L’annonce cette semaine par les autorités australiennes de la mise en accusation pour crime de guerre d’un soldat des forces spéciales ayant servi en Afghanistan marque un « pas important » en matière d'imputabilité et pourrait être suivie d’autres actions de même nature.

« Ça montre qu’ils prennent leur rôle au sérieux – tant en ce qui a trait à la conduite d’enquêtes rigoureuses qu’à la nécessité de déposer des accusations lorsque la preuve le justifie », souligne à La Presse Daniela Gavshon, analyste de Human Rights Watch établie en Australie.

Kyinzom Dhongdue, d’Amnistie internationale, parle d’une « avancée prometteuse » qui envoie un « message fort » aux familles des victimes indiquant que leurs plaintes ne seront pas balayées sous le tapis.

« Il reste à voir, cependant, s’il s’agit d’un cas isolé ou du début d’un changement de paradigme dans la façon dont les autorités australiennes amènent leurs propres soldats à rendre des comptes pour de graves violations du droit humanitaire international », a-t-elle précisé dans un communiqué.

Le Bureau de l’enquêteur spécial, qui travaille de concert avec la police fédérale australienne relativement à des allégations d’abus ciblant des soldats, a récemment précisé qu’une quarantaine de dossiers étaient à l’étude.

Nombre d’entre eux découlent d’un rapport choc divulgué en 2020 qui relevait l’existence de « preuves crédibles » suggérant que 25 soldats issus des forces spéciales ont tué illégalement 39 Afghans ou agi à titre de complices durant la période du déploiement australien, de 2005 à 2016.

Dans tous les cas, les victimes étaient des civils ou des personnes « hors de combat » qui sont protégés par le droit humanitaire international.

L’auteur du rapport, le général de division Paul Brereton, s’était dit consterné par le résultat de ses recherches. « Nous ne souhaitions pas arriver à de telles conclusions. Elles nous diminuent tous », avait-il déclaré.

Mise en scène

Le soldat mis en accusation cette semaine, Oliver Schulz, qui est âgé de 41 ans, risque la prison à vie. Il est accusé d’avoir tué un homme afghan sans défense à l’issue d’une opération menée dans la province afghane d’Orozgan en mai 2012.

La chaîne australienne ABC avait divulgué en 2020, avant la sortie du rapport Brereton, des images de l’attaque prises par la caméra d’un autre soldat.

Un membre des forces spéciales qui n’était pas identifié nommément dans le reportage tire à bout portant sur un homme allongé à ses pieds après avoir demandé à son collègue s’il doit l’abattre.

Une enquête menée par l’armée à l’époque en réponse aux plaintes de la population locale avait conclu à un acte d’autodéfense légitime. Selon ABC, le tireur disait avoir ouvert le feu alors que la victime se trouvait à plus d’une dizaine de mètres de lui et tenait une radio à la main, une version démentie par les images.

Le général Brereton reprochait aussi dans son rapport à des membres des forces spéciales d’avoir dissimulé la nature de leurs actions en déposant des armes, des radios ou des grenades près des cadavres des victimes.

Exemple à suivre

Patricia Gossman, qui est responsable de la division Asie de Human Rights Watch, espère que la mise en accusation d’un soldat australien relativement à des crimes survenus en Afghanistan va pousser d’« autres gouvernements à agir » pour faire la lumière sur les allégations d’abus ciblant leurs propres troupes.

Une enquête portant sur les forces spéciales britanniques s’était notamment terminée en 2020, au bout de six ans, sans aucune mise en accusation.

Une nouvelle enquête a été lancée récemment après que la BBC eut rapporté qu’un commando des forces spéciales britanniques avait tué illégalement plus de 50 Afghans sur une période de six mois en 2010 et 2011.

La Cour pénale internationale (CPI) se penche parallèlement sur de possibles crimes de guerre survenus en Afghanistan depuis 2003, l’année où le pays a reconnu la compétence du tribunal.

Le procureur responsable, Karim Khan, a indiqué, en évoquant les ressources limitées de l’organisation, qu’il entendait « donner la priorité » aux actions du groupe armé État islamique et des talibans, qui sont revenus au pouvoir à l’été 2021 après en avoir été chassés dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.

Mme Gossman note de son côté que les actions de « tous les participants au conflit », y compris les troupes américaines et les troupes afghanes qui ont combattu les talibans avant leur retour à Kaboul, devraient être considérées.

Washington, qui ne reconnaît pas la compétence de la CPI, s’est toujours opposé vigoureusement à toute enquête de l’organisation visant ses troupes.

« Le processus d’enquête a été marqué par de nombreux délais », souligne Mme Gossman, qui évoque, à titre comparatif, la vitesse à laquelle la CPI a procédé pour mettre en accusation le président russe Vladimir Poutine relativement à son rôle présumé dans des crimes de guerre survenus en Ukraine.

« Il y a beaucoup de frustration parmi les Afghans de voir à quel point les choses se sont faites plus rapidement dans ce dossier », souligne la représentante de Human Rights Watch.

Outre les États-Unis et la Grande-Bretagne, de nombreux pays occidentaux, dont le Canada, ont déployé un important contingent de soldats en Afghanistan à partir de la fin de 2001 pour stabiliser le pays et aider à sa reconstruction.

Ottawa a refusé en 2016 d’ouvrir une enquête publique visant à faire toute la lumière sur le transfert par les troupes canadiennes de détenus disant avoir été subséquemment torturés par les forces de sécurité afghanes.