(Los Angeles) Les tueries de masse se succèdent à un rythme record aux États-Unis en 2023, l’horreur rejouant en boucle environ une fois par semaine depuis le début de l’année.

Le carnage a jusqu’à présent coûté la vie à 88 personnes lors de 17 tueries en 111 jours. Chaque fois, les tueurs ont utilisé des armes à feu.

Les enfants d’une école primaire de Nashville, abattus lors d’un lundi bien ordinaire. Des ouvriers agricoles du nord de la Californie aspergés de balles à la suite d’une querelle sur leur lieu de travail. Des danseurs dans une salle de bal près de Los Angeles massacrés alors qu’ils célébraient le Nouvel An lunaire.

La semaine dernière, quatre fêtards ont été tués et 32 autres blessés à Dadeville, en Alabama, quand une fusillade a éclaté en marge d’un 16e anniversaire. Enfin, un homme tout juste sorti de prison a abattu quatre personnes, dont ses parents, à Bowdoin, dans le Maine, avant d’ouvrir le feu sur des automobilistes sur une autoroute très achalandée.

PHOTO KIMBERLY CHANDLER, ASSOCIATED PRESS

Quatre personnes ont été tuées lors d’une fusillade en marge d’un 16e anniversaire à Dadeville, en Alabama, le 15 avril.

« Personne ne devrait être choqué », a déclaré Fred Guttenberg, dont la fille Jaime, âgée de 14 ans, a été l’une des 17 personnes tuées dans une école secondaire de Parkland, en Floride, en 2018.

Je rends visite à ma fille dans un cimetière. L’indignation ne commence pas à décrire ce que je ressens.

Fred Guttenberg, mère d’une victime de Parkland

Les victimes de Parkland font partie des 2842 personnes mortes dans des tueries de masse aux États-Unis depuis 2006, selon une base de données gérée par The Associated Press et USA Today, en partenariat avec l’Université Northeastern. Cette base de données recense les tueries ayant fait au moins quatre morts, sans compter l’auteur, respectant la même norme que la police fédérale américaine (le FBI).

Ces effusions de sang ne représentent qu’une fraction de la violence mortelle qui se déroule chaque année aux États-Unis. Pourtant, les tueries de masse se produisent à une fréquence stupéfiante cette année : une fois tous les 6,53 jours en moyenne, selon une analyse des données de The AP/USA Today. Seule l’année 2009 avait été marquée par autant de tragédies sur la même période.

D’un océan à l’autre, la violence est déclenchée par toute une série de motifs. Meurtres, suicides et violences domestiques, représailles de gangs, fusillades dans les écoles et vendettas sur le lieu de travail. Tous ces actes ont coûté la vie à quatre personnes ou plus en même temps depuis le 1er janvier.

Pourtant, la violence continue et les obstacles au changement persistent. La probabilité que le Congrès rétablisse l’interdiction des fusils semi-automatiques semble lointaine, et la Cour suprême des États-Unis a établi l’année dernière de nouvelles normes pour l’examen des lois nationales sur les armes à feu, remettant en question les restrictions imposées à ce type d’armes dans l’ensemble du pays.

Le rythme des fusillades de masse depuis le début de l’année n’annonce pas nécessairement un nouveau record annuel. En 2009, l’effusion de sang s’est ralentie et l’année s’est achevée sur un décompte final de 32 tueries de masse et 172 morts. Ces chiffres dépassent à peine les moyennes de 31,1 tueries et 162 victimes par an, selon une analyse des données remontant à 2006.

Des records macabres ont été établis au cours de la dernière décennie. Les données indiquent un pic de 45 tueries de masse en 2019 et 230 personnes tuées dans de telles tragédies en 2017. Cette année-là, 60 personnes ont trouvé la mort lorsqu’un tireur a ouvert le feu sur un festival de musique country en plein air sur la Strip de Las Vegas. Ce massacre a fait le plus grand nombre de victimes lors d’une fusillade de masse dans l’histoire des États-Unis modernes.

« Voici la réalité : si quelqu’un est déterminé à commettre une violence de masse, il le fera, a résumé Jaclyn Schildkraut, la directrice exécutive du Consortium régional de recherche sur la violence armée de l’Institut Rockefeller du gouvernement. C’est notre rôle, en tant que société, d’essayer de dresser des obstacles et des barrières pour rendre cela plus difficile. »

Mais il y a peu d’indications au niveau des États ou au niveau fédéral ― à quelques exceptions près ― que des changements politiques majeurs se profilent à l’horizon.

Certains États ont tenté d’imposer un contrôle plus strict des armes à feu à l’intérieur de leurs frontières. La semaine dernière, la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, a signé une nouvelle loi rendant obligatoire la vérification des antécédents criminels pour l’achat de carabines et de fusils de chasse, alors que l’État ne l’exigeait auparavant que pour les personnes achetant des pistolets. Mercredi, une interdiction de dizaines de types de fusils semi-automatiques a été approuvée par l’Assemblée législative de l’État de Washington et est en voie d’être approuvée par le gouverneur.

D’autres États subissent de nouvelles pressions. Dans l’État conservateur du Tennessee, des manifestants sont descendus au Capitole pour réclamer une plus grande réglementation des armes à feu après la mort de six personnes dans l’école primaire privée de Nashville le mois dernier.

PHOTO GEORGE WALKER IV, ASSOCIATED PRESS

Manifestation d’étudiants devant le Capitole du Tennessee, le 13 avril à Nashville

Au niveau fédéral, le président Joe Biden a signé l’année dernière un projet de loi historique sur la violence armée, qui renforce les contrôles d’antécédents pour les acheteurs d’armes les plus jeunes ; interdit l’accès aux armes à feu à un plus grand nombre d’auteurs d’actes de violence domestique ; et aide les États à utiliser les lois qui permettent à la police de demander aux tribunaux de retirer les armes à feu aux personnes qui montrent des signes qu’elles risquent de devenir violentes.

Malgré les gros titres, les tueries de masse sont statistiquement rares, perpétrées par une poignée de personnes chaque année dans un pays de près de 335 millions d’habitants. Et il est impossible de prédire si les évènements de cette année se poursuivront à ce rythme.

Parfois, les tueries se succèdent ― comme en janvier, lorsque des évènements meurtriers ont eu lieu à deux jours d’intervalle dans le nord et le sud de la Californie ― tandis que d’autres mois se passent sans effusion de sang.

« Nous ne devrions pas nécessairement nous attendre à ce que cette situation ― une tuerie de masse tous les moins de sept jours ― se poursuive, a estimé James Alan Fox, un criminologue à l’Université Northeastern. Espérons que ce ne sera pas le cas. »

Néanmoins, les experts et les défenseurs des droits de la personne déplorent la prolifération des armes à feu aux États-Unis ces dernières années, y compris les ventes record au plus fort de la pandémie.

« Nous devons savoir que ce n’est pas une façon de vivre, a déclaré John Feinblatt, le président d’Everytown for Gun Safety. Nous n’avons pas à vivre de cette manière. Et nous ne pouvons pas vivre dans un pays où les armes à feu sont omniprésentes, en tout lieu et à tout moment. »

La National Rifle Association n’a pas répondu à la demande de commentaire de l’AP.

Jaime Guttenberg aurait 19 ans aujourd’hui. Son père passe désormais ses journées à militer pour le contrôle des armes à feu.

« Les États-Unis ne devraient pas être surpris par la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, a lancé Fred Guttenberg. Tout est dans les chiffres. Les chiffres ne mentent pas. Mais nous devons faire quelque chose immédiatement pour y remédier. »