Une pâtissière émérite de chez nous déclarait récemment, sous le couvert de l’anonymat, que Carlota était une des choses les plus excitantes qui soit arrivée à Montréal dans la dernière année. Voilà la raison qu’il vous fallait pour essayer la rosca de reyes à la place (ou en plus !) de la classique galette des Rois cette année.

S’agissant de rois, le nom de la boulangerie mexicaine vient de la fascination de sa propriétaire, Mariana Martin, pour Charlotte, la princesse belge qui fut brièvement impératrice du Mexique, dans les années 1860. On peut lire que « Carlota » s’intéressait à la culture locale et connaissait les différences régionales en matière de nourriture. Elle faisait toujours servir quelques plats nationaux dans les dîners officiels.

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Carlota est située dans le Mile End.

Lorsqu’on se met à discuter avec Mariana, on comprend vite qu’elle aussi s’intéresse avec grande passion aux origines des spécialités du pays dans lequel elle est née. Après des études en cuisine et en boulangerie à l’International Culinary Center à New York, puis un cours de pâtisserie de restaurant à Mexico, elle a obtenu un diplôme d’anthropologie alimentaire. Depuis, elle ne peut s’empêcher de faire des recherches sur tout ce qu’elle mange.

Chez Carlota, on découvre les classiques de la boulangerie mexicaine, bien méconnue à l’extérieur de ce grand pays plus réputé pour ses spécialités à base de maïs.

Commençons par l’incontournable concha. Ce « pain sucré » (pan dulce) a le même statut au Mexique que le croissant peut avoir en France. Il est glacé soit à la cannelle, à la vanille, au chocolat ou aux arachides.

Dans le comptoir réfrigéré, il y a une variété de gâteaux tres leches (les meilleurs que vous n’aurez jamais mangés !) en portions individuelles. Il y en a à la cannelle, au dulce de leche, au chai et au fruit de la passion. Puis il y a quelques créations plus récentes, comme ce roulé à la goyave et au fromage, hommage au rol de guayaba de la Panaderia Rosetta, à Mexico.

Autour du jour des Morts, l’automne dernier, on pouvait acheter un moelleux pan de muerte rempli de crème à la tequila et vanille. Bref, ce ne sont pas les délices qui manquent dans la colorée boutique de la rue Saint-Urbain. Et c’est sans compter les autres produits qui garnissent la boutique.

Un impressionnant CV

Outre ses études cumulées, qui comprennent aussi un diplôme de l’Institut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes, en France, la jeune femme a travaillé dans de très réputés établissements. Pendant ses années aux États-Unis, elle a côtoyé l’équipe de Dan Barber, dans les deux restaurants du chef vedette, Blue Hill à Manhattan et Blue Hill at Stone Barns, au nord de New York.

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Mariana Martin adore discuter de l’origine des spécialités culinaires de chaque culture.

À son retour à Mexico, elle a appris de la grande Elena Reygadas, au Rosetta. Elle aurait voulu travailler à la boulangerie Rosetta, mais s’est plutôt retrouvée à la grande table, habituée du palmarès The World’s 50 Best Restaurants. Mme Reygadas a d’ailleurs été nommée Meilleure femme chef du monde en 2023 par le même palmarès. Rien de moins !

« J’avais envie de travailler avec une femme et je n’ai pas été déçue. Elena Reygadas est une personne incroyable et une chef super humble », nous raconte Mariana, dans son français impeccable, tandis que nous feuilletons le superbe livre de recettes du Rosetta.

Des débuts difficiles

C’est pour aider une connaissance québécoise à ouvrir une boulangerie que la pro des fermentations et son mari se sont retrouvés à Montréal. L’expérience s’est mal terminée, mais Mariana a eu la chance de se faire prendre sous l’aile d’une cliente, qui a accepté de la parrainer et de lui donner un boulot dans son café à Notre-Dame-de-Grâce.

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Les délicieuses créations de la pâtissière sont à découvrir.

