En voulant interdire tous les types de poêles à bois, même les moins polluants, la Ville de Montréal se «tire dans le pied», affirme un spécialiste de Polytechnique Montréal, dans un rapport produit pour le compte de l'Association des professionnels du chauffage.

«On a grossi ce problème et c'est complètement absurde», dit en entrevue à La Presse Jamal Chaouki, professeur titulaire en génie chimique et spécialiste des questions de combustion.

En juin dernier, le comité exécutif a adopté un projet de règlement qui interdirait tout type de chauffage au bois d'ici 2020. Le conseil municipal doit à son tour se prononcer sur ce projet après les élections.

L'interdiction est appuyée par la direction de la santé publique (DSP) de Montréal.

Le chauffage au bois est reconnu comme l'une des principales sources du smog hivernal à Montréal, en grande partie parce que les anciens poêles à «combustion lente» et les foyers ouverts relâchent de grandes quantités de particules fines.

Il est également reconnu que ces particules fines causent d'importants problèmes de santé. La DSP s'appuie sur une étude de Santé Canada pour attribuer 909 décès prématurés à l'exposition aux particules fines dans l'île de Montréal en 2002. Ce sont les deux tiers de tous les décès attribuables à la pollution atmosphérique.

Le dossier s'est encore alourdi cette semaine avec l'ajout des particules fines à la liste des agents cancérigènes par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Deux causes écartées

Cependant, affirme M. Chaouki, le chauffage au bois est loin d'être la première source de particules fines dans l'air ambiant.

Et, ajoute-t-il, la Ville écarte sciemment les deux plus importantes causes de son calcul: les incendies de forêt et la poussière soulevée sur les routes.

Il dit que c'est seulement en écartant ces deux causes que la Ville peut prétendre que le chauffage au bois représente 61% des sources de particules fines. Quand on en tient compte, la part du chauffage au bois chute à 8% du total.

«Si on dit que 65% des décès sont attribuables aux particules fines, il faut regarder d'où viennent les particules, dit-il. Je ne dis pas qu'il ne faut pas agir. Si on peut diminuer la pollution de 1%, tant mieux. Mais il faut regarder toutes les sources.»

Il ne nie pas non plus que les foyers et les poêles inefficaces causent trop de pollution. Mais il affirme que les nouveaux poêles qui répondent à la norme EPA doivent être permis, et même encouragés. «On a beaucoup de bois et c'est une ressource renouvelable et locale», dit-il.

Il conteste aussi la décision de la Ville d'interdire les poêles au bois performants tout en permettant ceux aux granules. «Les granules, il faut les faire sécher et les produire de manière industrielle, dit-il. Alors que le bois sèche au soleil sans consommer d'énergie.»

Il accuse la Ville d'être de «mauvaise foi» quand elle compare la pollution d'un poêle à bois avec celle des voitures à essence. Ces dernières, souligne-t-il, ne sont pas une source de particules fines.

Dans sa présentation à l'appui de l'interdiction, la Ville compare un poêle EPA utilisé pendant 2,5 jours à une voiture à essence qui roulerait 18 000 kilomètres.

M. Chakoui propose une comparaison avec les voitures à moteur diesel. Même dans leurs dernières versions dites "propres", les moteurs diesel continuent d'être passablement polluants. Et pour chaque heure d'utilisation, le poêle EPA émet deux fois moins de particules fines qu'une voiture diesel, selon les calculs de M. Chaouki.

De son côté, la DSP maintient son appui au projet de règlement, même si les études sur lesquelles elle s'appuie considèrent les effets de la pollution «dans leur ensemble, sans attribuer ces effets à une source ou une autre».

De son côté, la Ville de Montréal a fait savoir qu'elle «ne désire pas faire de commentaires sur aucune étude» avant la consultation publique qui est prévue sur la question.

Pas cancérigène non plus?

Cette semaine, l'Organisation mondiale de la santé a ajouté la pollution de l'air à la liste des causes de cancer. Cependant, estime M. Chaouki, la fumée d'un poêle à bois efficace et bien conçu ne devrait pas contenir de substances cancérigènes. «Les particules de pollution qui contiennent du mercure, du plomb ou de l'arsenic, oui, pourraient être cancérigènes. La fumée d'un poêle à bois bien conçu ne devrait pas contenir ces contaminants. Le bois n'en contient pas, ou très peu, contrairement au charbon. Et dans une chambre de combustion efficace, il n'y a pas de cendres en suspension sur lesquelles ces métaux pourraient se déposer.»