(New York) Dianne Feinstein n’était certes pas la première personne à lire une question rédigée par elle-même ou un de ses conseillers lors d’une audition au Sénat américain. Le hic, c’est que la sénatrice démocrate de Californie, alors âgée de 87 ans, a posé la même question deux fois, avec les mêmes intonations, à quelques minutes d’intervalle. Le témoin auquel elle s’adressait, Jack Dorsey, alors patron de Twitter, a eu la délicatesse de répéter sa réponse initiale comme si de rien n’était.

Mais le clip de l’interaction s’est vite retrouvé sur un site conservateur, accompagné d’un message à la fois descriptif et prescriptif : « La sénatrice Feinstein vient de poser la même question deux fois et ne s’en est pas aperçue. L’heure de la retraite a sonné ! »

L’épisode remonte à novembre 2020. Le mois prochain, Dianne Feinstein fêtera ses 90 ans. Elle deviendra alors la première personne nonagénaire à siéger au Sénat depuis le sénateur démocrate de Virginie-Occidentale Robert Byrd, mort en plein mandat à l’âge de 92 ans, en 2010.

Mais la doyenne de la Chambre haute du Congrès américain ne semble toujours pas prête à prendre sa retraite, et ce, même si son état de santé suscite encore plus d’inquiétude qu’il y a deux ans et demi.

Il s’agit à la fois d’une tragédie personnelle pour l’une des politiciennes les plus admirées de sa génération, d’un problème politique pour les démocrates et d’un moment révélateur pour le Sénat.

Dianne Feinstein est la doyenne d’une institution qui compte cinq octogénaires, y compris son cadet de quatre mois le sénateur républicain d’Iowa Chuck Grassley, et 29 septuagénaires, dont 11 ont au moins 75 ans, sur un total de 100.

Aucun d’entre eux ne menace le record de l’ancien sénateur républicain de Caroline du Sud Strom Thurmond, qui avait 100 ans lorsqu’il a démissionné. En 2020, un de ses anciens conseillers a confié à la journaliste du New Yorker Jane Mayer : « Pendant les dix dernières années de sa vie, Strom Thurmond ne savait pas s’il était à pied ou à cheval. »

Pouvoir et prestige

Nombreuses sont les raisons pour lesquelles des élus du Sénat s’y éternisent. L’ancienneté en est une. Elle offre plusieurs avantages, dont l’accès aux postes les plus prestigieux ou influents. Un exemple : de 1989 à 2008, le sénateur Robert Byrd a pu diriger des sommes d’argent colossales vers son petit État grâce à son rôle de président de la commission des Appropriations, dont il a été membre pendant ses 51 années au Sénat.

Le prestige attaché à la fonction de sénateur est une autre raison, de même que le confort moral et psychologique que procure un personnel dévoué. La pression des partis, qui ne veulent pas avoir à défendre des sièges laissés vacants, peut aussi jouer.

Bien sûr, le Sénat n’est pas le seul endroit où des octogénaires s’occupent de politique ces jours-ci, comme Joe Biden peut en témoigner à la Maison-Blanche.

Mais le Sénat est un cas à part. Et Dianne Feinstein ajoute son nom à une longue liste d’élus qui y ont connu une fin de carrière pénible. Certaines de ses collègues féminines voient d’ailleurs du sexisme dans les appels à sa démission qui se sont de nouveau fait entendre ces dernières semaines.

« Nous avons des membres masculins qui ont des difficultés diverses, et je n’entends personne suggérer qu’ils prennent leur retraite », a déclaré la sénatrice démocrate du Michigan Debbie Stabenow, 73 ans, à la mi-avril.

La sénatrice Stabenow a fait cette déclaration pendant que sa collègue de Californie était confinée à sa résidence de San Francisco en raison d’un zona. L’absence de Dianne Feinstein à Washington n’aurait sans doute pas causé un si grand émoi si la sénatrice ne siégeait pas au sein de la très importante commission judiciaire du Sénat.

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La sénatrice démocrate Dianne Feinstein s’est absentée pendant près de trois mois.

Or, pendant près de trois mois, les démocrates ont été incapables de confirmer les candidats de Joe Biden à la magistrature fédérale en raison de cette absence. D’où ces appels à la démission de Feinstein, dont le siège pourrait être comblé rapidement par une personne nommée par le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom.

Quitter la tête haute

Le 9 mai dernier, une Dianne Feinstein frêle, le visage à moitié paralysé par le zona, a fait baisser quelque peu la pression en retournant à Washington. Mais son état n’a rassuré personne. Un journaliste du magazine en ligne Slate a d’abord raconté un échange avec la sénatrice dans lequel cette dernière ne semblait pas se rappeler qu’elle avait été absente de Washington.

Le New York Times a enchaîné avec un article révélant que l’élue souffrait d’une encéphalite post-infectieuse, complication rare et potentiellement débilitante du zona qui n’avait pas été annoncée auparavant.

Malgré tout, Dianne Feinstein insiste pour dire qu’elle ne se retirera pas avant la fin de son mandat actuel, le 3 janvier 2025. Elle aurait pourtant pu partir du Sénat la tête haute à l’âge respectable de 85 ans, à la fin de son mandat précédent. Celle qui a été la première femme à être élue à la mairie de San Francisco aura laissé sa marque à Washington en rédigeant le projet de loi qui a interdit les fusils d’assaut de 1994 à 2004 et en menant une enquête accablante sur la torture de la CIA sous George W. Bush.

Au lieu d’une retraite bien méritée, Dianne Feinstein a droit à des blagues macabres émanant de son propre entourage, dont l’une a été révélée par le New York Times : « Ses proches plaisantent en privé en disant que, peut-être, lorsque Mme Feinstein sera morte, elle commencera à envisager de démissionner. »