Au Punjab, 27 millions de personnes ont été privées de l’internet à cause de lui. Qui est Amritpal Singh Sandhu, l’homme le plus recherché d’Inde ?

Vingt-sept millions de personnes sans l’internet ? Ça en fait du monde ! Panne généralisée ?

Pas vraiment. Plutôt un acte délibéré de la police, afin de mettre le grappin sur Amritpal Singh Sandhu, le Robin des Bois du Punjab. Si on a bien compris, l’idée était d’éviter la propagation de « fausses nouvelles ». Mais la décision a eu pour effet de paralyser pratiquement tout l’État !

Ils ont réussi à l’arrêter ?

Non, il court toujours. Mais une centaine de ses supporters ont été écroués. Selon la BBC, des milliers de policiers seraient à ses trousses.

PHOTO NARINDER NANU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Policiers à la chasse d’Amritpal Singh Sandhu dans les rues d’Amritsar, le 23 mars

By Jove ! Pourquoi autant d’efforts pour un seul homme ?

Amritpal Singh Sandhu, 30 ans, est considéré comme une « menace pour la sécurité nationale ». Depuis son retour en Inde il y a un an, ce prêcheur charismatique semble vouloir réveiller le mouvement indépendantiste sikh, qui était plus ou moins en dormance depuis les années 1990. Le 23 février dernier, Amritpal et ses hommes ont attaqué un poste de police, avec sabres et fusils, pour libérer un de leurs collègues. Les forces de l’ordre disent ne pas avoir pu l’arrêter, parce qu’il se protégeait avec le Guru Granth Sahib, le livre saint du sikhisme. Cet évènement a convaincu les autorités qu’il fallait le mettre hors d’état de nuire, par crainte d’un retour de flamme séparatiste dans cet État de 31 millions d’habitants.

Séparatisme sikh ? Rafraîchissez-moi la mémoire…

Ça ne date pas d’hier. Les sikhs composent 2 % de la population de l’Inde, soit environ 20 millions de personnes, pour la plupart situées dans le Punjab indien, mais aussi pakistanais. Depuis la partition de l’Inde en 1947, les sikhs revendiquent leur propre État, le Khalistan, soit un Punjab réunifié. Ce mouvement indépendantiste était particulièrement actif dans les années 1970 et 1980, ce qui a mené à des répressions sanglantes de la part de Delhi, et des actes de vengeance tout aussi terribles de la part des indépendantistes. Rappelez-vous l’assassinat d’Indira Gandhi et l’attentat d’Air India, perpétré depuis le Canada… On estime que ces troubles ont fait 20 000 victimes.

Vous parlez au passé, c’est donc fini, tout ça ?

Le Punjab est en paix depuis 1993. Mais le mouvement séparatiste ne s’est jamais complètement éteint. Les craintes d’une nouvelle insurrection sont toujours là, d’où la panique du gouvernement indien devant l’apparition de cet Amritpal Singh Sandhu qui fait courir les foules.

Justement, d’où sort ce jeune homme ?

De nulle part, ou presque. Punjabi de naissance, il travaillait depuis de nombreuses années pour l’entreprise familiale à Dubaï. Revenu en Inde depuis peu, il vient de prendre la tête de l’organisation Waris Punjab De (Héritiers du Punjab), orpheline depuis la disparition de son leader, mort dans un mystérieux accident de la route. Militant radical, il profite de son ascendant sur la jeunesse sikhe pour mobiliser les troupes. Pour lui, l’indépendance est la seule « solution permanente » aux problèmes du Punjab. « Ce qui fait peur, c’est qu’il utilise le sikhisme pour chercher des adeptes. Il ne sollicite pas la raison, mais le sentiment. C’est un nationalisme différent parce qu’on fait appel à la foi », précise Serge Granger, professeur et spécialiste de l’Inde à l’Université de Sherbrooke.

Cette chasse à l’homme peut-elle exacerber les tensions ?

Possible. Mais gare aux protestations. Le gouvernement indien n’a pas la réputation d’être très tendre envers les séparatistes khalistanais. Cette semaine, Amnesty India a même exprimé ses inquiétudes devant le début de répression au Punjab (censure, coupure de l’internet), inquiétudes relayées au Canada par Jagmeet Singh et Tim Uppal, deux politiciens fédéraux de confession sikhe. « Historiquement, l’Inde a davantage utilisé le bâton que la carotte contre le mouvement autonomiste, ajoute Serge Granger. Je présume qu’ils veulent le mettre en prison pour faire un exemple. L’idée, c’est d’éviter que le germe se développe. »

Son arrestation n’est qu’une question de temps, sans doute…

Pas certain. Selon le quotidien India Today, Amritpal Singh Sandhu aurait déjà réussi à quitter le pays, une fuite spectaculaire avec déguisements et multiples changements de véhicule. Des rumeurs l’envoient même au Canada, où l’on compte une grosse diaspora prokhalistanaise. Il aurait fait une demande de visa et s’envolerait depuis le Népal. La police punjabi a déclaré que ce scénario « faisait l’objet d’une enquête »…

Sources : BBC, The Guardian, Vice, The Hindu, India Times, Indian Express, Daily Hive, DW et Times Now