(New York) Certains ont vanté son courage. D’autres se sont dits fiers de lui. D’autres encore lui ont souhaité une pleine guérison et un retour au travail en temps et lieu.

C’est clair : les membres de la classe politique américaine n’auraient pas pu réagir de façon plus bienveillante à l’annonce de l’hospitalisation volontaire pour dépression du sénateur démocrate de Pennsylvanie John Fetterman.

Il faut dire que le géant au crâne chauve, connu pour ses tenues décontractées – kangourou, shorts ou jeans –, ne l’a pas eu facile.

Il a été élu en novembre dernier dans une bataille clé des élections de mi-mandat, marquée par des questions sur sa santé. Un AVC subi à quelques jours seulement de la primaire démocrate avait failli lui coûter la vie.

Et voilà qu’il doit maintenant lutter contre la dépression, ce qui n’est pas une surprise en soi. Il s’agit en fait d’une complication fréquente des AVC. Complication à laquelle ont peut-être contribué une campagne hautement médiatisée contre le chirurgien et animateur de télévision Mehmet Oz et les défis d’une nouvelle vie à Washington.

Mais l’annonce de cette hospitalisation pour dépression illustre un changement important. Il en est de même de la réaction de la classe politique, qui va dans le sens d’une meilleure compréhension des enjeux liés à la santé mentale au sein de la société américaine.

« J’admire le sénateur John Fetterman pour avoir ouvertement cherché un traitement contre la dépression à [l’hôpital militaire] Walter Reed », a tweeté le représentant démocrate de New York Ritchie Torres. « En 2010, j’ai été hospitalisé pour une dépression. Je ne serais pas en vie, et encore moins au Congrès, sans les soins de santé mentale. Des millions d’Américains vous soutiennent, sénateur. »

Histoire du secret

Il n’en a pas toujours été ainsi. Après l’annonce de l’équipe de John Fetterman, de nombreux commentateurs ont rappelé l’histoire de l’ancien sénateur démocrate du Missouri Thomas Eagleton. Candidat à la vice-présidence en 1972, ce dernier avait caché au candidat à la présidence, le sénateur démocrate du Dakota du Sud George McGovern, qu’il avait été hospitalisé à trois reprises pour dépression et qu’il avait subi une thérapie par électrochocs.

Quand un journal a révélé l’affaire, George McGovern a d’abord déclaré qu’il était « 1000 % » derrière son colistier. Mais le sénateur Eagleton allait finir par retirer sa candidature, sous la pression du candidat présidentiel du Parti démocrate et de son équipe.

Lors d’une entrevue accordée en 2006, George McGovern a exprimé des regrets pour la façon dont il avait géré cet épisode.

Mais l’histoire de Thomas Eagleton a contribué à perpétuer la culture du silence autour de la santé mentale dans le monde politique.

Un autre épisode illustre ce tabou. Pendant la campagne présidentielle de 1988, le Washington Times, journal conservateur, a fait ses choux gras d’une rumeur selon laquelle le candidat démocrate, Michael Dukakis, avait souffert de dépression après la mort de son frère en 1973 ou après sa défaite lors d’une élection au poste de gouverneur du Massachusetts en 1978.

Interrogé au sujet de l’article du Times, le président républicain Ronald Reagan avait déclaré : « Je ne vais pas m’en prendre à un invalide. »

Une heure plus tard, il devait présenter de plates excuses : « J’essayais seulement d’être drôle, mais cela n’a pas marché. »

Qu’à cela ne tienne : pour combattre la rumeur, Michael Dukakis avait tenu à préciser qu’il n’avait « jamais reçu une aide professionnelle » pour un problème de santé mentale, ce que son médecin personnel devait confirmer dans une déclaration.

Trente-cinq ans plus tard, les braves sont ceux qui demandent de l’aide.

On attribue souvent à Tipper Gore, femme de l’ancien vice-président Al Gore, un début de changement dans la façon dont la dépression est gérée ou perçue dans le monde politique. À l’amorce de la course à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2000, elle avait signé une tribune dans le USA Today dans laquelle elle révélait avoir subi un traitement pour une dépression dont elle se disait guérie.

« Si cela aide une seule personne, alors je pense que cela aura valu la peine », avait-elle écrit en affirmant vouloir déstigmatiser la maladie mentale qui, chaque année, frappait alors 51 millions d’Américains, sous une forme ou une autre.

La femme du futur candidat démocrate à la présidence voulait peut-être aussi désamorcer toute révélation médiatique qui aurait pu nuire à son mari.

Mauvaises langues

Mais cette déstigmatisation n’est pas complète, si l’on considère la réaction de certaines personnalités médiatiques de la droite à l’annonce de la dépression de John Fetterman. Vendredi, Donald Trump Jr, fils aîné de l’ancien président, l’a qualifié de « sénateur légume ». D’autres ont accusé les démocrates d’avoir exploité un handicapé. D’autres encore ont soupçonné sa femme Gisele de vouloir le remplacer après une potentielle démission.

À l’évidence, les Fetterman, qui ont trois enfants, traversent une période douloureuse. Le sénateur est encore loin d’être remis de son AVC.

En plus d’avoir à vivre avec un stimulateur cardiaque (pacemaker) et un défibrillateur, il doit composer avec des problèmes auditifs qui le forcent souvent à utiliser une tablette qui transcrit les propos d’autrui. Il s’agit d’une situation particulièrement frustrante pour un homme qui aimait échanger avec les journalistes au téléphone.

Selon un article récent du New York Times, s’ajoute à cette frustration le fait que John Fetterman a réalisé qu’il ne serait peut-être jamais plus l’homme qu’il était avant son AVC et qu’il a peut-être compromis de façon permanente son rétablissement en ne prenant pas le temps de repos recommandé pendant la campagne.

S’il parvient à se remettre de sa dépression, il verra peut-être sa situation de façon différente. En attendant, il n’a pas à se battre en plus contre un tabou.