Une personne peut-elle être tenue responsable des dommages causés par le cadavre de l'un de ses parents?

La Cour d'appel de Paris vient de répondre, par l'affirmative, à cette ubuesque et morbide question dans une procédure inusitée.

«Je connais bien le collègue qui représentait les plaignants puisque nous pratiquons tous deux depuis une trentaine d'années. Je peux vous assurer que nous n'avions jamais rien vu de tel», souligne en entrevue l'avocat de la défense dans cette affaire, Pierre-Robert Akaoui.

 

L'histoire débute à l'été 2003. Une canicule, qui fera 20 000 morts à l'échelle du pays, frappe de plein fouet la capitale française.

Daphné, une femme de 72 ans, meurt dans son appartement dans la nuit du 8 au 9 août. Son corps en décomposition est retrouvé quatre jours plus tard par l'aide ménagère, qui vient plusieurs fois par semaine, et retiré par les services de police.

L'étudiante résidant à l'étage du dessous découvre, à son retour de vacances à la fin du mois, que des «coulures de liquides et de matières (biologiques) avaient souillé (son) appartement et qu'une odeur insoutenable y régnait». Les services sanitaires sont appelés en renfort et pulvérisent les lieux avec de l'eau de Javel.

«Elle a eu un choc psychologique profond en découvrant les souillures et leur origine. Elle n'a plus jamais voulu remettre les pieds dans l'appartement», souligne Me Akaoui.

À défaut de réintégrer son logement, la jeune femme entend bien obtenir compensation pour le préjudice subi. Avec sa mère, elle fait réaliser un an plus tard une expertise qui estime les dommages causés à l'appartement et à ses biens à plus de 15 000$ avant de lancer une procédure contre l'héritière de la vieille femme.

La requête soutient d'abord que la défunte a commis une faute en souillant l'appartement de sa voisine. Et que sa fille est aussi dans le tort puisqu'elle ne s'est pas informée assez rapidement de l'état de santé de sa mère.

Les requérantes affirment par ailleurs que le cadavre est une «chose» dont l'héritière avait la charge et qu'elle est responsable, à ce titre, des dommages causés.

Ce raisonnement - «assez audacieux intellectuellement», ironise Me Akaoui - est rejeté en première instance.

Contre toute attente, la Cour d'appel renverse cependant la décision dans un jugement rendu au début du mois de janvier, plus de cinq ans après les faits. Selon Me Akaoui, les juges ont évoqué, à l'appui de la décision, la notion de «trouble anormal de voisinage» qui est normalement utilisée pour traiter les inconvénients découlant de travaux de réfection ou de rénovation.

Sa cliente, une cadre de la fonction publique qui avait été «choquée» de se voir traîner au tribunal dans un tel contexte, a été condamnée à rembourser le coût des travaux et à verser plus de 5000$ pour trouble de jouissance des lieux et préjudice moral. Les sommes ont depuis été payées. Et aucun appel n'a été déposé.

L'affaire a été rendue publique il y a quelques jours par la chroniqueuse judiciaire du quotidien Le Monde, qui publie sur son blogue l'intégralité de la décision.

Elle «révèle les travers de notre société contemporaine: une forme de discrimination à l'égard des personnes âgées, le manque de dialogue, la lâcheté, l'égoïsme et, en l'occurrence, la bêtise pure. La justice est le reflet des hommes qui la font, c'est ça qui fait peur», a commenté un lecteur indigné.