En 2018, après quatre millésimes dans le Beaujolais, Geneviève Thisdel était à la croisée des chemins : s’installer en France de manière permanente ou revenir faire du vin sur sa terre natale. Et c’est ainsi que le Québec a gagné une vigneronne de talent, qui a lancé son étiquette, En roue libre, en 2021. La semaine dernière, nous l’avons aidée à vendanger les derniers vidals de 2022.

« J’aime beaucoup le vidal. Ça a la polyvalence du chenin blanc », affirme Geneviève Thisdel, tandis que nous sommes justement accroupies au pied des vignes de ce cépage qui peut aussi bien donner de bonnes bulles, du blanc, du « orange » que du vin doux. Formée dans le vignoble français, la Québécoise apprend maintenant à composer avec les conditions climatiques bien particulières de chez nous.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les dernières caisses de vidal ont été vendangées la semaine dernière.

Les comparaisons avec les cépages français et les manières françaises de faire sont presque impossibles à éviter. C’est culturel. Aussi Geneviève affirme-t-elle que le marquette a un peu le profil aromatique du gamay. Elle en a même fait un vin primeur, façon beaujolais nouveau, en 2021 et a bien l’intention de répéter l’expérience cet automne, avec un très jeune rouge qu’elle mettra en marché avant les Fêtes.

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Les vins de Geneviève Thisdel, grande amoureuse de cyclisme, portent l’étiquette En roue libre.

À 18 ans, celle qui allait par la suite étudier la photo puis travailler en paysagement a fait les vendanges dans le Beaujolais. Elle est retournée y cueillir du raisin pendant 10 ans de suite. Plus tard, dans la trentaine, elle a décroché un brevet en viticulture-œnologie, appris la culture de la vigne sur le terrain et même vinifié quatre millésimes sous sa propre étiquette, de 2015 à 2018.

Ses mentors, Bernard et Marie Mathieu, au Moulin du Prince, à Vauxrenard, lui avaient proposé de s’occuper d’une parcelle qu’ils étaient sur le point d’arracher, en appellation « village ». Pendant quatre ans, Geneviève a pris soin de ces 6000 pieds de vigne de gamay auxquels s’en sont ajoutés d’autres, dont un peu de chardonnay pour faire un beaujolais blanc.

Peu après son arrivée au Québec, elle a rencontré Sébastien Daoust, propriétaire du vignoble Les Bacchantes, qui lui a rapidement proposé un emploi.

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Sébastien Daoust, propriétaire du vignoble Les Bacchantes, partage ses vignes avec sa cheffe de culture, favorisant l’émergence d’une nouvelle expression de son terroir.

C’est ainsi qu’elle s’est trouvée à vinifier le millésime 2020 du domaine, en attendant l’arrivée du nouvel œnologue « officiel » Thomas Lahoz, bloqué en France par la COVID-19 et des lenteurs administratives. Elle a ainsi pu avoir accès à un peu de raisin pour faire ses propres expérimentations.

Par la suite, la travaillante qui ne semble reculer devant aucun défi a accepté le poste de chef des cultures aux Bacchantes, une position qui lui convenait puisqu’elle estime que pour faire du bon vin, il faut avant tout bien s’occuper des vignes. Celles des Bacchantes, qui constituent pas moins de 12 hectares, sont maintenant en conversion biologique. C’est du boulot !

Mais les normes biologiques ne semblent pas suffire de nos jours pour que les vignerons aient le sentiment de respecter la plante et son environnement. L’agriculture régénérative, les engrais verts pour augmenter la porosité du sol, améliorer sa composition et ainsi rendre la vigne plus combative sont les mots d’ordre.

En bio, il faut traiter souvent et le nombre de passages qu’on doit faire au tracteur, pour combattre les maladies fongiques surtout, compacte les sols et donne un bilan carbone pas très reluisant.

Geneviève Thisdel

Pour elle et pour bien d’autres, l’avenir est aussi dans les nouveaux cépages hybrides résistants au mildiou et à l’oïdium, champignons qui s’attaquent aux plantes et font des ravages dans les vignobles québécois. Ainsi, les traitements diminueraient. « Il y en a déjà quelques-uns dans le catalogue officiel des variétés de vignes françaises, comme le floréal et le voltis qui a été planté ici au domaine L’espiègle. Reste à voir quelle qualité de vin on peut obtenir avec ces nouveaux cépages. »

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Jour de vendanges aux Bacchantes

En ce moment, aux Bacchantes, Geneviève essaie toujours de bien comprendre les besoins et les comportements du marquette, du vidal, du seyval, des frontenacs (blanc, gris, noir), du pinot gris et du pinot noir, dans les conditions climatiques qui sont les nôtres.

Elle se considère extrêmement chanceuse d’avoir accès à ces raisins et de pouvoir utiliser les installations des Bacchantes pour faire ses vins. « Je n’aurais pas pu me permettre d’acheter une terre et de planter de la vigne moi-même. » C’est une formule qui gagne en popularité au Québec, que l’on pense à La Bauge, où Simon Naud partage aussi un peu de son raisin, de sa terre et de son chai avec des apprentis vignerons, aux domaines qui ont accueilli Lieux communs avant que le quatuor ait ses propres vignes et son chai, puis à plusieurs autres, qui mentorent des viticulteurs en herbe.

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Geneviève Thisdel et sa jeune chienne Olive se plaisent bien aux Bacchantes.

Dans ce grand élan collectif de compréhension du vignoble québécois, de ses richesses, de ses défis particuliers, une belle solidarité se dessine, constate Geneviève. Entre le partage de savoir, le prêt d’équipement, les échanges constructifs sur les vins, la nouvelle génération de vignerons se serre les coudes. Il y a notamment eu un mouvement d’entraide au printemps dernier, lorsqu’un artisan vinicole victime d’un grave accident a dû faire un séjour de plusieurs mois à l’hôpital. Une dizaine de ses collègues ont fait la route jusqu’au Bas-du-Fleuve pour aider aux travaux printaniers.

Puis dans cet esprit de vouloir le bien de son prochain, Geneviève travaille avec le moins de soufre possible dans ses vins. « Si j’en mets, c’est juste pour préserver le meilleur de ce que l’on fait. » Le primeur et le pétillant naturel n’ont pas été sulfités du tout, en 2021. Et pour y avoir goûté, un an plus tard, on peut confirmer qu’ils sont toujours aussi vifs et éclatants, sinon plus.