Le gaspillage de nourriture a récemment fait la manchette avec le mouvement gratuivore, qui fait l'épicerie dans les poubelles des supermarchés. Mais le problème réside surtout à la maison, selon des chercheurs américains.

Oubliés dans le frigo

Le gaspillage de nourriture est deux fois plus important à la maison qu'à la ferme ou au magasin, selon plusieurs études du département de l'Agriculture des États-Unis (USDA). Tel est le message que martèlera ce matin Jean Buzby, économiste à l'USDA, au colloque sur le gaspillage de nourriture de l'USDA. Mme Buzby ne pouvait pas assister hier à la conférence de presse des participants à ce colloque, mais sa présentation montre que du point de vue financier, si l'on considère le gaspillage des aliments les plus importants, le comportement des consommateurs coûte beaucoup plus cher que celui des détaillants et des fermiers. Pour la viande et le poisson, par exemple, qui représentent 30 % de la valeur du gaspillage de nourriture aux États-Unis et une proportion encore plus élevée de l'énergie perdue à cause de ce gaspillage, les pertes sont quatre fois plus importantes à la maison qu'à la ferme et au magasin.

Les pertes d'Aliments produits aux États-Unis en chiffres

Fruits

9 % sont gaspillés à la ferme ou au magasin

19 % sont gaspillés par les consommateurs

Légumes

8 % sont gaspillés à la ferme ou au magasin

22 % sont gaspillés par les consommateurs

Viande

5 % est gaspillée à la ferme ou au magasin

22 % est gaspillée par les consommateurs

Produits laitiers

11 % sont gaspillés à la ferme ou au magasin

22 % sont gaspillés par les consommateurs

OEufs

7 % sont gaspillés à la ferme ou au magasin

21 % sont gaspillés par les consommateurs

Sources : Université du Texas, USDA

L'emballage parmi les solutions

Les emballages alimentaires n'ont pas la cote, ces derniers temps. Mais ils figurent parmi les solutions au problème du gaspillage. « Apporter ses propres contenants à l'épicerie, ne pas prendre de sacs pour les fruits et légumes, c'est très bien, mais il ne faut pas que ça accélère le processus de putréfaction ou la prolifération bactérienne », expliquait Michael Webber, ingénieur à l'Université du Texas à Austin, en conférence de presse hier. « Étant donné l'ampleur de ce problème dans la question plus générale du gaspillage, il faut être réaliste. Il est certain qu'il est possible de ne pas avoir d'emballage, de se rendre à pied à l'épicerie et de cuisiner dans le but de ne pas faire de restes, de manger ses restes ou de ne pas gaspiller de la nourriture. Mais pour le consommateur moyen, toute avenue qui augmente la durée de vie de la nourriture dans le frigo à domicile diminue le gaspillage. Certains emballages expérimentaux, qui font davantage respirer le produit, doublent à deux semaines la durée de vie de fruits et légumes particulièrement périssables, comme les tomates. Dans certains cas, la solution ne sera pas moins d'emballage, mais plus d'emballage, ou, en tout cas, un meilleur emballage. »

Les bienfaits des kits à cuisiner

L'autre avenue que privilégie M. Webber est le kit à cuisiner façon Cook it. « C'est tout nouveau, c'est apparu en 2012. Ça diminue beaucoup les restes parce que les gens ont tendance à voir plus grand que la panse. Si on réutilise l'emballage, comme le font beaucoup d'entreprises qui vendent des recettes en kits à cuisiner, on a un impact majeur sur le gaspillage. Et si on fait des livraisons assez fréquentes pour diminuer le nombre de visites à l'épicerie, source importante d'utilisation des voitures, l'impact sur le gaspillage est important, qu'on réutilise l'emballage ou non. »

Le buffets « à volonté », un désastre

Tradition nord-américaine par excellence, le buffet « à volonté » est un désastre en matière de gaspillage. « La moitié de la nourriture d'un buffet va directement à la poubelle, ce qui est quatre fois plus que la moyenne d'un restaurant, dit M. Webber. C'est vraiment une tradition regrettable que nous avons aux États-Unis. »

Récupération de l'énergie des aliments

On peut aussi renoncer à combattre le gaspillage et chercher à récupérer l'énergie contenue dans la nourriture envoyée à la poubelle. « On peut, par biométhanisation ou compostage, s'assurer que le gaspillage de nourriture ne soit pas complètement une perte, dit M. Webber. La nourriture gaspillée représente de 2 % à 4 % de la consommation nationale d'énergie aux États-Unis. C'est plus que la consommation d'énergie de pays comme la Suisse ou la Suède. » Par ailleurs, on peut aussi diminuer le gaspillage de nourriture en augmentant la consommation d'énergie. « C'est moins un problème dans les pays développés, mais dans les pays pauvres, le gros du gaspillage de nourriture survient durant le transport et la vente, à cause de problèmes de réfrigération, dit M. Webber. Dans ce cas, l'énergie consacrée à la réfrigération permet des économies nettes d'énergie parce qu'on diminue le gaspillage. »

Aveuglement enthousiaste

Les chiffres sur le gaspillage à la maison sont d'autant plus surprenants que la plupart des gens veulent mieux faire sur ce point. « Près de trois Américains sur quatre disent surveiller leurs achats à l'épicerie pour limiter le gaspillage et faire des efforts pour consommer la nourriture dans leur frigo avant qu'elle ne devienne périmée », explique la sociologue Sheril Kirshenbaum, de l'Université d'État du Michigan à East Lansing, qui gère une série de sondages représentatifs sur les habitudes alimentaires des Américains. « Les gens ne sont pas conscients de l'ampleur du gaspillage, mais c'est une question qui leur tient à coeur, particulièrement en vieillissant. Près d'une personne sur deux serait prête à acheter spécifiquement un fruit ou un légume génétiquement modifié s'il durait plus longtemps dans le frigo. »