(Rougemont) S’il y en a un qui connaît les pommes, c’est bien le producteur de cidre Michel Jodoin. Il est aussi le parrain des microdistillateurs du Québec puisqu’il est le premier à s'être procuré un alambic. Portrait d’un pionnier des produits alcoolisés québécois qui ont tant la cote aujourd’hui.

« De père en fils, depuis 1901 », indique la marquise de la cidrerie.

Cela fait 120 ans que Jean-Baptiste Jodoin a réalisé son rêve d’acquérir son propre verger. « Comme beaucoup de Canadiens français, mon arrière-grand-père est allé travailler à Boston. Il a demandé à son meilleur ami de l’appeler quand un verger serait à vendre à Rougemont, raconte Michel Jodoin. Il s’est arrangé avec l’encanteur pour que les enchères, qui se faisaient sur le parvis de l’église, se déroulent en anglais.

« Finalement, il a acheté son verger pour 1500 piasses. Les gens pensaient que c’était beaucoup trop cher. Sa première récolte, il a eu six barils de pommes, ce qui ne valait pas grand-chose. »

D’année en année, Jean-Baptiste Jodoin a défriché et agrandi le verger. « Il l’a vendu à Ernest, mon grand-père. Ses 14 enfants et lui, ils en ont planté, des pommes ! », s’exclame Michel Jodoin, qui a racheté la terre à son père Jean.

Ce dernier ne voulait pas s’en tenir à la cueillette. Il voulait faire du cidre malgré sa réputation plus ou moins enviable. Il faut dire que c’était une tradition familiale.

Mon père, mon grand-père, tout le monde ici dans le rang faisaient du cidre dans sa cave.

Michel Jodoin

« On allait le chercher directement dans le baril dans les caveaux, se souvient Michel Jodoin. Mon père allait souvent dans sa cave et ma mère a raconté l’avoir vu quelques fois remonter à quatre pattes. Il le trouvait bon, son cidre. »

Ce cidre « maison », fortement alcoolisé, se vendait 3 $ le galon. Or, avant 1970, sa production artisanale a été déclarée illégale. « Des polices débarquaient et donnaient des coups de hache dans les barils », se souvient Michel Jodoin.

Une renaissance du cidre a suivi sa légalisation. Or, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous.

Des cidres pétillants

C’est en voulant redorer le blason du cidre que Michel Jodoin se met à en produire en 1988. Comme dans tout ce qu’il entreprend, il n’a pas fait les choses à moitié. Pour produire les cidres pétillants qui ont fait sa marque, il a étudié la méthode traditionnelle champenoise à Épernay, au cœur de la Champagne, en France.

« Mon père me disait : "Ne mets pas d’argent là-dedans. Il n’y a pas un chat qui passe devant de la cidrerie." Je m’étais fixé comme objectif de vendre 100 bouteilles de cidre par mois… Mais après six mois, je n’avais même pas vendu 100 bouteilles. »

C’est à ce moment que Michel Jodoin a décidé de tenter le tout pour le tout.

Un bon matin, Robert Demoy, de la cidrerie du Minot, et lui ont mis le cap sur Montréal pour s’inviter au Journal de Montréal. « Sans rendez-vous. Nous avons déposé nos caisses de cidre sur le comptoir. La réceptionniste nous a demandé ce qu’on voulait. On a dit qu’on voulait voir un journaliste », relate-t-il.

Les deux cidriculteurs ont obtenu un entretien avec la journaliste gastronomique Monique Girard-Solomita. « Nous avons eu la page 7 complète du Journal de Montréal. Cela a fait boule de neige. »

Michel Jodoin a ensuite organisé une conférence de presse à Rougemont pour faire passer le message que le cidre est de meilleure qualité. C’est là qu’il s’est mis à vendre des centaines et des centaines de bouteilles, avec sa mère, fière et fidèle au poste au comptoir de la cidrerie. « Puis cela n’a jamais arrêté. »

Du verger à l’alambic

En 1999, Michel Jodoin s’est procuré un alambic, ce qui allait lui permettre de distiller et de transformer en spiritueux les surplus de sa production.