Déjà, la boulangère-pâtissière mexicaine avait son fan-club : un grand nombre d’expatriés d’Amérique latine nostalgiques et des curieux de toutes origines confondues, charmés par l’exotisme et la grande qualité des produits. Même au Mexique, on trouve difficilement de la boulangerie et de la pâtisserie artisanales de cette trempe.

Lorsqu’elle a enfin obtenu sa résidence permanente, Mariana a pu voler de ses propres ailes, avec la bénédiction de sa bienfaitrice. Un jour, en attendant au feu rouge à l’angle des rues Saint-Urbain et Villeneuve, elle a aperçu une pancarte « à louer ». « C’était un signe », croit celle qui avait envie de regagner le quartier Mile End. Il a fallu plus d’un an pour bien aménager le local vide.

Son père, qui était longtemps demeuré sceptique sur le choix de carrière de sa fille, a accepté d’investir. Malheureusement, il est décédé avant de voir le résultat, en mai 2022.

Il faut savoir que Mariana est le mouton noir de sa famille. Elle s’est extraite d’une lignée de travailleurs du droit.

Tous les membres de ma famille, mes parents, mes oncles et tantes, mes frères et ma sœur sont avocats. J’allais tout naturellement marcher dans leurs pas. Puis, un jour, mon mari m’a demandé ce que je voulais faire dans la vie. Il m’a poussé à me poser des questions. La réponse fut : « Je veux aller à l’école de gastronomie. » Il m’a donc encouragée dans cette voie. Mais ça a causé beaucoup d’inquiétude dans ma famille.

Mariana Martin, propriétaire de la boutique Carlota

Dans un contexte pareil, l’échec n’est pas une option. Heureusement, à voir les files qui s’allongent devant la boulangerie dans les périodes festives comme Noël, Pâques et le jour des Morts, on peut dire que le succès est déjà atteint, sept mois après l’ouverture de la boutique.

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Les pastilles de chocolat relevé de cannelle pour faire des boissons chaudes ou froides de l’entreprise Origine Mexique

Peut-être parce qu’elle s’est fait mettre quelques bâtons dans les roues, Mariana aime soutenir les gens qui font bien les choses. Elle tient par exemple les produits de l’entreprise d’importation d’aliments fins Origine Mexique, dont un délicieux sirop d’agave infusé à la cardamome (il sucre merveilleusement bien le yogourt et le gruau), les pastilles de chocolat relevé de cannelle pour faire des boissons chaudes ou froides, la fleur de sel de Colima, etc. On trouve également dans sa boutique les élégants chocolats et les décadents alfajores (dulce de leche entre deux biscuits tendres) de la talentueuse Julissa Hernandez.

Et nous, gourmands, ne pourrions être plus heureux de ce déferlement de douceurs mexicaines dans la métropole.

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La couronne des Rois garnie de ses « joyaux »

La rosca de reyes

La couronne des Rois mexicaine n’a rien à voir avec la galette française classique à base de pâte feuilletée et de frangipane. Mais elle s’apparente à la couronne provençale, avec ses fruits confits. C’est une pâte briochée aromatisée à l’orange.

Sa forme évoque la couronne des Rois mages, et les fruits confits dont on la décore sont de précieux joyaux. Mariana ajoute une couche de complexité en créant sur ses brioches une alternance de bandes nature, glacée à la cannelle et glacée aux amandes.

Dans la tradition mexicaine, on cache de une à trois (et parfois plus !) figurines de bébé Jésus dans la brioche. Ceux et celles qui en trouvent une dans leur part ne gagnent pas une couronne en carton ! Ils doivent plutôt cuisiner des tamales pour toute la famille le 2 février, jour de la Chandeleur.

La rosca de reyes sera vendue chez Carlota jusqu’à la fin du mois de janvier. Il y a trois formats : pour 2-3 personnes (20 $), 8 personnes (50 $) et 16 personnes (75 $).

Consultez le compte Instagram de Carlota