C’est immanquable, dès que j’écris sur les démêlés judiciaires de Donald Trump, je reçois ce genre de courriel de semi-trumpistes : « Ouais, pendant ce temps, vous ne parlez pas de Hunter Biden… »

Sous-entendu : les médias s’acharnent sur Trump, mais passent sous silence les malversations de la famille de Joe Biden.

Ce à quoi je réponds : mais quelle bonne idée ! L’occasion est particulièrement propice, puisque le fils « problématique » du président des États-Unis fait maintenant l’objet d’une enquête par un « procureur spécial ». Rare et très sérieux évènement.

Une enquête de la sorte, on sait comment ça commence, jamais comment ça finit. Les démocrates ne le savent que trop. Le procureur indépendant Ken Starr, chargé d’enquêter sur le suicide d’un employé de la Maison-Blanche près de Bill Clinton et le scandale immobilier Whitewater, a fini par accuser le président pour parjure à propos d’une fellation dans le bureau Ovale.

C’est maintenant le procureur David C. Weiss qui a les pleins pouvoirs pour enquêter sur le fils du président, ce qui peut le mener dans des recoins sombres du pouvoir démocrate…

Jusqu’ici, malgré bien des enquêtes, on n’a jamais trouvé la moindre preuve impliquant Joe Biden dans un quelconque complot criminel, trafic d’influence, corruption ou manœuvre douteuse pour favoriser son fils.

N’empêche. À 53 ans, Hunter a fait toute sa carrière en rôdant autour des cercles du pouvoir à Washington. Et comme son père a été sénateur pendant 42 ans, puis un vice-président très actif à l’international aujourd’hui président, difficile de ne pas voir que le fils a au moins utilisé le nom de son père.

Biden fils, diplômé de Yale, a fondé une firme d’avocats et de lobbyistes, au tournant de l’an 2000. Il a eu de graves problèmes de consommation – alcool et cocaïne –, qui ont duré des années. Quand son père est devenu candidat à la vice-présidence avec Barack Obama, Hunter Biden a dû annoncer officiellement qu’il cessait ses activités de lobbyiste.

Il s’est ensuite associé avec des Chinois dans une société d’investissements impliquée dans le charbon en Australie et dans l’équipement automobile aux États-Unis. Pendant cette période, son père était vice-président.

Les vrais évènements controversés surviennent quand Hunter Biden devient membre du conseil d’administration de Burisma, une société d’énergie en Ukraine. Au même moment, son père fait des visites au pays pour lier l’aide américaine à la lutte contre la corruption. Hunter a touché 2 millions en deux ans pour sa présence à ce C.A.

En 2019, d’ailleurs, voyant que Joe Biden serait le candidat démocrate contre lui, Donald Trump a demandé au téléphone à Volodymyr Zelensky des informations sur les Biden en échange du maintien de l’aide militaire américaine.

Passons sur la suite des problèmes personnels de Hunter largement rapportés par les médias – rechute dans la coke, divorce acrimonieux, paternité « accidentelle » non reconnue, etc.

Venons-en à l’objet de tous les fantasmes complotistes : le laptop !

En 2019, Hunter laisse un ordinateur personnel endommagé dans une boutique. Le propriétaire de la boutique déclare y avoir trouvé du contenu compromettant et envoie le tout au FBI. Le New York Post fera état de quelques courriels pendant la campagne de son père, en 2020. Rudy Giuliani et Trump ont prétendu sans preuve que le père Biden avait utilisé son pouvoir pour aider les affaires de son fils. Mais une enquête de 2020 de deux comités du Sénat, dominé par les républicains, et une autre de la Chambre des représentants en 2023 n’ont trouvé aucune preuve de malversation de Joe Biden.

Alors, que reste-t-il ?

Il reste que Hunter Biden n’est pas net pour autant.

Après l’élection de son père, en novembre 2020, Hunter a révélé qu’il faisait l’objet d’une enquête d’un procureur fédéral depuis 2018. Une enquête, donc, déclenchée sous la présidence Trump.

Après cinq ans d’enquête, tout ce que le procureur David C. Weiss a trouvé touche à des infractions mineures : avoir menti sur sa consommation de drogue en achetant une arme à feu et un manquement à la loi fiscale. Il y a eu un règlement entre la défense et la poursuite : Hunter Biden a plaidé coupable, s’en tirant avec deux ans de probation et évitant la prison.

La juge a rejeté l’entente, notamment parce qu’elle donnait une immunité trop large à Biden pour des crimes non découverts. Les avocats n’ont pas réussi à arriver à une autre entente.

Le procureur général Merrick Garland a donc décidé de donner au procureur Weiss – nommé sous Trump, rappelons-le – les pleins pouvoirs d’enquête, sans qu’il relève de quiconque au département de la Justice. Si ses recommandations ne sont pas suivies, Garland doit s’en expliquer publiquement. Et Weiss peut publier un rapport comme bon lui semble.

Donc ? Donc Hunter Biden n’a pas toujours été honnête. Il a certainement profité de son lien filial. Mais même si son père a déjà prétendu faussement que Hunter n’avait jamais fait d’argent avec les Chinois, après toutes ces années d’enquêtes acharnées, on n’a pas la moindre preuve d’une implication de Joe Biden dans les affaires parfois douteuses de son fils.

Et de toute manière, en quoi ces histoires viennent-elles diminuer la responsabilité criminelle de Donald Trump ? Les partisans de Trump s’essaient à une fausse équivalence entre deux situations incomparables.

Sauf que cette enquête indépendante toute fraîche lancée la semaine dernière fait revivre une affaire que les démocrates croyaient enterrée pour de bon.

La prochaine campagne présidentielle se fera donc à coups de procureurs, même si les dossiers ne sont pas comparables.

Ce n’est pas à la politisation de la justice américaine qu’on assiste, au fond.

C’est plutôt à la judiciarisation de la politique américaine.