«Si l'on veut encore voir des manchots empereurs dans 50 ou 100 ans, il faut réagir maintenant», avertit Christophe Barbraud, conseiller scientifique sur le film L'Empereur, qui constate au fil de ses expéditions l'impact des activités humaines sur ce volatile devenu icône de l'Antarctique.

Héros de l'extrême, le grand oiseau du Continent blanc a su jusqu'ici s'adapter à la région la plus inhospitalière du Globe, seul même à pouvoir s'y reproduire en hiver.

Mais comme l'ours au pôle Nord, l'animal totem du pôle Sud pourrait avoir du mal à résister à un réchauffement planétaire au rythme inédit, lié à des actions menées pourtant loin de chez lui.

Source de préoccupation majeure, le sort de la banquise, qui fonctionne comme un immense garde-manger en attirant en dessous krill (bancs de minuscules crevettes, NDLR) et autres mets prisés des oiseaux, explique le chercheur au Centre d'études biologiques de Chizé (CNRS-Université de La Rochelle).

«Le Giec prédit à partir de 2030 une diminution de l'étendue de la glace de mer dérivante. Ça, ça aura un impact, sur le manchot empereur comme sur le manchot Adélie», ajoute ce spécialiste des oiseaux marins polaires.

L'empereur en a d'ailleurs eu un avant-goût à la fin des années 70, quand sa population a été réduite de moitié en Terre Adélie, pour cause de disparition de portions de banquise après une période de chaleur prolongée.

Depuis cinq ans, un autre phénomène frappe aussi la région, conduisant à «une énorme mortalité des poussins»: l'expansion, sous l'effet de vents jamais vus, de portions de glace compacte, contraignant les adultes à des trajets toujours plus longs - parfois 100 km - entre la colonie et la mer nourricière.

«Les parents passent du temps à chercher de la nourriture, et nourrissent peu les petits, qui meurent sous-alimentés», a constaté M. Barbraud, familier de ce terrain depuis son 1er hivernage en 1992 à la station Dumont d'Urville en compagnie d'un certain Luc Jacquet, futur auteur de «La marche de l'empereur» puis de «L'empereur».

Des poussins morts d'hypothermie

«Cette année encore, c'est une reproduction assez catastrophique», décrit l'écologue. «Ce changement de régime de vent se voit sur plusieurs décennies: c'est une tendance, en partie liée au changement climatique, et probablement aussi au trou dans la couche d'ozone».

Or les empereurs ne sont pas si nombreux: 600 000 à 800 000 individus, répartis dans 47 colonies recensées par GPS - dont une poignée suivit depuis une cinquantaine d'années.

Selon des projections basées sur la répartition des colonies et la glace de mer, une diminution de la population d'ici 2100 est probable, deux tiers des colonies auront diminué de plus de 50 %, et 20 % d'entre elles seront au bord de l'extinction, indique M. Barbraud, dans un «plaidoyer pour la biodiversité antarctique» co-signé avec Luc Jacquet.

Pour couronner le tout, le manchot doit aussi faire avec une nouveauté: la pluie.

Le scientifique l'a expérimenté lui-même, il y a trois ans, au terme de neuf jours au-dessus de 0°. «Une catastrophe» pour les poussins, qui meurent d'hypothermie, car leur duvet, qui deviendra plus tard plumage étanche, gèle sous l'averse.

Apparus il y a une vingtaine de millions d'années, «le manchot empereur comme le manchot Adélie ont traversé plusieurs cycles glaciaires et interglaciaires: on pourrait dire «il n'y a pas lieu de s'inquiéter». Mais nous sommes inquiets, car le réchauffement actuel est unique par sa rapidité».

«Ces espèces se reproduisent peu fréquemment (un poussin par an), leur capacité d'adaptation par évolution est faible. Quant à changer de site de reproduction, ce sera difficile: un empereur, vu sa taille (1 m), ne va pas pouvoir grimper dans les rochers!», ajoute le chercheur, qui adresse son plaidoyer «à tous», décideurs comme citoyens.

«Cette situation est une conséquence de nos activités. Si l'on veut encore voir le manchot, continuer à profiter de cet émerveillement, c'est maintenant qu'il faut faire attention à ce qu'on fait», souligne-t-il.