(New York) Pour la deuxième fois en deux ans, la Cour suprême des États-Unis a tourné le dos jeudi à des décennies de précédents juridiques pour concrétiser un des objectifs les plus chers du mouvement conservateur américain.

Ce qu’il faut savoir

La Cour suprême a tranché — par six voix contre trois — que les universités publiques et privées ne pourraient plus tenir compte de l’origine ethnique des candidats lors du processus d’admission.

La pratique avait été confirmée par des décisions de la Cour suprême remontant à 1978.

La décision a fait bondir le président démocrate Joe Biden, tandis que son rival républicain Donald Trump l’a applaudie.

En juin 2022, la plus haute instance américaine a ignoré deux de ses arrêts pour retirer aux femmes le droit constitutionnel à l’avortement. Un an plus tard, elle rejette des précédents remontant jusqu’en 1978 pour mettre fin à la discrimination positive dans les universités publiques et privées.

Rendue sans grande surprise par six voix contre trois, cette décision historique risque d’avoir des retombées profondes sur la composition des corps étudiants des universités les plus prestigieuses, qui ne pourront plus tenir compte de l’origine ethnique des candidats lors du processus d’admission. La nouvelle donne pourrait réduire de façon considérable le nombre déjà modeste de Noirs et d’Hispaniques sur les campus qui ouvrent les portes du pouvoir.

PHOTO SARAH SILBIGER, ARCHIVES REUTERS

Le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts

« L’étudiant doit être traité sur la base de son expérience en tant qu’individu, et non sur la base de sa race », a écrit l’auteur de la décision majoritaire, le juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, qui a reçu l’appui de ses cinq collègues conservateurs.

« Depuis trop longtemps, de nombreuses universités font exactement le contraire. Ce faisant, elles ont conclu, à tort, que la pierre d’assise de l’identité d’un individu n’était pas les défis relevés, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de sa peau. Notre histoire constitutionnelle ne tolère pas ce choix. »

Selon le juge Roberts, les programmes de discrimination positive soumis à l’examen de la Cour suprême — ceux des universités Harvard et de la Caroline du Nord — violent la clause de protection égale du 14e amendement de la Constitution ratifié en 1868.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Des juges progressistes se lèvent

Cette interprétation a fait bondir deux des trois juges progressistes qui se sont opposées à la décision.

« L’impact dévastateur de cette décision ne peut être surestimé », a déclaré la juge d’origine portoricaine Sonia Sotomayor, qui a reproché à la majorité conservatrice d’avoir érigé « en principe constitutionnel une règle superficielle d’indifférence à la couleur de la peau dans une société marquée par une ségrégation endémique, où la race a toujours eu de l’importance et continue d’en avoir ».

« La Cour subvertit la garantie constitutionnelle de protection égale en renforçant l’inégalité raciale dans l’éducation, le fondement même de notre gouvernement démocratique et de notre société pluraliste », a-t-elle ajouté.

La juge afro-américaine Ketanji Brown Jackson a blâmé de son côté la majorité conservatrice pour son « insouciance » vis-à-vis de la réalité raciale. « Le fait de considérer la race comme non pertinente en droit ne la rend pas telle dans la vie », a-t-elle écrit.

Échos dans la course à la présidentielle

La décision a fait réagir tous les candidats à l’élection présidentielle de 2024, y compris l’actuel occupant de la Maison-Blanche.

« La discrimination existe toujours en Amérique », a déclaré Joe Biden lors d’une brève déclaration à la Maison-Blanche, frappant son pupitre et répétant ses mots pour les accentuer. « La décision d’aujourd’hui n’y change rien. »

Le président a indiqué qu’il demandera au département de l’Éducation de chercher des moyens de maintenir la diversité dans les corps étudiants.

PHOTO EVAN VUCCI, ASSOCIATED PRESS

Joe Biden, président des États-Unis

Nous ne pouvons pas laisser cette décision constituer un revers permanent pour le pays. […] Nous n’allons pas nous laisser abattre.

Joe Biden, président des États-Unis

Au moment où il s’apprêtait à quitter la pièce où il se trouvait, le président s’est arrêté lorsqu’une journaliste lui a demandé s’il considérait que la Cour suprême était un tribunal « dévoyé ».

« Ce n’est pas une cour normale », a-t-il répondu avant de quitter la pièce.

Les candidats républicains ont adopté un ton aux antipodes de celui du président démocrate.

« C’est un grand jour pour l’Amérique », a écrit sur Truth Social Donald Trump, qui a nommé trois des six juges de la majorité conservatrice – Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett.

Nous revenons à un système entièrement fondé sur le mérite – et c’est ainsi que les choses doivent être !

Donald Trump, candidat républicain à l’élection présidentielle, sur Truth Social

Ron DeSantis, son principal rival chez les républicains, a salué la décision, estimant que « les admissions à l’université doivent être fondées sur le mérite et les candidats ne doivent pas être jugés en fonction de leur race ou de leur appartenance ethnique ».

« Stéréotypes raciaux »

Les deux causes examinées par la Cour suprême avaient été soumises par le groupe Students for Fair Admissions, fondé par le juriste militant Edward Blum. Dans le cas de la Caroline du Nord, les plaignants estimaient que l’université pratiquait une discrimination à l’encontre des candidats blancs et asiatiques en donnant la préférence aux candidats noirs, hispaniques et autochtones.

PHOTO CHARLES KRUPA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Campus de l’Université Harvard, à Cambridge, dans le Massachusetts

Dans le cas de Harvard, les plaignants accusaient en outre l’université de soumettre les candidats asiatiques à des critères subjectifs tels que le courage et la gentillesse.

Dans sa décision, le juge Roberts a affirmé que les programmes de discrimination positive des deux universités « emploient inévitablement la race de manière négative » et « impliquent des stéréotypes raciaux », d’une manière inconstitutionnelle.

Cependant, il a précisé que « rien dans cet arrêt ne doit être interprété comme interdisant aux universités de prendre en considération la discussion d’un candidat sur la façon dont la race a affecté sa vie ».

À la fois bénéficiaire et critique de la discrimination positive à l’université, le juge Clarence Thomas a lu séance tenante son opinion concurrente, ne cachant pas sa satisfaction.

« Même dans le Sud ségrégationniste où j’ai grandi, les individus ne se résumaient pas à la couleur de leur peau », a déclaré le natif de Géorgie.

« Bien que je sois douloureusement conscient des ravages sociaux et économiques qui ont frappé ma race et tous ceux qui souffrent de discrimination, je garde l’espoir que ce pays sera à la hauteur de ses principes si clairement énoncés dans la Déclaration d’indépendance et la Constitution des États-Unis : tous les hommes sont créés égaux, sont des citoyens égaux et doivent être traités de la même manière devant la loi. »