(New York) Ce qui devait être l’apothéose de la carrière politique du représentant républicain de Californie Kevin McCarthy et le début d’une nouvelle majorité à la Chambre des représentants peut se résumer en deux mots : humiliation et chaos.

Pour la première fois en 100 ans, la chambre basse du Congrès américain s’est avérée incapable d’élire un président à l’issue d’un premier scrutin, tenu en début d’après-midi mardi. En fin d’après-midi, après deux autres scrutins infructueux, elle a décidé d’ajourner la procédure jusqu’à ce mercredi midi, ne voyant pas la possibilité d’accomplir en un seul jour ce qui est d’ordinaire une formalité.

Une rébellion menée par 19 représentants ultraconservateurs issus de la nouvelle majorité républicaine a transformé cette première session de travail du 118Congrès en cauchemar humiliant pour Kevin McCarthy, qui rêve depuis sa jeunesse à la présidence de la Chambre, une des positions les plus influentes et puissantes à Washington.

Cette révolte a aussi révélé les divisions profondes qui déchirent le parti auquel les électeurs américains ont confié les rênes de la Chambre lors des élections de mi-mandat. Le spectacle à la fois chaotique et déroutant entourant l’élection du « speaker » a aussi mis un frein aux autres activités qui marquent l’ouverture d’un nouveau Congrès, y compris la prestation de serment des représentants et l’adoption des règles de la Chambre.

La minceur de la majorité républicaine explique en partie les ennuis de Kevin McCarthy, qui est candidat à la présidence de la Chambre pour la deuxième fois de sa carrière. En vertu des résultats du rendez-vous électoral de novembre dernier, les républicains contrôlent 222 sièges à la Chambre, sur un total de 435.

Or, pour être élu à la succession de Nancy Pelosi, Kevin McCarthy avait besoin de 218 voix – si tous les représentants présents votaient. Hélas pour lui, lors des trois scrutins de mardi, il n’est jamais parvenu à récolter plus de 203 voix républicaines, les autres votes de son camp allant à d’autres candidats.

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Hakeem Jeffries

À l’opposé, toutes les voix démocrates sont allées au candidat de la nouvelle minorité, le représentant de l’État de New York Hakeem Jeffries, qui a ainsi ajouté à l’humiliation de Kevin McCarthy en remportant la pluralité des votes, soit 212, lors de chacun des scrutins.

Le représentant républicain d’Ohio Jim Jordan a par ailleurs remporté tous les votes des représentants rebelles de son groupe, dont le nombre est passé de 19 à 20 lors des deuxième et troisième scrutins.

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Jim Jordan

Forte opposition

« Kevin McCarthy ne sera pas président de la Chambre », a déclaré le représentant républicain de Virginie Bob Good, l’un des rebelles.

Son collègue républicain de Floride Matt Gaetz a utilisé un langage plus imagé pour expliquer son opposition au chef des républicains de la Chambre.

« Si vous voulez assécher le marécage, vous ne pouvez pas mettre le plus gros alligator aux commandes de l’exercice », a-t-il dit avant la tenue du premier scrutin.

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Matt Gaetz, représentant républicain de Floride

Comme les représentants Bob Good et Matt Gaetz, les autres rebelles républicains sont issus du Freedom Caucus, groupe ultraconservateur de la Chambre dont certains membres ont épaulé Donald Trump dans ses efforts pour changer les résultats de l’élection présidentielle de 2020.

N’empêche, Kevin McCarthy n’a pas donné l’impression de vouloir abandonner la lutte.

« Je reste jusqu’à ce que nous gagnions », a-t-il déclaré aux journalistes entre les deuxième et troisième votes. « Je connais la voie. »

Des appuis

Dans ce combat, Kevin McCarthy jouit de l’appui de certains collègues républicains qui ne sont pas moins radicaux que les Bob Good ou Matt Gaetz. Figurent parmi eux la représentante de Géorgie,Marjorie Taylor Greene et le représentant Jim Jordan, qui a été mis en nomination par Matt Gaetz lui-même comme candidat à la présidence de la Chambre.

« Nous devons nous rassembler autour de [Kevin McCarthy], nous unir », a déclaré Jim Jordan, qui a exprimé son désintérêt pour le poste de président de la Chambre.

Mais Kevin McCarthy a probablement perdu un appui qui lui a déjà semblé cher. Il y a quelques semaines, Donald Trump a déclaré aux représentants républicains que l’élu de Californie avait « mérité la chance » de prouver ce dont il était capable à titre de président de la Chambre. Après les scrutins de mardi, il ne semblait plus aussi sûr de celui qu’il a déjà appelé « mon Kevin ».

« Nous verrons ce qui se passe. Nous verrons comment tout cela fonctionne », a déclaré l’ancien président lors d’une brève entrevue téléphonique à un journaliste de NBC.

Kevin McCarthy avait conclu une sorte de pacte avec Donald Trump après l’avoir critiqué pour son rôle dans l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole. Trois semaines plus tard, il s’était rendu à Mar-a-Lago pour tenter d’amadouer l’ancien président et d’obtenir son aide pour conquérir la majorité à la Chambre en 2022.

Le pacte semble se retourner contre Kevin McCarthy. La minceur de la majorité républicaine à la Chambre tient en partie au nombre important de candidats trumpistes qui ont été défaits en novembre dernier.

Cette majorité étriquée permet par ailleurs aux représentants les plus MAGA de menacer leur chef. Mais il est difficile de savoir ce que veulent exactement les rebelles.

« Je ne crois pas qu’ils aient tous les mêmes buts », a fait valoir Antoine Yoshinaka, politologue de l’Université d’État de New York à Buffalo et spécialiste du Congrès. « Mais il semble bien qu’il y ait des différends sur le plan personnel entre McCarthy et certains de ses opposants. Matt Gaetz en est un exemple. »

Pour les autres, ce sont peut-être d’autres concessions procédurales qui peuvent leur faire changer d’avis. Mais McCarthy leur a déjà presque tout donné.

Antoine Yoshinaka, politologue

De fait, s’il parvient à être élu à la présidence de la Chambre, Kevin McCarthy aura déjà cédé une partie de son autorité aux ultraconservateurs de son groupe. Une de ses concessions permettrait en tout temps à cinq représentants de réclamer la tenue d’un vote pour démettre le président de la Chambre de ses fonctions.

« Ce sera une présidence affaiblie, a estimé le professeur Yoshinaka. Et après les votes d’aujourd’hui, l’aile extrémiste démontre qu’elle ne se gênera pas pour s’opposer au leadership. Si les républicains élisent un autre des leurs, cette personne devra aussi composer avec l’aile extrémiste… et l’aile modérée. »

En 2015, Kevin McCarthy avait retiré sa candidature à la présidence de la Chambre avant la tenue d’un premier scrutin, ayant conclu qu’il n’avait pas les appuis nécessaires. Il pourrait en venir à la même conclusion après d’autres scrutins infructueux. Qui pourrait alors jouer le rôle d’un Paul Ryan, le candidat qui a rallié en 2015 les plus conservateurs et les plus modérés du groupe républicain ?

Comme d’autres experts, Antoine Yoshinaka mentionne le nom du représentant de Louisiane Steve Scalise, numéro deux du groupe républicain.

« Son passé avec le Tea Party lui donne une certaine crédibilité auprès des trumpistes. Mais il exerce la fonction de whip depuis 2014, donc il fait partie de l’establishment et du leadership. Est-ce que ça va jouer contre lui auprès de ceux qui veulent du renouveau ? Je mettrais mon petit 2 $ sur lui, mais pas plus. »