C'est la panique dans les élevages piscicoles de Belgique, où l'élégante carpe koï, un poisson ornemental très prisé des collectionneurs, est devenue la proie de voleurs qui, jusqu'à présent, ont laissé la police le bec dans l'eau.

La presse belge se fait régulièrement l'écho de rapines dans des bassins d'élevage ou des étangs privés, essentiellement en Flandre (nord). Les voleurs font de véritables razzias s'emparant parfois d'une cinquantaine de poissons à la fois.

La carpe koï, victime muette de ce nouveau type de banditisme, n'est pas un poisson ordinaire. Issue de mutations chromatiques de la carpe commune, dotée d'écailles de couleur rouge, blanche, jaune ou noire et pesant jusqu'à 15 kilos, la carpe koï est parfois surnommé «le roi des bassins aquatiques» et chaque pièce peut valoir un millier d'euros, voire davantage pour les spécimens exceptionnels.

«Les voleurs ont pris 50 poissons dans mon bassin. Je ne les reverrai jamais», se lamente Herman Belon, un malheureux propriétaire de carpes koï de Saint Nicolas, en Flandre orientale.

«La police fait tout ce qu'elle peut mais je suis sûr que ces poissons sont déjà dans des aquariums de restaurants japonais peu scrupuleux quant à la provenance de ces poissons d'ornement», ajoute-t-il.

La crise économique a été un facteur dans l'essor du vol de carpes koï, affirme Veerle Jakobs, responsable du Nippon Koi Garden, un élevage piscicole de la région d'Anvers.

Elle aussi a été victime de voleurs et explique qu'un véritable «marché noir» a été mis en place par des «bandes criminelles» qui agissent pour le compte d'amateurs pas assez fortunés pour assouvir leur passion.

Une carpe vendue 50 000 euros

Mme Jakobs signale qu'elle a retrouvé une de ses carpes -chacune est unique- dans une foire commerciale, un an après le vol dont elle fut la victime. «Mais, ajoute-t-elle avec dépit, quand la police a comparé les photos des deux carpes elle a trouvé que la bande noire qui striait la peau de la carpe retrouvée à la foire était plus grosse que celle de la carpe qui nous avait été volée».

«Mais ces carpes changent, elles grandissent, elles sont comme des enfants», ajoute-t-elle.

Pour les propriétaires de carpes koï, leur valeur sentimentale est aussi importante que leur valeur matérielle.

Une solution serait d'assurer les carpes mais les tarifs sont prohibitifs. La prime d'assurance représente souvent le tiers de la valeur du poisson.

Propriétaire du magasin spécialisé, Paradise of Japanese Koi, près de Gand, Annie Van Alboon, possède deux spécimens rares. Une de ses carpes mesure plus d'un mètre et sa valeur est jugée inestimable. L'autre, à l'abri dans un bassin spécial, vient d'être vendue à un riche collectionneur pour 50 000 euros.

Mme Van Alboon a également été victime de voleurs il y a une dizaine d'années. «Mon beau-père a fait une attaque cardiaque et est mort en découvrant le vol», dit-elle. Depuis, son magasin est aussi surveillé qu'une banque et dispose des systèmes de sécurité les plus sophistiqués.

L'avidité des voleurs qui ne prennent pas soin des poissons l'enrage. Les koï ont besoin d'eau très pure, d'une nourriture de qualité, sont sensibles au stress, énumère-t-elle. «Le stress libère du poison qui peut causer des dommages irréversibles à la carpe. En voler est un crime particulièrement cruel», dit-elle.

Maltraitée, la carpe peut perdre ses couleurs chatoyantes, avoir la peau couverte de lésions. De telles carpes sont parfois rejetées dans des étangs. Elle y meurent souvent et cela représente surtout un danger pour l'environnement et l'écosystème.

Les voleurs de carpes koï risquent de cinq à dix ans de prison, souligne le procureur adjoint de Dendermonde, Jurgen Coppens.

«Dès qu'on nous signale un vol peu importe qu'il s'agisse d'un poisson, de bijoux ou d'un piano à queue. Notre boulot est de faire de notre mieux pour retrouver ce qui a été volé et les voleurs», dit-il.

Mais, ajoute-t-il, «nous ne possédons aucune piste».