(New York) Avant même de prêter serment mardi, les élus de la Chambre des représentants entameront la première session de travail du 118e Congrès en élisant un président (speaker en anglais). Ce dernier deviendra alors le troisième personnage de l’État américain après le président Joe Biden et la vice-présidente Kamala Harris.

D’entrée de jeu, au moins deux candidats seront en lice, un pour chaque parti représenté à la Chambre : le républicain de Californie Kevin McCarthy et le démocrate de l’État de New York Hakeem Jeffries.

En temps normal, l’élection du représentant McCarthy ne devrait pas faire de doute : grâce à leurs résultats lors des élections de mi-mandat, les républicains jouissent d’une majorité de quatre sièges à la Chambre.

Mais les temps ne sont pas normaux, et l’élection du successeur de Nancy Pelosi pourrait nécessiter plus d’un vote, ce qui ne s’est pas vu depuis le 3 janvier 1923, il y a exactement 100 ans.

Et si Kevin McCarthy finit par l’emporter, après un ou plusieurs scrutins, il le devra peut-être à un imposteur, en l’occurrence le représentant désigné de l’État de New York George Santos, qui fait déjà l’objet de deux enquêtes en raison des multiples mensonges qu’il a racontés sur presque tous les aspects de sa vie au cours de sa campagne électorale.

Ça commencerait bien son mandat.

Mais avant d’en arriver là, Kevin McCarthy devra d’abord mater la rébellion qui couve au sein de son groupe.

Au cours des dernières semaines, au moins cinq représentants républicains ont annoncé qu’ils ne voteraient pas pour lui, ce qui pourrait le priver de la majorité simple dont il a besoin pour réaliser le rêve de sa vie.

L’un des rebelles, le représentant républicain de Floride Matt Gaetz, a fait une prédiction dans une tribune publiée le 21 décembre dernier sur le site d’informations conservateur The Daily Caller : « L’élection [du président de la Chambre] nécessitera plusieurs scrutins et peut-être plusieurs jours. Après un débat interne, les républicains se réuniront et choisiront le bon leader pour ce rôle, et ce ne devrait pas être Kevin McCarthy. »

Dans la même tribune, le représentant de Floride a écrit que Kevin McCarthy était le « chien de poche de groupes d’intérêts », dont ceux qui ont voulu imposer l’obligation vaccinale pour combattre la COVID-19.

« Tous les républicains du Congrès savent que Kevin ne croit en rien. Il n’a pas d’idéologie », a-t-il ajouté.

Faction extrémiste

Comme Matt Gaetz, les quatre autres représentants ayant promis de ne pas voter pour Kevin McCarthy appartiennent au Freedom Caucus, qui réunit les élus les plus conservateurs ou extrémistes de la Chambre. Il s’agit d’Andy Biggs (Arizona), Bob Good (Virginie), Ralph Norman (Caroline du Sud) et Matt Rosendale (Montana).

Plusieurs autres représentants républicains ont refusé de dévoiler comment ils voteront.

Kevin McCarthy a un certain nombre d’atouts dans son jeu. Il jouit notamment de l’appui de Donald Trump et de deux représentants influents chez les plus conservateurs au sein du groupe républicain, Jim Jordan (Ohio) et Marjorie Taylor Greene (Géorgie). Ces deux-là devraient occuper des postes importants au sein des commissions qui enquêteront sur l’administration Biden et lanceront d’éventuelles procédures de destitution contre le président ou des membres de son cabinet.

Mais Kevin McCarthy est aussi à la merci de collègues qui veulent profiter de sa vulnérabilité pour lui soutirer des concessions ou même pour l’affaiblir davantage. La représentante républicaine du Colorado Lauren Boebert fait partie de ce groupe. En échange de son appui, elle réclame notamment au représentant de Californie qu’il autorise le recours à une règle ancienne permettant à tout représentant de forcer la tenue d’un vote pour démettre de ses fonctions le président de la Chambre.

Nous devons avoir un mécanisme de responsabilité pour le président de la Chambre. Il est le deuxième dans l’ordre de succession présidentielle. Et nous allons supprimer le seul moyen de contrôle dont disposent les membres du Congrès ?

La représentante républicaine du Colorado Lauren Boebert

Une prise de bec publique entre Lauren Boebert et Marjorie Taylor Greene a suivi cette déclaration, qui reflète les divisions au sein même de la frange ultraconservatrice du groupe républicain.

Divisions qui pourraient occasionner de nombreux maux de tête au prochain président de la Chambre des représentants, quel qu’il soit.

L’épineux dossier de George Santos

En attendant, la marge de manœuvre de Kevin McCarthy est minime. D’où son silence assourdissant sur les controverses invraisemblables qui entourent George Santos. Candidat ouvertement gai, fils d’immigrés brésiliens né dans l’arrondissement de Queens, ce New-Yorkais âgé de 34 ans a été élu après avoir menti sur son parcours universitaire, sa carrière professionnelle, ses actifs immobiliers, ses activités caritatives et sa confession religieuse, entre autres (il s’est dit juif de par ses grands-parents maternels, qu’il a faussement présentés comme des survivants de l’Holocauste réfugiés au Brésil).

PHOTO WADE VANDERVORT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le représentant désigné républicain George Santos, qui a admis avoir menti sur son éducation et son expérience professionnelle.

La procureure du comté de Nassau, à Long Island, a annoncé la semaine dernière l’ouverture d’une enquête sur les « inventions et incohérences » de George Santos, qui « ne sont rien moins que stupéfiantes ». Le bureau du procureur fédéral de Brooklyn a déclenché de son côté une enquête portant en partie sur les déclarations financières du représentant désigné, dont les revenus seraient passés de 55 000 $ à au moins 3,5 millions de dollars de 2021 à 2022.

Des démocrates ont affirmé que George Santos est inapte à siéger à la Chambre des représentants. La majorité républicaine pourrait elle-même en venir à cette conclusion en temps et lieu. Mais avant, l’imposteur aura son mot à dire dans l’élection du prochain « speaker ».

Et son vote pourrait faire la différence et permettre à Kevin McCarthy d’empoigner enfin le marteau du président de la Chambre.