Le recours à l’huile de palme pour augmenter le taux de gras du lait par des producteurs laitiers a fait couler beaucoup d’encre plus tôt cette année. Au-delà des effets contestés de la pratique sur la fermeté du beurre, le « buttergate » a soulevé des questions sur les produits offerts en épicerie. Or, au rayon du beurre, les Québécois ont plus de choix que jamais. Tour d’horizon pour trouver un beurre à son goût.

Du beurre, c’est du beurre, non ? « Pour beaucoup de Québécois, c’est vrai, reconnaît Guillaume Sparks-Beaulé, chef et professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). En général, les gens achètent leur beurre au rabais, moi le premier, mais pour me gâter, j’achète aussi du beurre de culture, délicieux pour finir des légumes… »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Guillaume Sparks-Beaulé, chef et professeur à l’ITHQ

Les amateurs de beurres de spécialité, avec fermentation de la crème pour un goût plus acidulé (dits « de culture », comme la plupart des produits européens) ou plus riches en matières grasses pour des pâtes feuilletées sans pareilles, ont de moins en moins de mal à trouver leur bonheur en épicerie. Même la marque Lactancia, propriété de Lactalis, propose aujourd’hui du beurre de culture, au prix du beurre ordinaire.

Il est beaucoup plus difficile, en revanche, de savoir ce qui entre dans l’alimentation des vaches qui ont fourni la crème pour faire tous ces beurres. En effet, même si les producteurs et les transformateurs de lait ont demandé que cesse dès que possible l’utilisation de suppléments d’acide palmitique (une pratique légale et sans danger pour la santé, selon Santé Canada), environ 22 % des producteurs laitiers du Québec y ont actuellement recours.

Pour avoir une meilleure idée de l’alimentation des vaches, le consommateur doit se tourner vers des entreprises qui transforment leur propre lait ou, à tout le moins, contrôlent étroitement leur approvisionnement.

La Laiterie Chagnon, dont les produits sont distribués dans les IGA, fait partie de ce lot assez restreint.

« De l’huile de palme, c’est sûr qu’il n’y en a pas à la Laiterie Chagnon, assure Suzie Dubé, porte-parole de l’entreprise située à Waterloo, en Montérégie. La diète des vaches est très importante pour la famille Kaiser, propriétaire. Elle cultive d’ailleurs elle-même l’essentiel des aliments, sans OGM, qui nourrissent les troupeaux. »

PHOTO FOURNIE PAR LAITERIE CHAGNON

La Laiterie Chagnon, propriété de la famille Kaiser, propose un beurre de culture à 84 % de matières grasses.

Et du beurre, la Laiterie Chagnon n’en a jamais fait autant qu’aujourd’hui, dont un beurre à 84 % de matières grasses (contrairement à 80 % pour les produits standards), salé ou non, destiné à la préparation de recettes, surtout en pâtisserie. Les Kaiser proposent aussi maintenant des beurres de culture.

La Fromagerie L’Ancêtre de Bécancour, dans le Centre-du-Québec, transforme près de 10 % de tout le lait bio (produit sans utilisation d’huile de palme) trait au Québec. Elle commercialise aussi des beurres à 80 % et 84 % de matières grasses (mais pas de beurre de culture). On les trouve dans de nombreuses épiceries et dans la plupart des magasins d’aliments naturels.

PHOTO JEAN-SÉBASTIEN COSSETTE, FOURNIE PAR LA FROMAGERIE L'ANCÊTRE

Pascal Désilets, PDG de la fromagerie L'Ancêtre

« La demande pour le beurre haut de gamme est en croissance », observe Pascal Désilets, PDG de L’Ancêtre, qui envoie 70 % de sa production dans les autres provinces canadiennes. « Il y a de plus en plus de pâtissiers amateurs et c’est pour eux que nous avons lancé l’an dernier notre beurre à 84 %, qui a un point de fusion plus élevé. »

Si l’appétit pour les beurres de qualité grandit, le Québec compte toutefois bien peu de beurreries artisanales, qui pourraient proposer davantage de variété aux consommateurs. Le prix élevé de la crème, qui entre aussi dans la fabrication de fromages vendus plus cher que le beurre, expliquerait en partie cette situation.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La laiterie La Pinte est située à Ayer's Cliff, en Estrie.

La laiterie artisanale La Pinte est l’une des rares à proposer un beurre de culture, depuis trois ans, mais à l’occasion seulement. « Nous vendons surtout du lait entier, dont du bio, nous n’avons donc pas beaucoup de crème excédentaire pour le beurre », explique Pascal Valade, copropriétaire de la laiterie d’Ayer’s Cliff, en Estrie, où la petite production est entièrement écoulée.

Des beurres qui méritent mieux

Les ventes sont en hausse, mais les beurres de spécialité québécois gagneraient à être davantage connus, même des cuisiniers, croit Guillaume Sparks-Beaulé. À l’ITHQ, il y a des ateliers pour explorer les différents fromages québécois, mais pas les beurres, constate-t-il.

La pandémie a changé notre regard sur les produits locaux. Ce serait peut-être un bon moment pour commencer à apprécier les beurres de qualité d’ici.

Guillaume Sparks-Beaulé, professeur à l’ITHQ

Des artisans souhaitent aussi une meilleure valorisation des beurres d’ici. Pour ses croissants, Automne Boulangerie, à Montréal, utilise encore du beurre français. « Ça m’attriste vraiment, explique Julien Roy, copropriétaire. Mais pour gagner du temps, on a besoin de beurre façonné en plaquettes, et personne n’en fait ici. » La Laiterie Chagnon y travaille toutefois, fait savoir Suzie Dubé, au grand plaisir du boulanger.

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Julien Roy, copropriétaire d'Automne Boulangerie

Là où il est utilisé, le beurre local semble faire des heureux. Patrice Demers, de Patrice Pâtissier, utilise maintenant exclusivement du beurre québécois, à 84 %, qui lui convient tout à fait. « Mais je ne fais pas de croissants », précise-t-il. Chez Hof Kelsten, Jeffrey Finkelstein s’en sort très bien avec du beurre canadien standard (à 80 %), qu’il travaille avec une presse hydraulique pour ses croissants. « On joue aussi beaucoup avec la température, ajoute celui qui se dit intéressé par le beurre de culture. Bien sûr, j’aimerais utiliser un beurre bio à la boulangerie, mais c’est trop cher. »

Les beurres de spécialité, surtout biologiques, restent en effet généralement plus coûteux que les beurres ordinaires. Mais l’écart de prix tend à diminuer et reste assez modeste pour une consommation personnelle. « Je suis prêt à payer 1 ou 2 $ de plus pour un bon beurre que je vais mettre en valeur, sans trop le transformer, mais peut-être pas pour cuire un steak, explique Guillaume Sparks-Beaulé. C’est un peu comme pour une huile d’olive de finition, qui coûte pas mal plus cher que celle que j’achète en bidon pour la cuisine. »

Comme quoi, du beurre, ça n’est pas toujours juste du beurre.