Par le fait même, il est devenu le premier microdistillateur au Canada. « Au départ, c’était audacieux, mon projet. Personne n’y croyait. Mais j’avais tellement de pommes… Je me disais que je pouvais faire un brandy sans toutefois l’appeler calvados, car c’est une appellation d’origine contrôlée. »

Michel Jodoin a dû apprendre à apprivoiser la bête « mystique ». « Quand j’ai allumé mon alambic, j’étais un peu craintif. J’appréhendais la réaction de ce jouet-là. Je relisais mes notes, se remémore-t-il. Il y a des formations qui se donnent aujourd’hui pour opérer un alambic. Moi, j’ai tout appris sur le tas ! »

En février dernier, un incendie s’est déclaré dans son alambic – à la suite d’une « erreur humaine », précise-t-il. Heureusement, les pompiers sont arrivés rapidement sur les lieux et il y a eu peu de dommages. Même l’espace boutique fraîchement rénové a été épargné. L’alambic est désormais hors d’usage, mais il a été transformé en œuvre d’art parmi les pommiers.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Hors d’usage mais en bon état, l’alambic incendié de Michel Jodoin a été transformé en œuvre d’art.

En attendant de recevoir son nouvel alambic – toujours de la marque allemande Jacob Carl –, Michel Jodoin distille en sous-traitance.

Au lieu de broyer du noir à la suite de l’incendie, l’homme d’affaires a décidé de regarder en avant. Pendant la pandémie, il a agrandi l’espace boutique en portant une attention spéciale à l’éclairage. Quand on déguste un cidre ou un spiritueux, la lumière passe à travers le verre.

  • L’éclairage est spectaculaire à la boutique de la Cidrerie Michel Jodoin.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    L’éclairage est spectaculaire à la boutique de la Cidrerie Michel Jodoin.

  • Il est possible de faire une dégustation de cinq produits dans le chai.

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    Il est possible de faire une dégustation de cinq produits dans le chai.

  • Lors de notre visite, on pressait des pommes à la cidrerie alors qu’un grand camion de la SAQ venait faire le plein.

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    Lors de notre visite, on pressait des pommes à la cidrerie alors qu’un grand camion de la SAQ venait faire le plein.

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Les gens affluent à la boutique depuis le début de la pandémie. Michel Jodoin pense même qu’il accueille plus que les 50 000 visiteurs annuels qu’il comptait avant la pandémie. Il faut dire qu’il y a des produits exclusifs et des petits lots vendus strictement sur place, dont l’excellent Cidre rosé mousseux fort ou le cidre bouché brut Le temps des pippins (tous deux sans sucre résiduel). Récemment, Michel Jodoin a également acheté le verger voisin de son frère Christian. On peut dont faire de l’autocueillette de pommes tout en venant faire une dégustation ou après une marche dans le sentier de randonnée. Un bar a par ailleurs été aménagé à l’extérieur dans un silo entre deux pommiers, près de l’alambic.

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La vue est magnifique de la Cidrerie Michel Jodoin.

La « caverne d’Ali Baba »

À la boutique, on vend aussi des bouteilles de brandy de pommes de 16 ans. Rares sont les distillateurs qui font vieillir leurs eaux-de-vie. « Cela coûte cher et il faut terriblement de patience. Or, c’est mon dada et je suis patient », dit Michel Jodoin.

Sa cave de garde est impressionnante. Son décor rappelle les chais des plus grands vignobles français. « Il y a un stock de 170 barils caché ici. Je dis souvent que c’est ma caverne d’Ali Baba. »

Le vieillissement, c’est une science, souligne Michel Jodoin. Le microdistillateur utilise – et réutilise – des barils de différentes sortes de chêne. « Chacun a son authenticité et son identité. On fait des dégustations régulièrement et on sait où le goût s’en va », lance-t-il en montrant un baril de cognac.

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Le secret du brandy de pommes de Michel Jodoin ? Il a de la texture, mais il est « smooth », résume-t-il.

Aussi intense dans le sport

Vous aurez compris que Michel Jodoin a de la volonté, ce qui se reflète aussi dans le sport. « Le jour où j’ai décidé de faire un marathon, je l’ai fait », lance-t-il.

Une simple course de 42 km, ce n’était pas assez pour lui. Il a couru des marathons au Groenland et en Antarctique. Il a pris part au Marathon des sables, une course de 250 km qui dure six jours dans le désert marocain. Il a gravi les sommets de l’Aconcagua (Argentine), de l’Elbrouz (Russie) et du Kilimandjaro (Tanzanie).

« Là, je me suis remis au vélo de montagne », ajoute-t-il, une passion qui lui a laissé une cicatrice sur le visage.

La relève assurée

« Nous sommes jeunes toute notre vie », nous dira Michel Jodoin, qui a 64 ans.

Or, l’arrière-petit-fils de Jean-Baptiste Jodoin se réjouit que la relève familiale de son entreprise soit assurée par son fils, son neveu et son gendre.

Michel Jodoin a perdu son père, celui qui rouspétait à chaque changement et agrandissement. Or, il aurait fini par donner raison à son fils Michel.

« Aujourd’hui, il serait fier ! »