La barge du garde de la réserve du Banc d'Arguin, en France, s'approche de la bande de sable, mais pas trop. Dix mètres de plus et les milliers d'oiseaux qui viennent s'y poser à marée haute, loin des hors-bord et des touristes, vont s'envoler «en état de stress». Pas question de les déranger.

Ici, les oiseaux sont les rois du monde. Ils sont plus de 30 000 à hiverner, nidifier ou faire escale sur ce pan mouvant de terre, à l'entrée du bassin d'Arcachon, dont la superficie n'excède pas 100 hectares à marée haute (contre 800 à marée basse).

Pour la petite équipe chargée de la surveillance du site, la priorité est de maintenir le «modus vivendi» instauré au fil du temps entre les volatiles et les nombreux visiteurs --touristes ou navigateurs (250 000 en 2010)-- qui abordent le Banc.

La réserve a été créée en 1972 et, dans sa partie nord classée en Zone de protection intégrale (ZIP), toute présence humaine est bannie.

Lorsque la marée monte, courlis, pluviers, goélands, sternes ou cormorans se retrouvent invariablement dans ce secteur hyper-protégé et non dans celui où, hors de la ZIP, les touristes, soumis à de fortes restrictions, sont autorisés à passer la journée.

La cohabitation hommes-oiseaux nécessite une surveillance constante.

Avant la création de la réserve, en 1972, les gens se livraient à des batailles d'oeufs de sternes ou lançaient leurs chiens --le prédateur le plus craint des oiseaux-- à l'assaut des «champs» de nids, raconte Dimitri Delorme, 30 ans, biologiste, responsable du dispositif de protection.

C'est précisément pour assurer la sécurité des sternes caujeks, une espèce de migrateurs rare en France, notamment en période de nidification (mai-juillet), que la ZIP a été mise en place par les pouvoirs publics.

Mais la réserve profite à tous les migrateurs de passage. Le Banc d'Arguin a accueilli depuis sa création quelque 200 espèces d'oiseaux, dont une majorité provient du littoral africain ou du cercle polaire, cet infime morceau de territoire gascon étant situé sur l'un des grands couloirs migratoires de la planète.

L'avenir de l'imposante colonie reste néanmoins fragile, d'où la permanence de la surveillance. «On ne veut pas tout mettre sous cloche, mais nous devons avoir un oeil sur l'île tout au long de l'année. Même en période de gros temps, nous continuons de l'observer à la jumelle à partir du littoral», souligne le responsable.

Avec la saison estivale, les touristes ne cessent d'affluer sur le Banc d'Arguin qui, en dehors d'un minicentre d'information, ne comprend pourtant aucune structure d'accueil.

Une «grosse journée», c'est au moins 5000 personnes qui s'agglutinent sur le sable et 1200 bateaux qui mouillent aux abords de l'île. «Ces jours-là, dit Dimitri qui dispose de pouvoirs de police, notre tâche est de prévenir les infractions, mais aussi de verbaliser». Il s'agit d'empêcher les chiens de pénétrer sur cette terre, les intrusions dans la ZIP, les bateaux de naviguer trop près du rivage ou les kites-surfs de s'en approcher.

Les kites constituent d'ailleurs le dernier péril, particulièrement redouté des oiseaux qui, selon les ornithologues, assimilent les gros cerfs-volants aux ailes d'un rapace.

À plus long terme, la menace, pour les oiseaux, viendra paradoxalement de l'environnement, les réserves proches d'anchois et de sardines, dont ils sont friands, étant en voie de diminution.

L'île est elle-même «mangée» par les vents, les marées et les courants marins, ce qui modifie et réduit constamment son pourtour. «Inexorablement, rappelle Dimitri Delorme, le banc de sable se rapproche du continent et finira par s'y fondre».