(New York) La mâchoire serrée, les bras croisés et le corps tendu, Donald Trump semblait avoir du mal à contenir sa colère, selon des témoins de sa comparution devant un tribunal de Miami, mardi après-midi. Lui faisant face, un juge détaillait l’acte d’accusation dressé contre lui dans l’affaire des documents classifiés.

Le moment était historique. Pour la première fois, un ancien occupant de la Maison-Blanche devait répondre à un juge lui demandant comment il entendait plaider à des accusations de crimes fédéraux, et non les moindres.

Le moment était aussi humiliant, à en croire l’aveu fait par l’intéressé lui-même à un journaliste samedi dernier et selon lequel « personne ne veut être inculpé ».

Todd Blanche, un des avocats de Donald Trump, a répondu à la question du juge Jonathan Goodman à propos des 37 chefs d’accusation retenus contre son client.

« Nous plaidons certainement non coupable », a-t-il dit.

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Le procureur spécial Jack Smith

Le procureur spécial Jack Smith, qui a dirigé l’enquête sur les dossiers classifiés, était présent dans la salle d’audience, à quelques mètres seulement du prévenu le plus célèbre des États-Unis.

Donald Trump est accusé d’avoir mis la sécurité de son pays en péril en conservant à Mar-a-Lago, son club privé de Floride, des documents top secret, dont des plans militaires ou des informations sur des armes nucléaires. Il a également été inculpé pour rétention illégale de documents portant sur la sécurité nationale après avoir refusé de les restituer malgré des injonctions judiciaires. Et il devra répondre à des accusations d’entrave à la justice et de faux témoignage.

Présent à la table des accusés lors de la comparution, Walt Nauta, l’assistant et complice allégué de Donald Trump, n’a pas présenté de plaidoyer, faute d’une représentation juridique adéquate.

À l’issue de la comparution de près de 50 minutes, le juge Goodman a libéré Donald Trump sans condition, sauf celle de ne pas parler du dossier avec Walt Nauta et certains témoins. Peu après, l’ancien président s’est rendu avec son assistant au Versailles, célèbre restaurant cubain de la Petite Havane, à Miami, où il a voulu projeter l’image d’un showman qui se moquait d’avoir été accusé de violation de la loi sur l’espionnage.

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Walt Nauta et Donald Trump, mardi soir

En soirée, lors d’un discours à Bedminster, site de son club de golf au New Jersey, il a esquissé ce qui sera probablement sa défense à l’occasion de son procès.

« La loi sur l’espionnage a été utilisée pour s’attaquer aux traîtres et aux espions ; elle n’a rien à voir avec le fait qu’un ancien président conserve légalement ses propres documents », a-t-il déclaré devant une foule d’alliés, de donateurs et de partisans. « En tant que président, la loi qui s’applique dans ce cas-ci n’est pas la loi sur l’espionnage, mais le Presidential Records Act. En vertu de cette loi, j’avais tout à fait le droit de conserver ces documents. »

En fait, en vertu de la loi baptisée Presidential Records Act, Donald Trump était tenu, en quittant la Maison-Blanche, de rendre aux Archives nationales tous les documents liés à sa présidence, et surtout les documents top secret.

L’ancien président a présenté son inculpation comme une « persécution politique digne d’un pays fasciste ou communiste ».

« Aujourd’hui, nous avons assisté à l’abus de pouvoir le plus diabolique et le plus odieux de l’histoire de notre pays, a-t-il dit. Un président en exercice corrompu a fait arrêter son principal opposant politique sur la base d’accusations fausses et fabriquées de toutes pièces, en plein milieu d’une élection présidentielle qu’il est en train de perdre très lourdement. C’est ce qu’on appelle une ingérence électorale. »

Pas en direct

Seules les chaînes conservatrices Fox News et Newsmax ont présenté le discours de Donald Trump en direct. Au cours de son reportage, la chaîne de Rupert Murdoch a juxtaposé les images de Joe Biden et de Donald Trump accompagnées du sous-titre suivant : « Un dictateur en puissance s’exprime à la Maison-Blanche après avoir fait arrêter son rival politique. »

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Donald Trump, à son club de golf du New Jersey, mardi soir

Donald Trump s’est également attaqué au procureur spécial Jack Smith et à sa femme, Katy Chevigny, une des productrices du documentaire Becoming tiré du livre du même titre de Michelle Obama.

« Il déteste Trump de façon furieuse et incontrôlée, tout comme sa femme, productrice d’un navet sur Michelle Obama », a-t-il dit.

Vendredi dernier, après la publication de son acte d’accusation, Jack Smith a exprimé le souhait que le procès se déroule rapidement.

Les avocats de Donald Trump tenteront de le frustrer en multipliant les requêtes préalables, de sorte que le procès pourrait ne pas être terminé avant l’élection présidentielle de 2024.

Dans l’une de leurs premières requêtes, ils pourraient réclamer le rejet de la poursuite contre Donald Trump au prétexte que celui-ci a été injustement inculpé alors qu’une personne comme Hillary Clinton, par exemple, a également fait l’objet d’une enquête pour mauvaise gestion d’informations classifiées, mais n’a jamais été inculpée.

À moins d’un changement, il reviendra à la juge Aileen Cannon de trancher ces questions. Dans les premières étapes de l’enquête du département de la Justice sur les dossiers classifiés, cette jeune magistrate nommée en 2020 par Donald Trump avait retenu l’attention en rendant des décisions inhabituellement favorables à l’ancien président. Décisions qui avaient été renversées sèchement par trois juges d’une cour d’appel, tous nommés par des présidents républicains, dont deux par Donald Trump.

En théorie, la poursuite pourrait demander à la juge de se récuser en raison de sa partialité présumée dans ce dossier.

Malgré la gravité des accusations retenues contre lui, Donald Trump continue à jouir de l’appui de nombreux militants et élus républicains.

Mais des voix discordantes commencent à se faire entendre, y compris chez les rivaux républicains de l’ancien président.

La semaine dernière, par exemple, Mike Pence avait dénoncé l’inculpation de son ancien patron, affirmant qu’elle était de nature à diviser encore davantage les Américains. Mardi, lors d’une entrevue accordée à l’équipe éditoriale du Wall Street Journal, il a adopté une position plus nuancée.

« Il s’agit d’allégations très sérieuses, a-t-il dit. Et je ne peux pas défendre ce qui est allégué. Mais le président a le droit de se présenter devant un tribunal. Il a le droit de présenter une défense, et je veux réserver mon jugement jusqu’à ce qu’il ait l’occasion de répondre. »

Les accusations en bref

31 chefs d’accusation : rétention délibérée d’informations relatives à la défense nationale

Ces accusations sont en lien avec la possession présumée et non autorisée par Donald Trump de 31 documents relatifs à la défense nationale et le fait qu’il ne les ait pas remis, même s’ils lui avaient été demandés par les Archives nationales.

3 chefs d’accusation : rétention ou dissimulation de documents dans le cadre d’une enquête fédérale

Trump et un de ses assistants, Walt Nauta, auraient dissimulé des boîtes de documents classifiés aux autorités chargées de l’application de la loi et au grand jury.

2 chefs d’accusation : fausses déclarations

En lien avec de présumées fausses déclarations par l’ex-président concernant la remise de documents classifiés aux autorités.

1 chef d’accusation : complot pour entrave à la justice

Ce chef fait référence à la tentative présumée par Trump et Walt Nauta de cacher des documents classifiés ou de les déplacer à Mar-a-Lago avant l’arrivée du FBI.

Vincent Larin, La Presse