Joe Biden et sa famille s’il est élu. Le soutien à une telle enquête est unanime. Et les républicains ne voient pas l’hypocrisie qui consiste à dire que Joe Biden instrumentalise le département de la Justice contre Trump tout en réclamant que Trump fasse la même chose contre Biden s’il devient président.

Que pensent les républicains de la vice-présidente Kamala Harris ?

Les électeurs des primaires républicaines ne l’aiment pas. Mais ce qui est inquiétant pour la vice-présidente, c’est que lorsque nous organisons des groupes de discussion avec des électeurs démocrates, même eux sont frustrés par elle. Ils ont l’impression qu’ils ne la voient pas assez et qu’elle n’en fait pas assez.